Comme souvent lorsque notre commission examine des projets et propositions de loi en matière d'urbanisme, le texte qui nous réunit aujourd'hui traite d'une problématique très concrète : celle des conséquences au quotidien, pour nos communes et intercommunalités, des nombreuses évolutions législatives successives qui ont touché nos documents locaux d'urbanisme.
La proposition de loi de notre collègue Rémy Pointereau trouve ses origines dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), adoptées respectivement en 2000 et 2014. Ces lois avaient prévu deux évolutions d'ampleur : pour la première, le remplacement progressif des POS par les PLU ; pour la seconde, le transfert à l'échelon intercommunal de la compétence en matière d'urbanisme. Près de vingt ans plus tard, ces dynamiques n'ont pas encore abouti, et posent au quotidien à nos élus des problèmes de procédure et d'application concrète. Ce sont deux de ces problèmes que la proposition de loi vise à résoudre : le sort des cartes communales, et la disparition des POS.
Son premier article concerne le sort des cartes communales, dans le cas notamment où celles-ci sont appelées à être supplantées par un nouveau PLU, communal ou intercommunal. Plus de 5 700 communes françaises sont encore dotées de cartes communales, et environ 40 % d'entre elles seront bientôt couvertes par un PLUi. Or, la loi ne précise aucunement comment opérer cette transition. Est-il nécessaire d'abroger les cartes communales pour que le PLUi s'applique ? Comment les abroger ? Comment s'assurer qu'il n'y ait pas de période de vide qui entraîne l'application du RNU ? Le silence de la loi oblige les élus à se référer à la jurisprudence, aux consignes - parfois contradictoires - des préfets et, souvent, à avancer à tâtons. Dans certains cas, les élus m'ont rapporté avoir été obligés de relancer des enquêtes publiques, alors qu'ils étaient sur le point d'approuver un PLUi, au prix de nouveaux délais et de nouveaux coûts. Il en résulte une insécurité juridique et pratique.
La proposition de loi de Rémy Pointereau propose de fixer dans la loi une procédure applicable, pour éviter ces écueils et offrir la meilleure prévisibilité et efficacité possible aux élus de ces territoires, souvent ruraux et peu accompagnés dans la mutation de leur document d'urbanisme. Elle prévoit notamment une procédure combinée, qui inclut à la fois abrogation de la carte communale et approbation du PLU, communal ou intercommunal, en garantissant bien qu'aucune période de vide n'existe entre les deux documents. Cette procédure permet d'éviter de doublonner les réunions des conseils, et d'éviter ainsi coûts et délais superflus.
Le deuxième article traite d'une autre conséquence des lois SRU et ALUR : la disparition des POS. En 2014, la loi a prévu la caducité des anciens POS, lorsque les communes n'ont pas amorcé l'élaboration de nouveaux PLU. Pour celles qui ont choisi, depuis 2017, le transfert de la compétence à l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) - c'est-à-dire plus de la moitié des communes françaises - la situation s'est encore compliquée, car c'est désormais un PLUi qui doit être élaboré.
La loi avait donné un délai pour opérer cette transition de POS à PLUi, qui est apparu largement insuffisant. Nous connaissons tous la difficulté d'élaborer un PLUi, en conciliant les politiques d'urbanisme de dizaines de communes, avec de fortes contraintes procédurales, des coûts et des délais croissants - près de six ans en général. Le délai avant caducité a été repoussé à 2017, puis 2019, et enfin à la fin de l'année 2020.
La proposition de loi proposait d'octroyer un nouveau délai de deux ans, afin de permettre aux EPCI concernés de terminer l'élaboration de leur PLUI avant que leurs communes ne soient sanctionnées de la caducité de leurs POS. Nous savons tous à quel point l'année 2020 a été compliquée aussi pour les collectivités territoriales, occupées à gérer l'urgence sanitaire et économique. Dans bien des cas, les réunions relatives au PLUi n'ont pas pu se tenir ou ont été décalées, en raison de la situation d'urgence... ou du manque de réseau en zone rurale pour tenir les visioconférences !
Cependant, cette caducité est bel et bien intervenue au 1er janvier dernier, avant que notre commission puisse examiner ce texte. Elle est lourde de conséquences pour les 530 communes concernées. Il nous faut donc offrir des solutions à nos élus afin de garantir la continuité de leurs projets de territoire.
Dans le cadre de mes travaux sur ce texte, j'ai entendu de nombreux maires, de plusieurs régions, pour les interroger sur leur expérience concrète des sujets qui nous occupent aujourd'hui. J'ai aussi interrogé les intercommunalités, ainsi que des bureaux d'études qui manipulent ces procédures au quotidien, et un avocat de renom spécialiste du droit de l'urbanisme. J'ai également échangé avec les services compétents du ministère. À l'issue de ces travaux, je vous soumets, mes chers collègues, quatre amendements, qui prolongent l'intention de l'auteur de la proposition de loi, qui est d'offrir à la fois les souplesses pertinentes et les garanties nécessaires aux collectivités locales, pour les accompagner dans l'évolution de leurs documents d'urbanisme, évolutions qu'elles subissent trop souvent.
À l'article 1er, relatif à l'abrogation des cartes communales, outre un amendement de précision juridique, je vous proposerai de renforcer la procédure combinée, dans le triple objectif de mieux articuler abrogation et approbation, de sécuriser le passage de la carte communale au PLUi sans période de vide, et d'éviter des délais supplémentaires liés à l'avis du préfet. Avec ces précisions, les personnes que j'ai auditionnées estiment que la proposition de loi apporte une clarification bienvenue du droit applicable, qui facilitera les procédures au sein de nos territoires.
À l'article 2, relatif à la caducité des POS, je vous proposerai de remplacer le report de caducité, malheureusement devenu impossible, par une boîte à outils à la disposition des maires, leur permettant d'atténuer les effets les plus problématiques de l'application du RNU.
En effet, mes échanges avec les maires ont révélé que les principaux points d'alerte sont, de manière très concrète, les suivants : premièrement, la perte du DPU, qui met en péril l'acquisition de terrains nécessaires à la réalisation de projets d'équipements collectifs, d'aménagement ou encore de logements sociaux, planifiés de longue date. Ses conséquences peuvent être lourdes pour le développement de leurs communes, souvent rurales, et peser à l'échelle de la décennie. Deuxièmement, le pouvoir de veto donné au préfet en matière d'autorisations d'urbanisme. En RNU, le maire n'émet les permis qu'au nom de l'État, et en suivant l'avis du préfet. Je m'interroge à ce titre sur les moyens dont disposent les préfets pour traiter ce soudain transfert des autorisations d'urbanisme de 530 communes. On m'a alerté sur la surcharge qui en résultera et les conséquences de l'octroi d'autorisations tacites. Enfin, les règles de constructibilité applicables sous l'ancien POS et sous le régime du RNU sont parfois très différentes. Des terrains constructibles, qui s'apprêtaient à être construits pour permettre, par exemple, l'installation de familles dans le village, perdent désormais leurs droits. À l'inverse, des terrains autrefois protégés par le POS comme zones naturelles peuvent devenir constructibles, car situés en bordure de zone urbanisée. Quelques promoteurs et aménageurs prédateurs tirent déjà profit de la situation pour tenter de faire passer en force des projets contradictoires avec le projet de territoire - des maires me l'ont confirmé.
Mes deux amendements à l'article 2 instaurent donc trois dérogations au sein d'une boîte à outils, pour permettre aux maires de résoudre ces problèmes : ceux-ci pourront faire usage du droit de préemption, en le justifiant par délibération ; ils pourront solliciter le préfet pour qu'il sursoie à statuer sur des autorisations en l'attente du PLUi, lorsque les règles sont appelées à changer ; et ils pourront également demander au préfet de faire usage de dérogations au RNU, afin d'autoriser des projets d'intérêt communal rendus impossibles par l'application du RNU.
Ces dérogations sont encadrées dans le temps, afin de conserver une incitation à terminer l'élaboration du PLUi : elles s'appliqueront jusqu'à l'approbation du PLUi ou, au plus tard, jusqu'à la fin de l'année 2022, c'est-à-dire dans le délai de prolongation que sollicitait l'auteur de la proposition de loi. Je précise que ces dérogations sont une possibilité offerte aux maires sur certains projets d'intérêt communal, non une mesure générale. Libre à eux de s'en saisir - ou non, d'ailleurs, si l'application du RNU à leur territoire ne leur pose pas de problème particulier.
Madame la ministre, je sais que le Gouvernement est fermement opposé à tout retour des POS, leur caducité étant désormais intervenue. Nous aurions pu néanmoins appuyer en ce sens, mais nous préférons proposer des solutions constructives et agiles. J'espère que vous verrez le mérite de nos propositions pragmatiques, encadrées, qui visent à atténuer les conséquences les plus graves de l'application du RNU, et favorisent le dialogue entre maires et préfets. Alors que le Parlement devrait examiner des mesures de décentralisation et de différenciation, il me semble que nos propositions s'inscrivent parfaitement dans ce cadre.