Permettez-moi de faire cette introduction que j'ai déjà faite auprès de l'Assemblée nationale, s'agissant du projet de loi confortant le respect des principes de la République.
L'exposé des motifs de ce projet de loi indique que celui-ci vise à « en terminer avec l'impuissance face à ceux qui malmènent la cohésion nationale et la fraternité, face à ce qui méconnaît la République et bafoue les exigences minimales de vie en société, conforter les principes républicains ». Cet objectif, nous le partageons entièrement.
L'exposé des motifs indique également : « Face à l'islamisme radical, face à tous les séparatismes, force est de constater que notre arsenal juridique est insuffisant. Il faut regarder les choses en face : la République n'a pas suffisamment de moyens d'agir contre ceux qui veulent la déstabiliser ».
Ce diagnostic repose certainement sur des difficultés rencontrées par les pouvoirs publics pour mettre hors d'état de nuire des groupuscules qui profitent de certaines zones grises de notre droit et alimentent un climat de tension recherché par les extrémistes de tous bords. C'est ce climat de tension qui permet aux extrémistes de se nourrir mutuellement et de prospérer.
Il faut permettre à l'administration, notamment judiciaire, d'exercer sa mission dans un cadre clair, plus sûr. Il faudrait aussi se donner des moyens suffisants pour appliquer les lois existantes et celles qui seront votées. Même si la loi ne règle pas tout, pour avoir un sens, elle doit être effective. Rien ne serait pire qu'une loi inappliquée. Une loi inappliquée, c'est une loi défiée, selon une expression bien connue.
Le combat contre l'extrémisme se réclamant de l'islam est aussi notre combat. Nous sommes résolument déterminés à le mener avec toutes nos forces. Nos cadres religieux, notamment les imams et les aumôniers, sont en première ligne pour le mener depuis bien longtemps. De nombreux jeunes ont pu être sauvés des griffes de cet extrémisme grâce aux efforts des imams de France. Ces efforts doivent être soutenus et renforcés.
L'idéologie extrémiste a fait le terreau des principaux drames qui ont endeuillé notre communauté nationale ces dernières années. La lutte contre cette idéologie est aussi notre priorité. Jusqu'aux années soixante-dix, le terme « islamisme » était synonyme d'islam, comme christianisme et judaïsme sont synonymes des religions chrétienne et juive. Aujourd'hui en France, islamisme est synonyme d'une idéologie à combattre.
Dans le monde arabo-musulman, « islamisme » est souvent traduit par « islam ». De nombreux malentendus peuvent naître de ce décalage dans le langage. Nous formons le voeu que le mot « islamisme » soit systématiquement suivi par les adjectifs « radical » ou « extrémiste » et ainsi parler d'islamisme radical ou d'islamisme extrémiste.
Cette idéologie se nourrit d'autres extrémismes, qui gangrènent les fondements de notre société. Faut-il le rappeler ? Le tueur de Christchurch en Nouvelle-Zélande, qui a assassiné cinquante-et-un fidèles de deux mosquées néozélandaises, avait déclaré s'être inspiré de promoteurs français de la théorie du grand remplacement. Des adeptes de cette théorie ont été condamnés par la justice de notre pays à maintes reprises pour incitation à la haine raciale. Ces condamnations ne les ont pas empêchés de continuer à semer les graines de la division entre les musulmans et leurs concitoyens. Ce séparatisme doit également être combattu. L'action envisagée par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin contre le groupuscule « Génération identitaire » fait partie de ce combat.
De nombreuses dispositions de ce projet de loi sont utiles et nécessaires pour mener cette lutte contre l'extrémisme se réclamant de l'islam. D'autres inquiètent les responsables de culte car elles leur paraissent disproportionnées par rapport au but recherché. Ces inquiétudes, nous les partageons.
Plusieurs dispositions ne devraient pas susciter de grands débats, même si certaines nécessitent des ajustements :
- les dispositions consacrées au principe de neutralité dans les services publics, notamment l'inscription dans la loi de la jurisprudence sur la neutralité des agents des services publics et des organismes privés en charge d'un service public, sans nouvelle extension ;
- les dispositions visant à assurer une meilleure protection des agents des services publics ;
- les dispositions visant à assurer une meilleure protection des institutions et des services publics face à des agents ayant fait la démonstration de leur adhésion à des idées ou à des actes de terrorisme ;
- les dispositions destinées à protéger la dignité des personnes, à garantir l'égalité entre les femmes et les hommes en s'attaquant notamment aux pratiques coutumières dégradantes telles que les mariages forcés, l'excision, les certificats de virginité, ces pratiques prétendument musulmanes qui portent atteinte à la dignité des femmes et sont prohibées dans le droit musulman car en totale contradiction avec ses principes et ses valeurs ;
- les dispositions consacrées à la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne, que nous jugeons essentielles. Nous savons aujourd'hui que les personnes haineuses profitent de l'anonymat et de la force de diffusion d'internet et des réseaux sociaux pour déverser leur haine en toute impunité ;
- les dispositions permettant de s'assurer que tous les enfants de la République bénéficient d'une éducation et d'une scolarisation à laquelle ils ont droit, que nous jugeons également nécessaires pour lutter contre les formes d'endoctrinement dont sont victimes les enfants de la République ;
- les dispositions relatives à la lutte contre l'ingérence étrangère, qui participent de la sauvegarde de notre souveraineté, même si certaines d'entre elles, notamment celles relatives au financement, doivent être modifiées de façon à être proportionnées au but recherché ;
- les dispositions relatives à l'amélioration du droit financier pour lutter contre le financement du terrorisme ;
- l'introduction de mesures de protection des associations contre les emprises et les putschs dont elles peuvent être victimes.
Parmi les dispositions figurant dans ce projet de loi, il y a également celles créant de nouveaux avantages pour les associations cultuelles. Je pense notamment au bénéfice des immeubles de rapport et au taux de défiscalisation des dons. J'y reviendrai dans un instant.
Sans avoir été exhaustif, le projet de loi réaffirme incontestablement les principes républicains et introduit des outils pour les conforter avec un souci d'équilibre qui n'est pas toujours facile à trouver.
Je pense que le volet associatif est peut être celui qui inquiète le plus les associations musulmanes. Il est difficile aujourd'hui de savoir quel est le nombre d'associations musulmanes qui sont sous le régime de la loi de 1905 ou sous celui de la loi de 1901, mais de façon certaine, plus de 90 % des associations gestionnaires de mosquées sont sous le régime de la loi de 1901.
En réalité, le CFCM n'a dans son registre que les associations qui participent aux élections et qui ne représentent que 1 000 associations parmi les 2 000 ou 3 000 associations qui gèrent les mosquées. Même lorsque ces associations participent aux élections, leurs dossiers sont déposés auprès des conseils régionaux du culte musulman et ce sont eux qui remontent ces dossiers au CFCM. Or, l'information selon laquelle l'association est sous le régime de la loi de 1901 ou sous celui de la loi de 1905 n'apparaît pas dans le dossier. Je serais donc incapable de vous donner le nombre exact d'associations gestionnaires de mosquées sous le régime de la loi de 1905, mais en tout cas, elles sont minoritaires. La majorité est sous le régime de la loi de 1901. Et bien sûr, les associations d'Alsace-Moselle sont régies par le droit local.
La réticence face à toute modification de la loi de 1905 n'est pas nouvelle, même si les aménagements de cette loi ont été nombreux depuis sa promulgation. La construction de la Grande mosquée de Paris a été rendue possible grâce à l'un de ces aménagements, qui a permis aux parlementaires de voter une subvention de 500 000 francs à l'époque. Ces modifications n'ont pas remis en cause les équilibres trouvés au début du siècle passé.
Depuis, le contexte a changé. Le Gouvernement constate que l'arsenal juridique dont il dispose est insuffisant pour apporter des réponses aux nouveaux défis. Il est donc normal de proposer les ajustements nécessaires si les équilibres sont préservés.
Toutefois, il faut rappeler que les structures associatives avec des moyens réduits peinent à mobiliser des acteurs bénévoles pour assumer leurs missions. Certaines contraintes introduites par le projet de loi pourraient aggraver cette précarité. Ces contraintes accrues peuvent aussi faire fuir les plus intègres et laisser le champ libre à des « aventuriers ». Les extrémistes peuvent aussi choisir de ne plus utiliser le support associatif. Les réseaux sociaux leur offrent déjà un espace étendu et moins contrôlé.
De plus, l'accentuation de certaines contraintes, plus particulièrement sur les associations cultuelles ou à objet cultuel, pourrait être interprétée comme une suspicion généralisée à l'égard de ces associations. Or, ces associations ne sont pas le support habituel pour les activités de ceux qui veulent déstabiliser la République. L'immense majorité des associations gestionnaires de mosquées sont sous le régime de la loi de 1901. Elles mènent des activités cultuelles, culturelles et sociales. Désormais, elles seront considérées comme des associations à objet cultuel et seront soumises aux mêmes contraintes que les associations sous le régime de la loi de 1905, sans bénéficier des mêmes avantages. Cela va engendrer des frais de fonctionnement supplémentaires importants, la certification des comptes serait une charge lourde notamment pour les petites associations. L'objectif est sans doute d'amener les gestionnaires de mosquée à se mettre sous le régime de la loi de 1905 et de créer d'autres supports associatifs pour leurs autres activités.
J'y ai toujours été favorable, d'abord pour inscrire le culte musulman dans le paysage cultuel français qui est majoritairement sous le régime de la loi de 1905 - ou équivalent, je pense notamment aux associations diocésaines - pour gagner en rigueur de gestion, ce qui est nécessaire pour obtenir la confiance des fidèles et des donateurs, et enfin pour avoir droit à certains avantages dont bénéficient les associations cultuelles. Mais cette évolution, souhaitable, doit être progressive. Les délais prévus pour la mise en oeuvre du projet de loi ne sont pas suffisants, compte tenu de l'importance de la tâche. Il faut également un accompagnement par les services de l'État et des collectivités territoriales.
Par ailleurs, la multiplication des contrôles administratifs des associations à objet cultuel inquiète les associations musulmanes. L'exposé des motifs du projet de loi annonce clairement qu'il cible essentiellement les associations d'inspiration islamiste. Cela pourrait jeter l'opprobre sur l'ensemble des associations musulmanes.
L'une des demandes du culte musulman et d'autres cultes concerne les immeubles de rapport. La réponse proposée à cette demande à l'article 28 du projet de loi n'est malheureusement pas suffisante. En effet, ce qui est proposé est la possibilité pour les associations cultuelles de posséder tout immeuble acquis à titre gracieux. Les anciennes générations de musulmans ont en général des revenus modestes et n'ont pas constitué un patrimoine immobilier à léguer aux associations. Nous demandons la suppression de la condition « acquis à titre gracieux » pour permettre aux fidèles de doter leurs lieux de culte de biens immobiliers via une souscription collective et donc d'assurer le fonctionnement des mosquées. Il n'est évidemment pas question pour nous de transformer les associations gestionnaires de mosquées en agences immobilières, le but recherché est de satisfaire les besoins des associations gestionnaires de mosquées.
Une de nos demandes concerne les baux emphytéotiques. Il s'agit de prévoir une option d'achat pour les associations cultuelles qui auraient conclu un bail emphytéotique avec une collectivité territoriale, en cours de bail ou à son échéance. Cela permettrait d'éviter que les communes deviennent propriétaires à la fin du bail. Je pense que tant les cultes, qui pourront acquérir un bâtiment, que les communes, qui n'auront pas à les entretenir et à gérer de nombreux bâtiments dont ils deviendront propriétaires à l'issue du bail, ont à gagner avec ce système.
Une autre de nos demandes est relative à la réforme de la Caisse d'assurance vieillesse invalidité et maladie des cultes (Cavimac), pour permettre, via une cotisation complémentaire, de bénéficier des indemnités partielles en cas de perte de salaire ou d'accident du travail. Je sais que la Cavimac a été constituée surtout pour les prêtres catholiques, mais un certain nombre d'imams en bénéficient aujourd'hui. Les imams ne sont pas obligés au célibat, ils ont donc souvent des familles, composées d'enfants qui font des études. Ils ont donc des frais autres que ceux supportés par les prêtres. Il suffit d'un malentendu avec un président d'association pour que l'imam perde son travail et dans ce cas, il n'a pas droit au versement d'indemnités partielles. Nous l'avons déjà vécu pendant la crise de la covid-19, puisque les imams sous la Cavimac n'ont pas pu bénéficier du dispositif d'activité partielle. L'association devait donc payer le salaire de l'imam tout en sachant qu'il n'effectuerait qu'une infime partie de ses fonctions au sein de la mosquée.
Il y a d'autres demandes, adressées au Gouvernement, qui n'ont pas été prises en compte.
Je passe directement à une mesure du projet de loi dont le culte musulman pourrait bénéficier à moyen ou long terme, qui concernent la défiscalisation des dons, laquelle passe de 66 % à 75 %. Ce point est valable pour les autres cultes qui vous en parlerons.
Sur la question des mesures qui touchent à la police des cultes, nous les jugeons utiles et nécessaires, notamment celles qui permettent d'empêcher des putschs et des prises de contrôle de mosquées par des groupuscules.
Un mot sur le Conseil national des imams. S'agissant des ministres du culte, nous savons que la définition actuelle ne permet pas de voir clair quant au statut d'un imam. Il est important que les institutions religieuses musulmanes elles-mêmes s'occupent, dans leur droit interne, de définir le statut de l'imam avec différents grades. C'est normalement l'objectif du Conseil national des imams. Toutefois, la création de ce conseil ne règle pas le problème que j'évoque aujourd'hui car le CFCM, par ses statuts, n'a pas d'emprise directe sur les associations gestionnaires de mosquées et sur les ministres du culte. Tout ce qu'il pourrait faire éventuellement serait de délivrer des agréments mais ce serait sur la base du volontariat, l'imam devant en faire la demande.