Justement, les imams jouent leur rôle dans la lutte contre la haine. Si ce n'était pas le cas, il y aurait beaucoup plus de personnes radicalisées en France. Même si les statistiques ne sont pas possibles, on estime que 20 à 25 % des musulmans pratiquent leur religion.
Les imams ont un rôle important à jouer dans la lutte contre la radicalisation. Je tiens à préciser que les jeunes ne se radicalisent pas tant à la mosquée qu'à proximité immédiate des mosquées parce qu'ils sont la cible de groupuscules qui les repèrent aux alentours puis les abordent, mais aussi et surtout via les réseaux sociaux qui sont utilisés comme des outils de radicalisation. C'est sur ce point que nos imams doivent être mieux préparés, afin d'être capable de sensibiliser les jeunes croyants aux risques qu'ils encourent s'ils utilisent mal Internet.
Vous m'avez également interrogé sur le signataire au nom de la fédération Musulmans de France. Il s'agit de M. Lhaj Thami Breze, qui est l'ancien président de ce qui s'appelait alors l'Union des organisations islamiques en France (UOIF). Il est membre du bureau de Musulmans de France et il est l'unique représentant de Musulmans de France au sein du bureau du CFCM.
Monsieur Reichardt, j'avais consulté la proposition de loi que vous aviez cosignée en 2017 avec Mme Goulet, tendant à imposer aux ministres des cultes de justifier d'une formation les qualifiant à l'exercice de ce culte. Votre proposition de loi, adoptée au Sénat, n'a malheureusement pas prospéré à l'Assemblée nationale mais je souhaite revenir sur une difficulté profonde que rencontre le culte musulman en France. La création du CFCM en 2003 s'est faite sur le fondement de trois documents : un accord-cadre entre les fédérations de l'époque, un document qui régit les rapports entre l'islam et la République et enfin les statuts du CFCM qui font référence à ces deux autres documents. Ces documents attestent explicitement du fait que le CFCM est une structure légère : elle n'a pas vocation à se substituer aux fédérations qui la composent et certainement pas à parler en leur nom.
Si je schématisais un peu, je parlerais « d'espace de dialogue », voire de simple guichet ouvert aux pouvoirs publics pour pouvoir s'adresser aux fédérations.
Le CFCM n'a donc pas de budget de fonctionnement propre et peut simplement s'appuyer sur un demi équivalent temps plein qui effectue des tâches de secrétariat.
Le Conseil national des imams (CNI) lui-même a été adossé au CFCM et porté par les fédérations, mais c'est une structure distincte : les décisions qui seront prises par le CNI ne sont pas de la responsabilité du CFCM. Dans la construction du CNI, le CFCM n'a été que le coordonnateur des fédérations. Pour comprendre l'inefficacité actuelle du CFCM, il faut bien avoir à l'esprit les conditions dans lesquelles l'institution a été créée et l'étendue réelle de ses prérogatives, qui demeure faible, raison pour laquelle je plaide pour une réforme profonde du CFCM afin qu'il soit en mesure de mener à bien ses missions. Je propose qu'on sorte de ce schéma reposant sur des fédérations qui décident tout entre elles et qu'on passe à une représentation par département avec un CFCM qui chapeauterait réellement le tout. Aujourd'hui, le CFCM est dans l'incapacité de mener à bien ce travail tout simplement parce qu'il n'en a pas la prérogative. Gardez bien à l'esprit qu'il n'y a aucune hiérarchie entre le CFCM et les associations qui le composent. Ces associations n'ont pas juridiquement à obtenir l'aval, ni même à consulter le CFCM pour nommer ses ministres du culte. L'imam est dans une relation contractuelle avec la mosquée dans laquelle il prêche. Tant que ce point n'évoluera pas, les difficultés pour déterminer qui est en mesure ou pas d'exercer le ministère d'un culte demeureront, et les associations garderont leur pouvoir de décision pour recruter des imams. La création du CNI est un premier pas vers cette logique selon laquelle on doit en finir avec un pouvoir de décision relevant exclusivement de l'association qui choisit l'imam. Il faut tendre vers un agrément sanctionnant des compétences, lesquelles doivent être appréciées par des diplômes et une expérience objectivement constatée. Il n'est pas normal qu'on puisse prêcher dans une mosquée sans avoir reçu un tel agrément et même avec la création du CNI on ne disposera pas encore d'un réel mécanisme d'agrément, car cette évolution nécessiterait au préalable une réforme en profondeur du CFCM.
Cette situation pose la question de l'intervention de l'État. M. Sueur a défendu l'idée selon laquelle l'État n'avait pas à organiser les cultes. Certes, mais la notion de ministère du culte est déjà régie par notre droit, de manière trop imprécise. J'ai bien conscience de la difficulté à définir juridiquement une notion qui recouvre des réalités bien différentes selon les cultes, mais on a, en conséquence, choisi la facilité en laissant une très grande liberté à chaque culte pour s'organiser. À un moment donné, il faut savoir si le contrat qui lie l'État à un culte ou son instance représentative permet de dire à une instance musulmane indépendante et non membre du CFCM « votre imam n'est pas habilité ». La création du CNI ne résout pas cette question, donc le problème reste entier.
Sur la question de la redevance sur les produits halal, le projet de loi est effectivement silencieux, ce qui s'explique par le fait que le Gouvernement n'a pas souhaité stigmatiser tel ou tel culte, pour traiter des cultes de manière générale, ce qui conduit certains cultes à dire qu'ils sont des victimes collatérales de ce texte qui vise à combattre l'islamisme radical. Je peux comprendre ce souci légitime du législateur d'adopter des normes générales et impersonnelles mais je partage votre analyse : la solution consisterait à mon avis à conduire un travail interne au culte musulman et passe donc, là encore, par une réforme du CFCM, qui doit mieux prendre en compte les aspirations de sa base, dans un cadre départemental.
Pour répondre ensuite à Mme Benbassa, concernant la composition du CNI : le CNI est effectivement un organisme paritaire, au sein duquel il n'y a pas que des imams mais aussi des responsables de mosquée, ce qui s'explique par le fait que nous avons voulu assurer une représentation des lieux où s'exerce le culte, c'est-à-dire les mosquées. Dans chaque mosquée, il y a, d'une part, un président d'association et, d'autre part, un imam. Toutefois, seuls les imams du CNI auront compétence pour agréer les ministres du culte. Il ne faut pas déduire de la composition paritaire du CNI que l'agrément des imams va être l'affaire de l'ensemble du CNI. Les présidents d'association assurent l'interface avec les interlocuteurs des mosquées, y compris les pouvoirs publics, tandis que les imams ont la responsabilité de la partie cultuelle. Nous avons souhaité que le CNI soit paritaire tout en conférant l'exclusivité des agréments aux imams, sur lesquels les « laïcs » comme moi n'ont pas leur mot à dire.
Le dossier d'imamat a d'abord vocation à être instruit au niveau local, où il fait l'objet d'un premier avis puis est transmis aux imams nationaux, lesquels prennent la décision. La plupart du temps, l'avis local est suivi mais ce n'est pas systématique, parfois des éléments extérieurs sont pris en compte et une autre décision est prise.
S'agissant de la charte des principes, l'historique est déjà ancien. En 1994, a été élaborée la charte « islam de France », lorsque M. Pasqua était ministre de l'Intérieur, puis en 2000, un accord régissant les rapports entre l'islam et la République a été établi. En 2016, nous avions travaillé sur une première charte relative aux imams qui n'a pas prospéré. Cette charte est plus ambitieuse quant à l'affirmation des principes républicains. Le fait que trois fédérations ne l'ont pas signé ne signifie pas que ces fédérations seraient en désaccord complet avec le contenu de la charte. Le 15 décembre, il y avait unanimité sur un texte. Si vous comparez ce texte qui a fait l'unanimité à celui du 16 janvier que trois fédérations n'ont pas signé, le désaccord ne porte que sur des nuances. En réalité, sur les grandes lignes, toutes les fédérations partagent l'essentiel : que ce soit sur la liberté de conscience, l'égalité femmes-hommes, la non-ingérence des États étrangers, la non instrumentalisation de l'islam à des fins politiques, etc.
Les divergences ne portent, pour ces trois fédérations, que sur environ 5 à 10 % des termes de la charte et sont donc liées, j'insiste, à des formulations qui ne font pas l'unanimité. Les huit fédérations ont d'ailleurs cosigné un communiqué de presse, la veille de la signature, dans lequel elles soulignaient le caractère consensuel qui a prévalu à l'établissement de la charte. Trois fédérations, tout en ayant cosigné le communiqué de presse, ont considéré qu'elles ne pouvaient pas aller jusqu'à signer la charte parce qu'elles ne partageaient pas 100 % des termes employés. Une charte signée à huit, c'est forcément le fruit d'un compromis. Je regrette vraiment que ces fédérations n'aient pas fait prévaloir les 90 % de la charte avec laquelle elles étaient parfaitement d'accord sur les 10 % qu'elles auraient souhaité formuler autrement, mais je réfute l'idée que cela marquerait une désapprobation de fond avec la charte. Chacun gagnerait à signer cette charte, qui est un bon compromis et le fruit d'un travail collectif.