Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le principe démocratique de notre République est consacré par la Constitution de 1958. Alors que nous examinons ce projet de loi, deux questions se posent : l’épidémie justifie-t-elle de suspendre la démocratie et sous quelles conditions le report d’une élection est-il démocratique ?
À la première question, la réponse du Président de la République a été claire. Le 13 avril 2020, il a déclaré : « Cette épidémie ne saurait affaiblir notre démocratie ». Voilà pour le discours.
Passons désormais aux actes : quand le report des élections est-il démocratique et sous quelles conditions ?
Pour répondre à cette question, il convient de se référer aux principes habituels de notre droit : la sincérité, l’égalité, la proportionnalité des mesures au regard du motif d’intérêt général et la périodicité du scrutin ; autant de butoirs qui permettent de faire obstacle aux manipulations. Faire fi de ces principes constituerait un danger pour la démocratie.
Un consensus se dessine pour reporter les élections à juin 2021, mais non au-delà.
Face à la crise sanitaire, les pays ont réagi de manière complètement adaptée. De nombreuses démocraties maintiennent leurs scrutins électoraux : les États-Unis, l’Allemagne et l’Espagne en 2020 et, plus récemment, le Portugal, malgré le confinement, ainsi que, prochainement, les Pays-Bas, la Finlande, Israël, l’Écosse, la Palestine et, de nouveau, l’Allemagne.
En France, à la suite des élections municipales de 2020 et après la publication du rapport de Jean-Louis Debré, un consensus s’est dessiné pour faire en sorte que les élections départementales et régionales soient reportées au mois de juin prochain, mais non au-delà.
Avant même la rédaction de ce rapport, quelques voix avaient déjà évoqué l’éventualité d’une modification du calendrier électoral, en arguant qu’un report des élections départementales et régionales au-delà de l’élection présidentielle permettrait de mettre en œuvre plus facilement le plan de relance. Si l’on en juge par les récentes déclarations de Jean-Louis Debré, cette hypothèse a été mise de côté dès le départ.
Toutefois, cette possibilité revient régulièrement dans certains discours, car la situation sanitaire empêcherait non seulement la tenue des élections, mais encore l’organisation de la campagne. Or cela pose un véritable problème constitutionnel, du point de vue de la loyauté et de la périodicité raisonnable du scrutin. Sur le plan politique, cette sorte d’inversion du calendrier électoral traduirait, encore une fois, la dérive de nos institutions, dans lesquelles tout procéderait de l’élection d’un monarque républicain. Un tel report briserait le consensus politique et reviendrait même à s’interroger sur la volonté du Gouvernement.
L’objectif est donc de maintenir ces élections. Le report « sec » n’est donc pas une solution. Pourquoi en sommes-nous là ? Tout simplement parce que le Gouvernement fait tout pour nous mettre face au choix entre le report et la construction d’une abstention électorale. Il ne propose rien, sinon le report sec ; il va même jusqu’à repousser certains aménagements proposés par la commission des lois.
Ainsi, nous allons de report en report : report des municipales, légitime à l’époque, report des élections partielles et report, désormais, des élections régionales et départementales ; jusqu’où ? Le report n’est pas une solution en soi, parce que nous ne disposons pas d’informations sur la façon dont la pandémie évoluera. C’est une solution de facilité et ne prévoir aucune autre solution est d’autant plus déconcertant que l’exécutif évoque lui-même la tenue d’un référendum…
Contrairement au collègue qui m’a précédé à la tribune, je pense que la question est justement de savoir si l’exécutif souhaite vraiment que ces élections se tiennent.
En outre, il est évident que, si l’élection présidentielle se tenait cette année, nous aurions déjà adopté des dispositions. Les élections locales semblent donc être considérées comme des élections de second ordre.
Par ailleurs, que compte faire ce gouvernement pour anticiper l’échéance de 2022, voire celle d’un référendum ?
Enfin, sommes-nous le seul pays du monde à ne pas savoir adapter notre droit électoral ?
La démocratie est un bien essentiel et il faut maintenir son bon fonctionnement ; telle est notre position.
Suspendre la démocratie pendant une épidémie, c’est renoncer au fait que la temporalité est aussi un substrat et un des piliers de la démocratie. Les Français n’ont pas seulement le droit d’aller travailler et de faire leurs courses, ils ont aussi la possibilité, sinon le devoir, d’exprimer leur opinion. Les moments de démocratie électorale sont des moments d’expression d’autant plus nécessaires que les espaces habituels de prises de parole sont actuellement mis sous cloche. En période de pandémie, la démocratie n’est pas un inconvénient, bien au contraire !
Comme dans d’autres pays, le report des élections doit être mis à profit pour prévoir des dispositifs permettant d’assurer la continuité démocratique et l’intégrité électorale. C’est le moment d’anticiper et de préparer. Les propositions des parlementaires n’ont pas manqué depuis un an et nous en reprenons quelques-unes aujourd’hui.
Tout d’abord, s’agissant de la capacité à faire une campagne officielle dans les médias, nous considérons que cette avancée est une bonne chose. Elle a d’ailleurs été reprise par la commission des lois.
Je souhaite également souligner l’adoption en commission de l’amendement de Jean-Pierre Sueur relatif à la nécessaire publication des marges d’erreur dans les sondages d’opinion.
Enfin, il est vrai que la démocratie ne se réduit pas au vote. Mais sans vote, il n’y a pas de démocratie. C’est pourquoi nous avons déposé des amendements pour permettre à chacun de voter et pour lutter contre le risque d’une abstention massive qui nuirait à la légitimité des élus.
C’était l’occasion de réintroduire le vote par correspondance. Bien entendu, il est tard pour mettre en place cette option qui a déjà été introduite seize fois dans cet hémicycle, par des propositions de lois ou d’amendements. Et comme nous la reportons sans cesse, il n’est jamais temps de la mettre en place, alors même que nous la concevons comme un complément du vote à l’urne.
Le vote anticipé permet, dans les pays où il est utilisé, une plus grande participation, ainsi qu’une répartition utile en période de crise sanitaire. C’est ainsi le cas au Portugal où le vote anticipé a été multiplié par cinq lors des élections qui viennent de se dérouler.
S’agissant des doubles procurations, nous en avons déjà exposé les faiblesses : elles sont contraires aux standards internationaux, à l’égalité du scrutin et au secret du vote. Elles sont également socialement inégalitaires. Pour autant, puisque c’est pratiquement l’unique aménagement qui sera potentiellement retenu, nous nous abstiendrons sur ce point.
Enfin, nous serons attentifs à la clause de revoyure fixée au 1er avril. Le périmètre a été utilement recentré par le rapporteur qui a également souhaité responsabiliser le Gouvernement en la matière.
Nous voterons donc ce texte, parce qu’il constitue un consensus électoral, tout en formulant le souhait que de nouveaux aménagements soient prévus.
Bien entendu, nous le votons parce qu’il dispose d’un report uniquement au mois de juin prochain. Plus tard, cela créerait des soucis, pas seulement constitutionnels.
Les décisions que nous prenons façonnent, aujourd’hui et demain, la santé de notre démocratie. Je nous souhaite donc, en guise de vœux de début d’année, de veiller à sa bonne santé !