Intervention de Jacqueline Gourault

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 17 décembre 2020 à 10h00
Audition de Mme Jacqueline Gourault ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales :

Merci beaucoup Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs. C'est avec plaisir que je réponds aujourd'hui à la l'invitation de votre délégation dans sa nouvelle configuration. J'en profite pour renouveler mes félicitations à chacun d'entre vous. Cette audition me donne l'occasion de vous parler du projet de loi qui s'intitule désormais 4D. J'ai déjà eu l'occasion d'expliciter devant le Sénat notre projet, mais je me livrerai à un rapide historique de sa genèse.

À l'issue du Grand débat, alors qu'il était évident qu'un certain nombre de fractures se manifestaient au sein de notre pays, avec des phénomènes aux origines anciennes tels que le mouvement des Gilets jaunes, le président de la République m'a chargé d'élaborer un nouveau cadre de relations entre l'État et les collectivités territoriales, au-delà de la seule loi. Il s'agissait d'abord de répondre au besoin de proximité et d'efficacité de l'action publique, clairement exprimé par les élus et les citoyens, et pour ce faire d'aller plus loin dans la capacité à adapter notre action à la spécificité des territoires, soit aller plus loin dans la différenciation. J'aurais moi aussi souhaité une révision constitutionnelle, mais nous n'avons pu aller jusque-là. La révision de l'article 72 de la Constitution aurait effectivement été plus efficiente et d'une portée plus large. Nous avons donc cherché à obtenir cet objectif à droit constitutionnel constant.

Ces objectifs sont devenus l'une des priorités de la seconde partie du quinquennat, et ont été rappelés par le président de la République lors de son intervention du 14 juillet dernier ainsi que par le Premier ministre lors de ses deux déclarations de politique générale. Ces dernières années, nous avons essayé de nous inscrire dans le dialogue avec les collectivités territoriales. Notre action a abouti à une première loi dite « engagement et proximité » concernant les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), plus particulièrement, les pouvoirs d'action concrets donnés aux maires, mais aussi la protection et la formation des élus, etc. Cette loi avait été particulièrement portée par Sébastien Lecornu devant les deux assemblées.

Vous avez rappelé le vote du projet de loi organique expérimentation que vous avez adopté à une très large majorité. Nous savons que le blocage de la réforme constitutionnelle ne portait pas sur ce sujet, puisque la différenciation faisait l'objet d'un certain consensus.

La contractualisation est, selon moi, une forme moderne de travail avec les élus locaux. Elle existait déjà, via les contrats de plan État-Région (CPER), les contrats de ville, de ruralité, etc. Elle repose sur l'idée d'adopter une vision plus globale. Parfois, la multiplication des contrats a pu gêner la lisibilité de l'action publique. Nos différentes politiques publiques (actions coeur de ville, territoires d'industrie, petites villes de demain) traduisent une forme de confiance dans les relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Enfin, le projet de loi 4D vient parachever notre action commune en faveur des territoires.

Avant de revenir en détail sur les ambitions portées par les textes, je préciserai d'abord le calendrier de ce projet de loi, tel que je le connais. Nous sommes au coeur d'une semaine décisive. J'ai revu toutes les associations d'élus et je reçois également les organisations syndicales dela fonction publique territoriale, de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique d'État. La dernière phase de consultation est en cours. Le texte sera rédigé après de derniers ajustements, puis envoyé au Conseil d'État ainsi qu'aux instances de consultation obligatoires dans la foulée. Nous entamons avec vous les premières présentations du texte. Il s'agit encore d'un avant-projet. J'ai à l'esprit vos 50 propositions, que nous avons attentivement étudiées. Certaines sont constitutionnelles, et d'autres comprennent des éléments financiers. Or tel n'est pas le cas de ce texte, qui n'a donc pu les retenir. Le texte sera soumis au Conseil des ministres début février 2021. La suite du calendrier n'est pas fixée.

Le contenu de ce texte résulte d'une vision assumée de la décentralisation, c'est-à-dire l'adaptation de chaque territoire par le biais de la différenciation. La décentralisation de notre pays s'ancre dans une histoire précise, fruit de visions successives, avec les deux grands cycles de décentralisation des années 1980 et la loi Raffarin de 2004. Une série de réformes institutionnelles a également accompagné la dynamique d'affirmation d'un certain nombre de collectivités territoriales : la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010, la loi Maptam de 2014 qui consacrait les métropoles, et la loi NOTRe de 2015 visant à préciser un certain nombre de compétences. Nous avons connu de nombreux bouleversements. Les élus sont aujourd'hui demandeurs d'une stabilité institutionnelle. J'ai rencontré environ 2 000 élus au cours de la concertation. J'ai été en contact permanent avec les associations d'élus. Nous avons, partout, ressenti cette volonté d'agir au plus près du territoire, ce besoin d'un État déconcentré sur des territoires organisés et forts, et l'importance de la différenciation pour les élus.

J'ai acquis la conviction profonde que nous pouvions promouvoir la différenciation, sans rompre avec le principe cardinal d'égalité sur le territoire de la République. Les inégalités entre les territoires sont telles qu'il est vain de penser que l'équité ou l'égalité consiste à mettre en oeuvre les mêmes mesures sur tous les territoires. Pour lutter contre la fracture territoriale, il est nécessaire d'admettre que nous devons en faire davantage, ou différemment, sur certains territoires. Cette « passion française » qu'est l'égalité réside aujourd'hui dans notre capacité à répondre aux défis globaux qui s'expriment de manière particulière dans nos territoires. Des priorités telles que la transition écologique, le logement, les mobilités ou la cohésion sociale ont émergé ces temps derniers et ont fait l'objet d'un travail de concertation approfondi. Nous proposons, pour chacune d'entre elles, des réponses sur mesure.

Le projet de loi se propose ainsi d'aller plus loin dans la logique de différenciation. Un article rappelle ses fondements, et se traduit par un certain nombre de décisions, offrant notamment davantage de pouvoir normatif aux collectivités. Le débat parlementaire donnera probablement lieu à des amendements susceptibles de l'enrichir. Nous engageons en outre des expérimentations ou des transferts volontaires dans cinq champs de politiques publiques : la transition écologique, les transports, le logement, la cohésion sociale et la santé. Il s'agit de donner la possibilité de décentraliser des compétences, sur la base de la volonté des collectivités territoriales.

En matière de différenciation, outre un titre présentant des outils transversaux pour sa mise en oeuvre, le projet de loi comporte dans chaque titre relatif à une politique publique des propositions de différenciation, par exemple la décentralisation à la carte des routes pour les départements et des routes d'intérêt régional pour les régions. Les départements étaient demandeurs de cette mesure bien que tous ne souhaitent pas l'appliquer. Les petites lignes ferroviaires pouvant dores et déjà être transférées aux régions, nous allons également permettre de les transférer avec les gares. S'agissant du logement, nous allons conduire une expérimentation qui confierait aux villes et métropoles l'intégralité des outils en la matière : les aides à la pierre, à la rénovation énergétique, l'hébergement, le droit au logement opposable (DALO), le contingent préfectoral, etc. L'expérimentation relative à l'encadrement des loyers est également une possibilité que nous offrons, de même que l'expérimentation de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) en contrepartie d'un engagement des départements sur les politiques d'insertion, ainsi que la capacité des collectivités à financer des établissements publics de santé et de recruter du personnel soignant sur les établissements qu'elles gèrent. Le projet de loi offre également une série d'outils dont les collectivités peuvent se saisir, notamment en matière d'urbanisme, par exemple pour réduire le délai de prise de possession des biens sans maître, qui s'établit aujourd'hui à trente ans, et que nous allons abaisser à dix ans. Nous allons également faciliter les expropriations, mais aussi créer une boîte à outils au sujet du problème de trait de côte, qui se pose dans les départements littoraux. Nous allons en outre étendre les opérations de revitalisation du territoire (ORT) existantes.

Enfin, cette loi prévoit également des transferts de compétences : les zones Natura 2000 seront confiées à la région, le département se verra transférer la tutelle des pupilles de l'État, la médecine scolaire sera décentralisée afin de créer un service de santé interne aux départements, la gouvernance des agences régionales de santé (ARS) sera refondue en transformant le conseil d'administration - dans lequel une large place sera laissée aux élus qui sera présidée par le préfet de région, et nous allons également créer une délégation obligatoire aux régions d'une partie des fonds de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), en particulier des fonds chaleur et économie circulaire.

Le projet de loi comporte en outre un titre relatif à la déconcentration, le placement du préfet à la tête de l'Ademe fait l'objet d'un consensus. Il s'agira également d'offrir de nouveaux outils d'ingénierie, comme le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui travaille aujourd'hui essentiellement pour l'État. Il regroupe beaucoup d'ingénierie de qualité, et nous souhaitons donc vous proposer de permettre, par ordonnance, aux collectivités territoriales de s'en servir, sans entrer dans le système du droit à la concurrence.

Enfin, le texte comporte un volet relatif à la simplification : partage de données entre les administrations publiques (afin d'éviter la constitution d'un dossier en doublon), titre relatif aux outre-mer et à leurs réformes, etc.

Je serai à présent ravie de répondre à vos questions.

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