Merci, mes chers collègues, d'être aussi nombreux alors que la séance publique est en cours. « Plus grande est l'incertitude, plus grandes seront nos options de décider. Face aux doutes, on peut parvenir à maîtriser ses peurs et à se saisir de la liberté ainsi offerte pour y déceler les opportunités. L'incertitude est un formidable moteur. » Cette citation de Pierre-Marie Lledo, chercheur en neurosciences à l'Institut Pasteur et au CNRS, éclairera nos échanges, monsieur le ministre. Dans le contexte de très grande incertitude que vivent les Français, et surtout les acteurs économiques, il était essentiel de vous entendre sur les orientations économiques de la politique du Gouvernement, non seulement d'un point de vue conjoncturel, pour faire face à la crise de la covid, mais également d'un point de vue beaucoup plus structurel : non seulement sur l'actualité immédiate - sur le confinement, ou l'absence de confinement - mais sur le long terme.
Vous conviendrez sûrement que, pour que des opportunités deviennent des réalités, il faut probablement réformer notre pays, le rendre plus agile, plus flexible, plus audacieux aussi. Nous devons lui donner une capacité à investir dans des innovations de rupture, en termes de recherche, bien sûr, mais aussi de déploiement. Quelles sont les réformes de structure que vous jugez encore utiles non seulement pour limiter la casse, mais surtout pour relancer l'économie française et améliorer ses performances quand cette crise sera derrière nous ? C'est bien le thème central de cette audition. Bien sûr, nous traiterons de l'actualité, si vous le souhaitez, mais je souhaiterais vous entendre avant tout sur la préparation de l'après-crise, qui nous laissera vraisemblablement avec un million, ou plus, de chômeurs supplémentaires, des bouleversements structurels majeurs de notre économie et une compétition internationale de plus en plus féroce dans ses méthodes.
Je vous propose d'organiser nos échanges de la manière suivante : je vais commencer par vous interroger sur la politique économique générale et quelques grands dossiers industriels, puis les membres de la commission vous interrogeront à leur tour selon une formule un peu différente de celle dont nous avons l'habitude, puisque nous procéderons par questions et réponses directes, avec des interventions brèves, auxquelles je vous invite à répondre également de manière brève. Afin que chacun puisse s'exprimer dans le temps imparti, et pour éviter les frustrations occasionnées par des auditions précédentes, j'invite chaque collègue, au nom d'une forme de solidarité entre nous, à n'intervenir que pendant deux minutes au maximum, et à ne pas reposer des questions qui auraient déjà été posées.
L'évolution de la pandémie de covid-19 et la possibilité d'un nouveau confinement font obstacle à la reprise rapide que vous anticipiez il y a encore quelques mois. Elles invalident surtout les prévisions économiques faites pour le budget 2021 et le plan de relance. Quelles conséquences en tirez-vous ? Faut-il doubler la mise du plan de relance ? C'est ce qu'a proposé Xavier Ragot, le président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui souligne que l'opération est désormais possible puisque le coût du service de la dette diminue. Faut-il croire Olivier Blanchard, auquel le Président de la République a confié un rapport, attendu en mars, sur l'économie post-covid ? Il parle d'un nouveau paradigme budgétaire. Au fond, peut-on dire qu'il n'y a plus de limites budgétaires ? Dans ce cas, comment ne pas répondre aux revendications, souvent justifiées, des uns et des autres ? Je pense notamment aux nouveaux secteurs touchés par la crise, mais aussi aux différents services publics qui ont été lourdement sollicités ces derniers mois, comme les hôpitaux ou la police, ou aux différentes priorités pour l'avenir de notre pays, parmi lesquelles figurent les nouvelles technologies, la transition énergétique, le spatial et bien d'autres domaines encore. En résumé : jusqu'où va le « quoi qu'il en coûte » ?
Deuxième sujet : notre souveraineté industrielle. L'une des premières leçons de la crise est la nécessité de promouvoir l'innovation française dans des secteurs vitaux pour la Nation. Or, lorsque l'on voit les difficultés de Sanofi, ou qu'on apprend l'abandon du principal projet de vaccin de l'Institut Pasteur, on a le sentiment qu'en France, nous avons du mal à transformer le résultat de nos recherches en développement industriel. Quand on le fait, comme dans le cas de la société Valneva, de Loire-Atlantique, issue de l'Institut national de la recherche agronomique (Inrae), cela profite finalement peu à la France : en 2021, les vaccins de cette société bénéficieront exclusivement à la Grande-Bretagne ! Comment expliquez-vous cette situation ? Plus généralement, cela fait plusieurs années que les entreprises de la biotechnologie nous alertent sur l'absence d'un marché de capital-risque suffisant pour leur développement. Pensez-vous avoir fait suffisamment pour qu'émerge un écosystème favorable à ce type d'entreprises innovantes ? Celles-ci se délocalisent encore aujourd'hui aux États-Unis pour trouver des investisseurs. Ainsi, de Moderna, que nous aurions bien aimé garder en France...
Le Gouvernement a annoncé la semaine dernière l'abandon de la session des Chantiers de l'Atlantique à Fincantieri. Notre commission s'en réjouit, mais le dossier est loin d'être clos. Selon la presse, vous auriez créé une cellule chargée d'étudier un projet alternatif. Comment cette cellule est-elle composée ? Les élus des territoires, les sous-traitants y sont-ils associés ? Quel avenir envisagez-vous pour les Chantiers ? Peut-on envisager de mettre en place ce que nous appelions de nos voeux, c'est-à-dire un capitalisme qui redonne aux collectivités territoriales un rôle plus important en matière économique ?
Vous vous êtes opposé au rapprochement entre Carrefour et Couche-Tard, entraînant l'abandon de ce qui était à peine un projet. Vous avez évoqué des inquiétudes relatives à la sécurité alimentaire, considérée comme stratégique pour la Nation. Pourtant, le Canada est un pays ami, avec lequel l'Union européenne a récemment signé le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), traité de libre-échange que vous soutenez fermement. La semaine dernière, Alstom a finalisé le rachat de Bombardier, une entreprise canadienne, qui était en discussion depuis plus d'un an, et ce mariage s'est réalisé sans obstacle. Votre intervention dans ce dossier ne risque-t-elle pas d'avoir des conséquences sur d'autres dossiers, sur nos relations économiques avec le Canada et, plus généralement, sur l'attractivité de notre pays pour les investisseurs ?
Je voudrais également évoquer l'accord de principe conclu ce mois-ci entre l'Union européenne et la Chine en matière d'investissements. Les uns présentent cet accord comme une opportunité à saisir pour les Européens, avec l'ouverture du marché chinois ; les autres le voient comme une porte grande ouverte pour les acquisitions prédatrices chinoises. Nous entendons qu'il est très bon pour l'Allemagne et pour son industrie automobile. Qu'en est-il pour nos entreprises et notre territoire ? Les deux tiers des investissements chinois en Europe seraient le fait d'entreprises d'État. Cela ne représente-t-il pas de vrais risques en matière de souveraineté ?
Je souhaite aussi évoquer le document de travail sur le projet d'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur. Quelle est la position du Gouvernement sur cet accord ? Envisagez-vous vraiment de l'accepter sans le renégocier en profondeur ?
Sur tous ces sujets, je vous rappelle que la loi Pacte oblige le Gouvernement à remettre au Parlement un rapport annuel sur son action en matière de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation, et plus particulièrement sur le filtrage des investissements étrangers. Depuis l'adoption de cette loi, le Gouvernement n'a pas été inactif : il a abaissé le seuil de contrôle des opérations et élargi le champ des secteurs stratégiques. Mais le Parlement n'a pas reçu ce rapport, malgré plusieurs rappels ! Nous comprenons que l'actualité est chargée, mais auriez-vous la gentillesse de nous indiquer quand nous le recevrons ?
Enfin, je voudrais dire quelques mots du rapprochement entre Veolia et Suez, qui est entré dans une nouvelle phase, puisqu'un projet alternatif a été mis sur la table par les fonds Ardian et GIP. Quels sont le rôle et l'objectif de l'État dans ce dossier ? Après sa volte-face sur la cession des parts d'Engie, puis sa relative impuissance à faire naître une discussion amicale, continuez-vous à pousser les deux entreprises au dialogue ? Le cas échéant, Bpifrance ou la Caisse des dépôts seraient-elles prêtes à participer à un tour de table pour soutenir un projet alternatif pour Suez ?