Intervention de Martin Richer

Délégation aux entreprises — Réunion du 28 janvier 2021 à 9h40
Table ronde sur « les nouveaux modes de travail et de management »

Martin Richer, fondateur et dirigeant de Management & RSE :

Aujourd'hui, le management est à la croisée des chemins. J'ai travaillé dans diverses entreprises françaises, des multinationales américaines, en Grande-Bretagne, etc. J'ai occupé différents postes de manager et dirigeant. J'ai donc observé plusieurs contextes de management. De plus, je suis administrateur et j'ai piloté des projets et rapports pour « Terra Nova ».

Avec ces rapports, nous avons mis en lumière le rôle des managers de proximité dans la mise en oeuvre de conditions de travail aussi vertueuses que possible. Plus récemment, nous avons rédigé deux rapports sur le passage brutal au télétravail. Pour rappel, avant la crise, 3 % des salariés travaillaient plus d'un jour ou deux par semaine depuis leur domicile. Ils sont désormais 30 %.

Le management a été mis en tension et à l'épreuve. Warren Buffet disait que quand la marée se retire, nous distinguons les personnes nageant sans maillot. Quand le télétravail se répand, alors nous observons les managers incapables d'apporter un leadership et un soutien professionnel à leurs collaborateurs.

Ce management souffre à la fois d'une crise de légitimité et de désirabilité. Au sein des entreprises françaises, 62 % des non-managers ne désirent pas occuper ces fonctions (baromètre de la Cegos sur le management). Ce chemin vers le management n'est plus désirable et désiré, voire repousse. Or un corps social va à sa perte s'il n'est plus capable de générer lui-même ses élites. La question se pose quant aux raisons de cette situation. Sans réponse, les entreprises seront en difficulté.

Le malaise des managers et des non-managers n'est pas nouveau. Dès 2009, l'APEC (Association pour l'emploi des cadres) - qui accompagne les cadres dans leur mobilité professionnelle - rendait compte de ce phénomène dans une enquête de terrain. En effet, selon cette étude, la moitié des salariés du secteur privé ne souhaitait pas devenir un jour cadre. En 2011, une étude de l'association « Entreprise et Personnel » met en avant des signes de désengagement croissant, voire d'un certain mal-être, des managers de proximité. En 2012, le CEREQ (Centre d'études et de recherches sur les qualifications) publiait une étude nommée « Devenir cadre, une perspective pas toujours attrayante ». En s'appuyant sur ces études, les psychologues et sociologues du travail ont présenté les difficultés d'être manager à l'heure actuelle. François Dupuy en rend compte au fil de ses ouvrages. Michel Croizer, dans son ouvrage de 1963, pointait déjà le retard de management à la française. Il critiquait la « pensée unique managériale », les modèles de gestion archaïques, hiérarchiques, autoritaires, etc.

Nous n'arrivons pas à résoudre ce problème en France. Cette problématique de l'ampleur du nombre des salariés ne souhaitant pas devenir managers est plus forte dans les sociétés latines (France, Italie, Espagne et Portugal) que dans le contexte anglo-saxon. Mais alors pourquoi ?

L'intérêt financier ne permet plus de recruter des managers, bien que cet avantage soit compris des salariés. Les autres avantages de la fonction (gain de responsabilités, participation à la prise de décision et délégation du travail à son équipe) sont beaucoup moins valorisés.

En effet, le management est encore très taylorien en France et bien plus hiérarchisé que dans d'autres pays. Un sociologue néerlandais a réalisé des études sur « la distance hiérarchique », c'est-à-dire la distance placée entre le salarié et ses chefs. Cette dernière se base sur la rémunération, le statut et les responsabilités. Cette distance est plus forte en France que dans les pays anglo-saxons, mais aussi vis-à-vis des autres pays de l'Europe latine ou du Japon - qui est un pays pourtant très hiérarchisé.

Les collaborateurs envisagent la fonction de manager comme un inconvénient qui s'accompagne d'un surcroît de pression. La responsabilité du travail de ses collègues s'accompagne d'un accroissement de la charge de travail. De facto, le manager doit être en permanence connecté.

Le management doit cesser d'être perçu comme un agent emprisonnant les managers dans des tâches de contrôle et de reporting. Toutefois, aujourd'hui, cet enfermement dans le taylorisme oblige les managers à réaliser du reporting auprès de leur propre chef, puisque ce dernier ne comprend plus les contraintes et réalisations du travail. Nous devons opérer la transition vers un management reposant sur l'adhésion et la participation des salariés, et leur offrant plus d'autonomie et de soutien professionnel.

Pour remédier au problème, nous devons travailler sur les attendus du management. Qu'attendent les collaborateurs de leur manager ? Qu'attend le manager de son dirigeant ? etc. Une charte managériale peut être créée. Elle documente les attendus de chacun et permet d'alléger ces tâches de reporting et contrôle, au profit de tâches plus valorisantes (participation au projet de développement de l'entreprise et soutien professionnel des collaborateurs).

En outre, de nombreux collaborateurs estiment manquer de compétences pour devenir managers. En France, nous accusons une faiblesse dans la formation au management. Nous n'apprenons pas aux managers à encadrer des personnes et leur travail. Les collaborateurs sont promus managers parce qu'ils sont très performants dans leur métier, et non parce qu'ils présentent un intérêt pour les autres.

La question de la parité professionnelle se pose également. La plupart des obstacles pour obtenir un poste de manager sont plus forts pour les femmes (équilibre vie professionnelle-vie personnelle, tendance à s'estimer incompétentes, etc.). Une enquête européenne (Eurofound) a montré qu'en France, l'écart entre la proportion de femmes respectivement parmi les salariés et parmi les managers est plus important que dans d'autres pays. Il est donc plus difficile de devenir manager pour une femme en France, et ce, quelle que soit la strate de management.

De plus, l'un des freins vers cette ascension professionnelle réside dans le manque de reconnaissance de cette fonction. Les managers sont peu évalués sur leurs qualités managériales mais plutôt sur leurs objectifs quantitatifs. Un véritable changement doit être conduit.

Enfin, nous assistons à un déficit de sens. Deux questions se posent au sein des entreprises : quel est le sens du travail dans l'entreprise et quel est le sens de l'entreprise dans la société ? À l'articulation de ces problématiques se pose le management. Il est nécessaire de remettre du sens pour améliorer ce management et attirer les collaborateurs vers cette fonction. Le rôle du manager de proximité est essentiel. Il contribue à la qualité de vie dans les entreprises et à la santé au travail.

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