Intervention de Jean-Emmanuel Ray

Délégation aux entreprises — Réunion du 28 janvier 2021 à 9h40
Table ronde sur « les nouveaux modes de travail et de management »

Jean-Emmanuel Ray, professeur à l'École de Droit de Paris I - Sorbonne, spécialiste en droit du travail :

En tant qu'enseignant, je vois les jeunes générations passer devant moi. Une différence se pose entre ma génération et celle des jeunes. Quand je suis sorti de la faculté, je n'ai pas pensé une seconde à être au chômage un jour. Or à l'heure actuelle, même les étudiants sortant des plus grandes universités enchaînent des CDD (Contrats à durée déterminée) ou sont au chômage. Les jeunes ont parfaitement intégré cette précarité dans leur environnement. Ils accumulent les CDD et les préoccupations environnementales leur sont quasi vitales. Par exemple, en 2040, pourrai-je encore vivre sur la Terre ?

Par ailleurs, nous ne pouvons plus dire à la génération actuelle, plus diplômée : « bosse et tais-toi ».

Les idées reçues sur les jeunes sont à éviter. Il est courant de dire qu'ils sont fainéants. Or la proportion de paresseux n'y est pas plus forte que dans d'autres générations. Ils sont fainéants parce que leur travail n'a pas de sens. Nous entendons également dire qu'ils sont individualistes. Pourtant, les jeunes Français sont les plus engagés d'Europe. Néanmoins, avant, les jeunes s'engageaient sur le long terme. Par exemple, le délégué syndical savait qu'il consacrerait sa vie à la cause. Désormais, les jeunes s'engagent plus fortement mais sur des temps ponctuels. Ils ont intégré la précarité. Enfin, cette génération a dit tout haut ce que nous les anciens, avons pensé tout bas. Vingt ans auparavant, la priorité se posait sur la vie professionnelle. Aujourd'hui, les revendications portent sur l'augmentation de marges de manoeuvre et d'autonomie. IG Metall a fait un sondage. Les militants ne désirent pas ces 3 % d'augmentation offerts par la direction, mais préfèrent avoir plus du temps pour eux et leur famille. Néanmoins, cet équilibre de vie recherché s'adresse aux personnes diplômées qui cherchent une stabilité.

En outre, le télétravail peut être un outil pour les seniors proches de la retraite. Il permet en effet de retrouver un équilibre plus en douceur. Toutefois, ce télétravail pose problème pour les syndicats, en ce qu'il entraîne une individualisation. Or pour faire entendre leurs voix, le collectif est une nécessité organisationnelle. Individuellement, il est impossible de négocier. Le syndicalisme doit être remis en question. Cet électrochoc provoqué par la crise peut l'amener à reprendre de la force.

Enfin, si je peux me permettre pour illustrer un de mes propos, M. Gay, je suis inspecteur du travail et vous êtes en télétravail, j'aperçois une ligne électrique non protégée derrière vous ! Comme vous le constatez, le télétravail s'introduit dans l'espace privé des collaborateurs.

Ces spécificités évoquées aujourd'hui ne sont pas nouvelles. Alfred de Musset écrivait en 1840 dans La Confession d'un enfant du siècle : « Les anciens temps ne sont plus. Le nouveau temps n'est pas advenu. Voilà le secret de nos maux. »

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