Intervention de Elsa Schalck

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 3 février 2021 à 10h50
Projet de loi habilitant le gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage — Examen du rapport et élaboration du texte de la commission

Photo de Elsa SchalckElsa Schalck, rapporteur :

Le 11 janvier dernier, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) recevait un courrier de la part de l'Agence mondiale antidopage (AMA) constatant les manquements de notre pays dans la transcription en droit français du dernier code mondial antidopage, entré en vigueur le 1er janvier 2021. L'AMA a ainsi adressé à l'organisation antidopage française un rapport de mesure corrective qui qualifie de « critique » cette irrégularité, soit le plus haut niveau de gravité dans l'échelle de l'AMA, et indique que l'AFLD dispose d'un délai de trois mois, jusqu'au 12 avril 2021, pour se mettre en conformité.

Que risquent nos sportifs à l'issue de ce délai ? Selon l'AFLD, les sanctions encourues pourraient être les plus lourdes de l'arsenal à disposition de l'AMA, à savoir tout simplement une exclusion des sportifs français des compétitions internationales. Au-delà de cette menace « atomique », sachant que les procédures prévues par l'AMA comportent plusieurs étapes, il ne faut pas non plus négliger les dégâts en termes d'image une fois les sanctions devenues publiques.

Je rappelle que le statut privé de l'AMA a pour conséquence que ses décisions ne sont pas contraignantes pour les États. Cependant, la France a ratifié la convention internationale contre le dopage adoptée sous l'égide de l'Unesco en 2005, dont l'article 3 dispose que « les États parties s'engagent à adopter des mesures appropriées aux niveaux national et international qui soient conformes aux principes énoncés dans le code ». La France est donc obligée de modifier sa législation et il y a urgence à agir. C'est pourquoi le Gouvernement a déposé au Parlement, voilà bientôt un an, le 19 février 2020, un projet de loi l'habilitant « à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage ».

Le recours aux ordonnances est une procédure à laquelle on recourt habituellement afin de mettre en conformité notre ordre juridique avec les révisions successives du code mondial antidopage. Le délai prévu pour la mise en oeuvre du nouveau code, adopté en novembre 2019, était très bref, mais il aurait sans doute pu être tenu sans la crise sanitaire. L'encombrement de l'ordre du jour parlementaire que nous connaissons depuis la reprise de nos travaux a compliqué la tâche du Gouvernement pour assurer la transcription de cette nouvelle version. Même si nous n'aimons pas la multiplication des recours aux ordonnances, il faut bien convenir que, dans la situation présente, cet outil apparaît adapté pour éviter que le sport français soit durement sanctionné.

Les auditions que j'ai menées m'ont permis d'établir que le travail sur la rédaction de l'ordonnance était déjà bien avancé - à 90 % selon la présidente de l'AFLD - et que les services du ministère avaient également commencé à préparer les dispositions d'application réglementaire. Subsistent néanmoins quelques points d'achoppement, que je vous proposerai d'essayer de lever par nos travaux.

Nous avons besoin que la ministre des sports prenne des engagements sur deux sujets en particulier : le statut du nouveau laboratoire antidopage et les pouvoirs d'enquête de l'AFLD. Seule une clarification des intentions du Gouvernement sur ces deux points pourrait, à mon sens, justifier un vote conforme au Sénat.

J'en viens tout d'abord au contenu de l'habilitation qu'il nous est proposé d'adopter. L'article unique du projet de loi comprend trois paragraphes.

Le premier paragraphe autorise le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance en matière de lutte contre le dopage afin de poursuivre trois objectifs distincts, mais complémentaires. Premièrement, le recours à la législation déléguée doit permettre d'assurer la mise en conformité du droit interne avec les principes du code mondial antidopage, dont l'Assemblée nationale a précisé par voie d'amendement qu'il s'applique à compter du 1er janvier 2021. Deuxièmement, l'ordonnance doit permettre de définir le nouveau statut du laboratoire dont le code mondial antidopage prévoit qu'il doit être dorénavant séparé de l'agence. Troisièmement, il reviendra également au Gouvernement de renforcer l'efficacité du dispositif de lutte contre le dopage en facilitant le recueil d'informations par l'AFLD et la coopération entre les acteurs, l'Assemblée nationale ayant précisé par voie d'amendement que ces nouvelles dispositions devaient être conformes aux principes constitutionnels et conventionnels en vigueur sur le territoire de la République.

Ces trois objectifs dessinent en réalité un changement de nature de la lutte antidopage : alors que la réglementation avait eu pour effet, ces dernières années, de dessaisir les fédérations de la lutte antidopage, les nouvelles dispositions doivent permettre de créer une politique de lutte contre le dopage beaucoup plus collaborative entre les différents acteurs du monde du sport.

Les aspects répressifs, qui relèvent de la justice sur le volet pénal et de l'AFLD sur le plan administratif, doivent effectivement être complétés par la mise en place d'une vraie politique d'information, de formation et de prévention associant l'ensemble des acteurs. C'est là que réside le vrai défi. Le changement de nature de la politique antidopage tient également dans la nécessité de renforcer les moyens d'action de l'AFLD, aujourd'hui inexistants dans le champ des enquêtes, et de mieux associer les différents opérateurs du sport à l'application des sanctions. Renforcer les pouvoirs d'enquête de l'AFLD, c'est défendre l'éthique du sport et l'efficacité de la politique de lutte contre le dopage.

Sans être considérables, les apports du nouveau code mondial antidopage n'en sont pas pour autant négligeables.

Concernant les violations des règles antidopage, les dispositions protégeant les personnes qui dénoncent des faits de dopage aux autorités sont renforcées. En matière de substances interdites, une nouvelle catégorie est créée concernant les stupéfiants pour adapter les sanctions selon que les substances ont été utilisées ou non dans un contexte sportif. Une évolution tout à fait essentielle concerne le laboratoire, qui doit dorénavant être administrativement et opérationnellement indépendant de toute organisation antidopage. En conséquence, le laboratoire de Châtenay-Malabry, qui est depuis 2006 un département de l'AFLD, ne peut plus être administré par l'agence et doit relever d'une autre entité juridique, afin de prévenir tout conflit d'intérêts.

Concernant les sanctions d'interdiction, de nombreux ajustements sont réalisés à la hausse ou à la baisse. Le nouveau code ouvre également la possibilité d'adapter les sanctions pour une nouvelle catégorie concernant les « sportifs de loisir », au motif qu'ils n'ont pas nécessairement eu connaissance des règles applicables dans les mêmes conditions que les sportifs de haut niveau. Il réintroduit la notion de « circonstances aggravantes » et prévoit une réduction de la durée d'interdiction pour aveu rapide et acceptation des conséquences.

Enfin, le nouveau code mondial antidopage prévoit un dispositif d'effet automatique des décisions prises par des organismes antidopage sur les activités relevant des autres signataires - en l'espèce, les fédérations internationales. Il rappelle également le rôle de l'éducation dans les programmes antidopage.

En résumé, les apports du nouveau code me semblent rechercher une meilleure efficacité sur de nombreux aspects. Cela peut passer par le durcissement des sanctions ou, au contraire, par leur adaptation pour les rendre plus effectives. L'éducation devient par ailleurs clairement une priorité.

J'en viens aux conséquences des apports du nouveau code sur les différents acteurs, à savoir les fédérations sportives, l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), mais aussi l'Agence nationale du sport (ANS).

Compte tenu du changement de nature de la politique antidopage, l'ensemble de ces acteurs vont devoir très clairement se réapproprier cette priorité qu'ils ont un peu perdue de vue depuis 2018, lorsque l'AFLD s'est vue reconnaître un rôle exclusif dans la mise en oeuvre de la politique de contrôle.

Lors de la table ronde que j'ai organisée avec plusieurs fédérations sportives - football, rugby, athlétisme, gymnastique, cyclisme - pour connaître leur niveau d'implication, j'ai été surprise de constater que les fédérations étaient aujourd'hui « désarmées » et que leur rôle se limitait pour l'essentiel à coopérer avec l'AFLD. Or l'expérience de ces dernières années a montré que les organisations nationales antidopage ne pouvaient seules conduire cette politique dans toutes ses dimensions si l'on souhaitait faire face aux moyens considérables mobilisés par les contrevenants. Reconstruire une compétence et des équipes pour s'occuper de ce sujet est aujourd'hui un défi pour les fédérations.

Je crois qu'elles y sont prêtes, mais nul doute qu'elles auront besoin d'aide, de la part de l'ANS notamment. Il est en particulier fondamental que les fédérations soient étroitement associées à l'exécution des décisions de l'AFLD, ce qui nécessite une modification législative. Aujourd'hui, par exemple, une fédération n'a pas le droit d'informer un club de la sanction qui affecte un athlète. Or le nouveau code prévoit que tous les signataires du code mondial, soit également les fédérations internationales, sont comptables de l'application des décisions des organisations antidopage, ce qui crée, par construction, une obligation nouvelle pour les fédérations nationales qui en dépendent. Avec l'ANS et l'Insep, c'est un véritable écosystème qu'il convient de mettre en place pour être efficace contre le dopage.

J'en viens à la question du nouveau laboratoire de l'AFLD. Celui-ci est appelé à rejoindre le giron de l'université de Paris-Saclay, plus particulièrement sa faculté de pharmacie, qui déménage également dans l'Essonne. Ce déménagement a été soutenu depuis plusieurs années par nos collègues qui suivent les questions relatives au sport, notamment Jean-Jacques Lozach, Michel Savin et Claude Kern. Ce projet indispensable a mis du temps à aboutir. Malheureusement, l'audition de Sylvie Retailleau, présidente de l'université de Paris-Saclay, a mis en évidence plusieurs zones d'ombre, qu'il est urgent de demander à la ministre des sports de lever.

Alors qu'il est prévu que le laboratoire rejoigne administrativement l'orbite de la faculté dès le 1er novembre 2021, il ressort des auditions que les conditions de cette intégration ne sont toujours pas réunies. Le modèle économique n'a pas été arrêté et aucune garantie n'a été apportée à l'université concernant la compensation des charges, en particulier en ce qui concerne le coût des fonctions support. Or l'université n'a clairement pas les moyens de prendre à sa charge ces dépenses nouvelles.

Je souhaite vivement que la ministre des sports s'engage sur les garanties attendues par l'université d'ici au débat prévu dans deux semaines au Sénat et je crois, monsieur le président, qu'il pourrait être utile que vous relayiez auprès d'elle notre préoccupation. Cette question de l'intégration du laboratoire au sein de l'université de Paris-Saclay se situe au coeur de trois de nos compétences : le sport, la recherche et l'enseignement supérieur. Nous sommes donc parfaitement légitimes à demander des réponses pour lever tout malentendu.

Le second sujet sur lequel nous devons obtenir des précisions de la part du Gouvernement concerne le renforcement des pouvoirs de contrôle de l'AFLD. La formulation de l'habilitation est ambiguë, puisqu'elle évoque simplement la nécessité de faciliter le recueil d'informations par l'AFLD. Cette formulation relève plus de la litote que d'un engagement clair du législateur à doter l'agence des compétences qui lui manquent. J'aurais préféré que les termes de la loi d'habilitation soient beaucoup plus précis et ambitieux, d'autant plus que se cache, derrière cette formulation très générale, un débat persistant entre le ministère des sports et la chancellerie sur les pouvoirs qui pourraient être accordés à l'AFLD.

L'agence ne dispose pas actuellement de pouvoirs d'enquête pour la recherche et le constat de manquements administratifs. Sa capacité d'action se limite à un pouvoir de contrôle, à travers la réalisation de prélèvements biologiques. Comme nous l'a indiqué la présidente de l'agence, l'impossibilité de mener des enquêtes administratives constitue une carence très préjudiciable pour la lutte contre le dopage, puisque 90 % des violations des règles antidopage ne peuvent être démontrées par des analyses de laboratoire. Les contrôles antidopage ne permettant pas de mettre en évidence l'ensemble des violations des règles antidopage prévues par le code du sport, l'AFLD a demandé à être dotée d'un pouvoir de procéder à des enquêtes administratives, comparable à celui dont disposent d'autres autorités indépendantes, comme l'Autorité des marchés financiers.

Il me paraît très important que les termes de l'ordonnance permettent de consacrer ce pouvoir d'enquête administrative. Selon l'agence, ses agents assermentés doivent pouvoir se faire communiquer tout document relatif aux nécessités de l'enquête en cours. Ils doivent avoir la possibilité de convoquer et d'entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations utiles à l'enquête administrative. Ils doivent ensuite pouvoir accéder aux locaux à usage professionnel où se déroulent les activités sportives dans les mêmes conditions que pour les contrôles antidopage. Il leur est également nécessaire de pouvoir faire usage d'une identité d'emprunt pour accéder aux informations et éléments disponibles sur internet concernant des produits ou des méthodes interdits. Je sais que cette faculté fait débat aujourd'hui, mais je rappelle que beaucoup des violations des règles trouvent leur origine dans des « conseils » donnés sur internet par des « coachs ». Les enquêteurs ne peuvent évidemment pas utiliser leur identité réelle pour démarcher ces sites spécialisés !

L'AFLD souhaite également que ses agents puissent se faire communiquer des données par les opérateurs de télécommunication compte tenu de l'importance prise par les messageries cryptées dans les trafics de substances illicites. Il lui paraît également indispensable de disposer d'un pouvoir d'effectuer des visites en tous lieux sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD).

Sur cette question des pouvoirs d'enquête demandés par l'AFLD, des points de blocage sont apparus dans les échanges menés entre les ministères des sports et de la justice.

Nos débats au Sénat montrent que le législateur est parfaitement conscient de la nécessité de mieux armer l'AFLD pour combattre les comportements répréhensibles, mais aussi pour protéger les sportifs, y compris contre eux-mêmes, compte tenu des tentations qui existent sur internet. Là encore, il me semblerait souhaitable, monsieur le président, que notre commission obtienne des engagements de la part du Gouvernement sur le fait que l'ordonnance accordera à l'AFLD deux compétences indispensables pour conduire des enquêtes administratives : le pouvoir de convocation et la capacité à utiliser une identité d'emprunt et à réaliser des « coups d'achat ».

Mes chers collègues, vous aurez compris que le projet de loi que nous devons examiner aujourd'hui constitue d'abord pour moi une source d'interrogations. Certes, nous pouvons comprendre que le Gouvernement ait été empêché par la crise sanitaire de conduire un débat qui nous aurait permis d'adapter notre législation au nouveau code mondial antidopage. Il est moins acceptable que le projet de loi d'habilitation reste très flou sur des aspects essentiels. Nous savons que l'ambiguïté en cette matière cache souvent une absence d'arbitrage au sein du Gouvernement.

Le texte de l'habilitation qui nous est proposé n'apporte pas toutes les réponses attendues. Si je vous propose aujourd'hui de l'adopter, c'est pour mieux nous donner le temps, d'ici au débat en séance publique, qui aura lieu dans deux semaines, d'obtenir des garanties plus fermes sur les deux points qui nous préoccupent le plus : les moyens dont disposera l'université de Paris-Saclay pour développer le nouveau laboratoire antidopage et le détail des pouvoirs d'enquête administrative qui seront accordés à l'AFLD. Ces précisions doivent être la condition d'un vote sans modification par le Sénat.

Le dialogue avec le ministère des sports continue. Il est dense et confiant, mais il doit désormais aboutir dans les meilleurs délais. Sous ces réserves, je vous propose pour l'heure d'adopter ce projet de loi sans modification.

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