Je suis très heureux d'être ce matin parmi vous pour parler d'un texte aussi important. Je veux remercier le Sénat pour son accueil et plus particulièrement son rapporteur, Mme Agnès Canayer, avec qui j'ai pris beaucoup de plaisir à travailler.
Le Sénat a considérablement enrichi le texte transmis par l'Assemblée nationale ; nos discussions ont mis en évidence de nombreux points de convergence. Je veux saluer l'esprit d'ouverture dont a fait preuve Mme le rapporteur, qui a permis au texte voté par le Sénat de refléter les différentes sensibilités politiques sur le sujet qui nous occupe.
Il nous est demandé de ratifier une ordonnance qui élabore un nouveau code. Il arrive que les ratifications ou les codifications ne soient qu'une formalité, mais, dans le cas présent, l'ensemble du code a pu être discuté et amendé, y compris les dispositions codifiées à droit constant.
Cet examen est intervenu dans le prolongement d'une série de travaux préparatoires. Je rappellerai la mission d'information du Sénat sur la réinsertion des mineurs enfermés, menée par Catherine Troendlé et Michel Amiel, et celle de l'Assemblée nationale sur la justice pénale des mineurs, conduite par Cécile Untermaier et moi-même. Cette réforme a été coconstruite avec le Gouvernement, au travers d'un groupe de travail, puis d'un groupe de contact transpartisan. Cela nous a permis d'avoir un débat constructif et apaisé dans nos deux assemblées, malgré la sensibilité de ce sujet, qui avait fait reporter cette réforme à plusieurs reprises. Je salue à cet égard le courage politique de notre ancienne garde des sceaux, Mme Nicole Belloubet.
Cette ambition a également présidé à la préparation de cette commission mixte paritaire. Nous avons pu, par des efforts conjoints, trouver les compromis qui nous permettront d'aboutir à un accord, comme cela a été souvent le cas depuis le début de la législature. J'y vois la preuve de l'esprit de responsabilité et de consensus du Parlement, dont je ne peux que me féliciter.
Permettez-moi donc de vous présenter les éléments sur lesquels nous sommes tombés d'accord et les quelques points qui restent en suspens, mais sur lesquels nos échanges permettront de trouver une solution. Rappelons que l'essentiel du texte a été adopté par nos deux chambres en des termes identiques. Seules les différences entre nos deux textes nous intéressent ici !
Plusieurs apports du Sénat nous ont semblé très opportuns. C'est le cas de l'introduction de la définition du discernement à l'article 1er ter A, qui devait intervenir au niveau réglementaire, mais qu'il nous semble plus judicieux d'inscrire dans la loi, tant il s'agit d'un pilier fondateur de la nouvelle architecture du code.
Il était également judicieux de rappeler la possibilité de numériser le dossier unique de personnalité et d'y donner accès au personnel du secteur associatif habilité ; cela permettra de faciliter la circulation des informations entre les nombreux acteurs de la justice des mineurs. Sur ce point, je vous présenterai une nécessaire précision de rédaction, qui ne porte aucunement atteinte au sens de la disposition adoptée par le Sénat.
Dans un souci de clarification, nous avons également jugé pertinent l'ajout de deux dispositions. D'une part, le Sénat a souhaité que la date de mise en place des mesures éducatives soit communiquée au mineur à l'issue de son audience de culpabilité. Nous avions eu un débat à l'Assemblée nationale quant à la manière d'accélérer la prise en charge éducative du mineur ; il me semble que cette solution répond à nos inquiétudes. D'autre part, le Sénat a souhaité permettre que la convocation des représentants légaux se fasse « par tous moyens » ; cela me semble répondre à l'exigence de souplesse nécessaire au bon fonctionnement de la justice des mineurs.
Enfin, le Sénat a adopté deux dispositions qui protégeront nos mineurs et faciliteront leur réinsertion : l'obligation de disposer des réquisitions du parquet pour placer un mineur sous contrôle judiciaire, quel que soit le stade de la procédure, et l'effacement simplifié des dispenses de mesure et des déclarations de réussite dans le casier judiciaire.
Sur l'ensemble de ces points, j'estime que nous pouvons retenir les avancées adoptées par nos collègues sénateurs. En revanche, je suis attaché au rétablissement de deux mesures qui ont été supprimées et à l'abandon de deux dispositifs adoptés par le Sénat.
Premièrement, le Sénat a souhaité supprimer la compétence du tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes, au profit du juge des enfants. Je partage le souhait de préserver, autant que possible, la spécialisation des juridictions pour mineurs, principe à valeur constitutionnelle. Toutefois, cette suppression risque d'alourdir considérablement l'office des juges des enfants, en leur confiant environ 5 000 affaires supplémentaires par an, affaires de gravité limitée. C'est pourquoi je vous proposerai de rétablir la compétence du tribunal de police.
Deuxièmement, je suis attaché à ce que nous rétablissions la compétence du JLD en matière de détention provisoire des mineurs. Notre divergence n'est pas aussi profonde qu'il y paraît. En effet, l'Assemblée nationale, par un amendement de la majorité, a souhaité confier la décision de placement en détention provisoire au JLD alors que le nouveau code, dans sa version initiale, confiait cette tâche au même juge des enfants que celui qui était amené à se prononcer sur la culpabilité du mineur. Il nous a semblé qu'il y avait là un risque de porter atteinte à l'impartialité du juge. Le Sénat, également soucieux des principes du procès équitable, a retenu une autre option, que nous avions également envisagée, consistant à confier la mise en détention provisoire à un autre juge des enfants, au nom de la spécialisation. Cette solution présente néanmoins un inconvénient : de nombreuses juridictions n'ont qu'un seul juge des enfants. Or le JLD, même s'il est moins spécialisé en matière de justice des mineurs, est un expert des questions de détention ; il est donc apte à prendre ce type de décision. J'espère que nos collègues sénateurs accepteront cette proposition, qui va dans un sens similaire au leur et représentera, quoi qu'il arrive, un apport considérable du Parlement par rapport au texte initial.
Troisièmement, le Sénat a adopté un article 3 bis A qui confie aux établissements du secteur associatif habilité une compétence de principe en matière d'exécution des mesures, équivalente à celle de la protection judiciaire de la jeunesse. Je ne veux pas minimiser l'importance de la contribution du secteur associatif habilité à la justice des mineurs : ils en sont un acteur essentiel. Je suis d'ailleurs pleinement d'accord pour leur accorder un meilleur accès au dossier unique de personnalité. En revanche, confier des mesures de sûreté ou des peines à ce secteur pose difficulté, car il s'agit d'une mission régalienne de l'État qui ne saurait être confiée au secteur privé. En outre, la DPJJ ne possède pas de pouvoir d'instruction à l'égard du secteur associatif habilité, mais seulement un contrôle via l'habilitation et la tarification, ce qui pourrait être insuffisant pour l'exécution de telles mesures. Cette modification est donc source de difficultés juridiques et pratiques.
Enfin, le Sénat a souhaité rétablir la remise à parents. Dans un souci de simplification et de lisibilité, le code rassemble l'ensemble des avertissements judiciaires dans une seule catégorie. Je rappelle que la remise à parents est une expression symbolique qui désignait un entretien du juge avec le mineur et ses représentants légaux. C'est ce en quoi consistera l'avertissement judiciaire. Je ne crois donc pas que cet ajout soit nécessaire, même si je partage l'importance d'impliquer les parents dans la procédure judiciaire de leur enfant.
Sur tous ces points, j'espère avoir convaincu nos collègues sénateurs d'accepter la position de l'Assemblée nationale.
Enfin, deux éléments présentent une importance particulière. Le premier concerne l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs. L'Assemblée nationale s'était montrée très attachée à la date du 31 mars 2021, qui résultait déjà de plusieurs reports liés à la crise sanitaire. Toutefois, compte tenu de la persistance de cette crise et de l'inquiétude de nos présidents de juridiction, il apparaît raisonnable de reporter cette entrée en vigueur. Le Sénat a proposé un report de six mois, au 30 septembre 2021, afin que les juridictions puissent préparer dans le calme la transition vers les nouvelles procédures. Nous avions un temps envisagé la date du 1er septembre, mais celle-ci risque de poser des difficultés de préparation au cours des congés d'été. Nous pouvons donc nous rallier à la position de nos collègues sénateurs, qui me semble empreinte de sagesse.
Un autre sujet a retenu l'attention de nos deux assemblées lors de la préparation de cette réunion. Il s'agit des dispositions de l'article 6 bis qui doublent l'amende encourue par les représentants légaux d'un mineur poursuivi qui ne défèrent pas à la convocation à comparaître devant un magistrat ou une juridiction pour mineurs. Ce même article rend possible le cumul de cette amende avec l'obligation d'effectuer un stage de responsabilité parentale. Nous sommes réticents à sanctionner trop lourdement des parents qui, bien souvent, sont dans de grandes difficultés économiques et sociales. Pour autant, je suis sensible à l'importance qu'y accordent nos collègues et je vous proposerai donc la solution suivante : revenir au niveau initial de l'amende, à hauteur de 3 750 euros, mais retenir le souhait du Sénat de favoriser le recours au stage de responsabilité parentale. Cette alternative pertinente aux poursuites, confiée à des associations spécialisées, est de grande qualité pour les parents en difficulté. J'espère que la voie du compromis pourra être trouvée sur ce point comme sur le reste de ce texte.