Intervention de François Delattre

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 novembre 2020 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2021 — Audition de françois delattre secrétaire général du ministère de l'europe et des affaires étrangères

François Delattre, Secrétaire général du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères :

Merci M. le Président pour vos propos et pour votre accueil. C'est un très grand honneur de vous rencontrer aujourd'hui dans ce cadre. Je voudrais vous remercier, M. le Président, et remercier le Président Christian Cambon, d'avoir accepté, compte tenu des circonstances, cette audition en visioconférence. J'ai à mes côtés parmi les grands directeurs de la maison, la directrice générale de l'administration, Hélène Duchêne, la directrice des Français à l'étranger et de l'administration consulaire, Laurence Haguenauer, notre nouvelle directrice des affaires financières, Claire Bodonyi, ainsi que deux directeurs généraux adjoints : Alexis Lamek pour les affaires politiques et de sécurité et Cyrille Pierre pour les sujets relatifs à la mondialisation, y compris les affaires culturelles.

Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, je suis heureux de commencer mon propos en vous rappelant brièvement quelques données simples relatives au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, ainsi qu'à son organisation en temps de crise. Nous sommes un département ministériel modeste au moins par la taille, composé de 13 500 agents, dont 10 000 à l'étranger, doté de plus de 5 milliards d'euros de budget, dont plus de 3 milliards en crédits d'intervention. Le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères représente moins de 1 % du budget de l'État et 0,55 % de ses effectifs. Ce ministère est le troisième réseau diplomatique et le premier réseau culturel et éducatif au monde, avec 535 établissements d'enseignement, 101 instituts français ou franco-étrangers, 22 instituts de recherche et 830 alliances françaises. Le Quai d'Orsay est ainsi à la tête de plusieurs réseaux politiques, économiques, culturels et consulaires. Nos 163 ambassades ont un rôle pivot sur le terrain, à la fois comme capteur, agrégateur et acteur. Aux côtés du Ministre, nous devons veiller sur l'ensemble de ce réseau.

L'universalité de notre réseau confère à la France une capacité exceptionnelle de recherche, d'information, d'analyse, de réaction et d'action. Ce dispositif s'est révélé particulièrement opérationnel et stratégique dans le cadre de la crise de la Covid, qui a mis en lumière les atouts du ministère et de nos agents, en centrale comme en poste. Ils ont fait preuve d'une mobilisation exemplaire, d'une capacité d'anticipation et de résilience, d'une très forte réactivité et adaptabilité, et d'une qualité de gestion de crise dans des conditions dégradées et souvent difficiles. L'engagement de l'ensemble des agents du ministère donne foi dans le service public et fait honneur à notre pays.

Nous avons pu ainsi faire face à un défi sans précédent, accomplir un véritable effort de guerre au service de nos compatriotes et de l'État, tout en réduisant très significativement la présence sur site pour limiter le risque sanitaire. La crise nous a mobilisés sans discontinuer depuis le début du mois de janvier. Nous avons mis en place en février une Task Force interne pour coordonner l'ensemble de nos efforts relatifs à la crise sanitaire, centrée dans un premier temps sur le suivi de la situation en Chine, de nos ressortissants sur place. Cette task force, animée par mon collègue Axel Cruau, s'est ensuite étoffée et orientée vers la coordination interministérielle.

Dans le contexte de confinement, nous avons activé du 16 mars au 11 mai notre Plan de Continuité d'Activité (PCA), en nous concentrant principalement sur cinq missions essentielles : la sécurité des Français, en fournissant une aide au retour à près de 370 000 d'entre eux, dans des conditions souvent extrêmement complexes ; un plan de soutien éducatif, social et sanitaire qui se poursuit aujourd'hui ; le suivi de l'épidémie à travers le monde ; la relation avec nos partenaires étrangers dans un contexte inflammable ; l'approvisionnement de la France en médicaments et en matériel médical. J'y ajoute le soutien au réseau d'enseignement français à l'étranger.

Le Quai d'Orsay continue à porter cette responsabilité pour l'État, le pays et nos compatriotes.

Le réseau diplomatique et consulaire, tout en apportant une contribution décisive à ces cinq missions essentielles, a également dû activer son PCA. Les postes se sont mis au service de nos concitoyens sur place, en adaptant les modalités de leurs actions aux spécificités de la situation locale. Ainsi, seuls les agents vulnérables qui le souhaitaient ont quitté leur pays de résidence. Tous les autres sont restés sur leur lieu d'affectation, à de très rares exceptions près. Pour ne prendre qu'un exemple, qui n'est pas sans effet sur nos collègues étrangers, notre consulat à Wuhan n'a jamais été fermé, même si nos équipes ont pu elles aussi être touchées par la Covid. Un total cumulé de 402 cas de Covid a ainsi été recensé parmi les agents du ministère, en administration centrale et dans les postes, depuis le début de l'année. Le ministère a été endeuillé par le décès de 5 agents.

Le plan de reprise d'activité de l'administration centrale a été progressivement activé à partir du 11 mai, après 8 semaines de fonctionnement. Nous avions retrouvé au milieu de l'été, comme les autres ministères, un taux présentiel normal. Nous nous sommes adaptés très vite à l'arrivée de la deuxième vague. Conformément à la circulaire de la ministre de la Transformation et de la Fonction publique du 29 octobre, nous maintenons notre activité, tout en ayant un recours au télétravail jusqu'à 5 jours par semaine pour les fonctions où le télétravail est possible, et en aménageant les conditions de fonctionnement des services, pour protéger la santé des agents. Grâce à un effort sans précédent des services, en termes d'équipement en outils de mobilité, qui permet de satisfaire 70 % des agents, nous sommes d'ores et déjà parvenus à réduire le taux de présence physique à moins de 50 %. Par ailleurs les protocoles sanitaires, notamment en termes de gestes barrière, ont été considérablement renforcés, pour les agents qui ne peuvent pas télétravailler. Ce dispositif a prouvé son efficacité, le ministère n'ayant, depuis la rentrée, identifié aucun cluster de contamination lié à l'environnement professionnel.

S'agissant de nos postes à l'étranger, du fait de l'évolution différenciée de la pandémie dans les différentes régions du monde, nous n'avons cessé d'adapter les PCA de manière décentralisée, en fonction de l'évolution de la situation sanitaire locale. Début novembre, plus de 80 % de nos ambassades sont encore en PCA activé, dont les deux tiers en PCA renforcé, avec un recours au télétravail et une forte limitation des activités.

Toute crise peut aggraver certains dysfonctionnements, ou au contraire donner l'occasion d'un sursaut, à condition de savoir collectivement en tirer les leçons. Le Ministre a donc souhaité un retour d'expérience sur la manière dont notre ministère et notre réseau ont traversé la première phase de la pandémie. Dans cet esprit, nous avons conçu un questionnaire centré à la fois sur les leçons à tirer de la crise, son impact concernant notre organisation et l'amélioration de nos méthodes de travail. Nous avons reçu à ce jour plus de 5 500 réponses des 13 500 agents que nous comptons, ce qui est sans précédent et très révélateur de l'engagement exceptionnel des agents de ce ministère. Ainsi, plus de 50 % des titulaires se sont non seulement exprimés sur leur expérience de la crise, mais bien souvent ont fait des propositions particulièrement utiles pour l'avenir. Le bilan qui sera adressé au ministre à la fin de l'année sera particulièrement utile pour poursuivre la mobilisation et la modernisation en profondeur de ce ministère, à laquelle je tiens beaucoup, sous l'autorité du Ministre.

Cette crise démontre le caractère crucial de notre réseau diplomatique pour faire face aux grands défis de la mondialisation. Le budget présenté dans le cadre de l'examen du PLF 2021 traduit l'effort considérable engagé afin de rétablir dans la durée le poids et la force budgétaires dont le quai d'Orsay a besoin pour mener à bien les missions qui lui sont fixées.

La hausse de notre budget se confirme en effet et se poursuit. En 2021, il devrait atteindre 5,411 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation globale de 8 %, de 411 millions d'euros en plus par rapport à la loi de finances initiale pour 2020, dont 66 millions d'euros supplémentaires sur la mission Action extérieure de l'État et 345 millions d'euros supplémentaires pour le programme 209 « Aide publique au développement ».

Ce PLF 2021 montre un renforcement, que j'espère durable, de nos moyens pour permettre au Département de mener à bien les missions qui lui sont confiées, autour de cinq orientations majeures définies par le Ministre et relatives aux deux missions budgétaires que vous suivez plus particulièrement.

La première porte sur les moyens nouveaux dédiés à une meilleure efficacité de l'action extérieure de l'État. Pour la première fois depuis 20 ans, nous stabiliserons nos effectifs en 2021 à 13 563 ETP, à une masse salariale de 1,159 milliard d'euros, mettant fin à l'hémorragie qui sévissait depuis deux décennies au moins et menaçait très gravement la pérennité de notre réseau. Cette stabilisation de nos moyens humains s'accompagne d'un renforcement de nos moyens de fonctionnement, en particulier sur trois volets cruciaux pour l'efficacité de l'action diplomatique.

Tout d'abord, l'immobilier. Nous accentuons le réinvestissement dans notre patrimoine immobilier, auquel je sais que vous êtes particulièrement attachés, notamment à l'étranger. D'une part, le budget immobilier augmentera de 33 % et passera ainsi à 107 millions d'euros. Ces moyens nous permettront de lancer d'indispensables nouvelles opérations immobilières, en complément des opérations déjà engagées ou reportées. D'autre part, nous avons durement négocié avec le ministère de l'Action et des Comptes publics et la direction de l'immobilier de l'État pour bénéficier d'un droit de retour à 100 % du produit de cession sur le fameux CAS 723. Nous pourrons ainsi mener une stratégie de cessions dynamique, raisonnée et adaptée au contexte du marché immobilier de chaque pays.

Deuxième volet, la sécurité. La priorité absolue est d'assurer la sécurité de nos ressortissants et de nos emprises à l'étranger. À la suite du passage du plan Vigipirate, la semaine passée, au niveau alerte attentat, nous avons immédiatement appelé l'ensemble de notre réseau à la vigilance maximale et à prendre toute une série de mesures pour renforcer la sécurité de nos emprises, des établissements d'enseignement scolaire, du réseau culturel et de coopération ainsi que de nos communautés françaises. Sur le plan budgétaire, la sécurité des postes à l'étranger continuera d'être une priorité clé de ce budget, ce qui se traduira par une augmentation de 7,4 millions d'euros, soit un total de 52,2 millions d'euros. Le plan quadriennal de sécurisation de nos ambassades sera achevé en 2021, la crise de la Covid ayant contribué à un report de charges. Le plan concernant les lycées français sera achevé en 2022.

Enfin, le numérique. Face au défi mis en lumière par la crise sanitaire, le ministère investira l'an prochain 9 millions d'euros supplémentaires pour acquérir des outils de mobilité supplémentaires, sécuriser davantage les flux de données, moderniser notre réseau informatique et développer de nouvelles applications.

La deuxième orientation de ce budget nous permettra de poursuivre notre engagement en faveur de la défense du multilatéralisme, de la préservation de la paix et du règlement des crises. Nous consacrerons les deux tiers des crédits du programme 105, soit 718 millions d'euros, aux contributions européennes et internationales obligatoires de la France. Nous avons choisi de marquer davantage notre soutien à l'ONU, alors que le système multilatéral est aujourd'hui de plus en plus fragilisé. Nous devons aujourd'hui, plus que jamais, le défendre, ainsi que défendre nos intérêts et nos valeurs. Par exemple, une dotation nouvelle de 17,2 millions d'euros sera fléchée vers les organisations internationales oeuvrant pour la paix et la sécurité internationale, avec un accent particulier sur la non-prolifération nucléaire et chimique, en soutenant davantage l'AIEA ainsi que l'OIAC (Organisation Internationale des Armes Chimiques). L'effort portera également sur le maintien de la paix, sur la prévention des conflits et sur la lutte contre les menaces transversales. De même, un soutien additionnel sera apporté au département des Opérations de maintien de la paix, au secrétariat des Nations unies à New York. Cette démarche est nécessaire pour soutenir l'action de ce département de première importance, que dirige notre compatriote Jean-Pierre Lacroix.

La troisième priorité de ce budget est le renforcement de notre action consulaire pour les Français qui résident à l'étranger. Le budget reste stable à 136 millions d'euros. Les moyens de l'aide sociale seront renforcés de 17 % en 2021, soit +2,9 millions d'euros, pour atteindre 20 millions d'euros, afin de continuer à apporter tout le soutien nécessaire aux communautés françaises à l'étranger.

L'enveloppe des bourses scolaires sera préservée à hauteur de 105 millions d'euros, comme les années précédentes.

Enfin, le budget 2021 permettra de poursuivre la modernisation de notre action consulaire pour assurer un meilleur service public, grâce à une dématérialisation accrue des démarches administratives. Ainsi, près de 4,3 millions d'euros seront dédiés au vote par internet, en faveur de Service France Consulaire, centre de réponse téléphonique et courriel unique, ainsi qu'au registre d'état civil électronique et à France Visa. La mobilisation de notre réseau consulaire, tout au long de la crise et aujourd'hui encore, a été absolument exemplaire et je tiens à le souligner devant vous.

La quatrième orientation porte sur la diplomatie culturelle et d'influence, dont nous devons renforcer les outils. Elle est un élément à part entière de notre diplomatie globale. Le Ministre s'est battu depuis le début du quinquennat pour que les crédits correspondants ne baissent pas. En 2021, ils progressent même un peu à 645 millions d'euros, soit +3 millions d'euros, hors dépenses de personnel. Un effort supplémentaire de modernisation numérique s'est révélé nécessaire pour développer les offres innovantes à distance de cours et produits culturels, en complément des ressources offertes sur place par nos établissements. Les activités en présentiel étant directement affectées par la crise, nous investirons 3 millions d'euros sur ce chapitre.

Je n'oublie pas les opérateurs, au profit desquels nous augmentons légèrement notre appui. Les moyens de l'AEFE sont ainsi accrus de 9 millions d'euros pour intégrer les crédits liés à la sécurisation des écoles. Considérée dans sa globalité, notre contribution à l'AEFE atteindra, en 2021, 417,6 millions d'euros pour accompagner le développement maîtrisé du réseau d'établissements français à l'étranger. Les subventions à Campus France et à l'Institut français de Paris sont maintenues à leur niveau de l'an passé, soit respectivement, 3,8 millions d'euros et 28,8 millions d'euros.

Ce budget 2021 représente également un effort majeur en termes d'aide publique au développement. Le programme 209 de la mission Aide Publique au Développement connaîtra, dans le PLF 2021, une remarquable augmentation de 344 millions d'euros, soit +7 % pour atteindre 2,48 milliards d'euros. Cette progression nous permettra de poursuivre une trajectoire ascendante de l'Aide Publique au Développement dans la perspective d'y consacrer 0,55 % de notre richesse nationale d'ici 2022, conformément à l'engagement du Président de la République sur lequel le ministère est totalement mobilisé.

Le Ministre vous a présenté hier dans le détail l'évolution des crédits du programme 209. Je souhaite tout de même relever la hausse substantielle de la composante bilatérale de l'APD grâce à la combinaison de trois éléments : premièrement une augmentation des crédits de paiement délégués à l'AFD (l'Agence Française de Développement), hors rémunération, de 154 millions d'euros, en cohérence avec l'octroi de 1 milliard d'euros d'autorisation d'engagement en 2019 - L'aide projet porté par l'AFD devient donc notre premier poste budgétaire avec 733 millions d'euros ; deuxièmement une hausse des crédits dédiés aux FSPI, les fonds de solidarité pour les projets innovants, gérés par les postes, de +10 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale de 2020. Ces crédits atteindront en 2021, 70 millions d'euros. Cet instrument, à la main des ambassadeurs, leur permet d'agir et de souvent faire la différence sur le terrain avec des crédits d'ampleur relativement modestes ; enfin, la hausse des crédits dédiés à l'aide humanitaire : +82,4 millions d'euros transiteront via le fonds d'urgence humanitaire, l'aide alimentaire programmée, les contributions volontaires aux Nations unies et la facilité pour les réfugiés en Turquie. Cet ensemble de crédits humanitaires s'élève à 329 millions d'euros, ensemble dans lequel nous consacrerons pour la première fois 200 millions d'euros à la gestion et à la sortie de crise, conformément à la stratégie humanitaire française de 2018.

Voilà, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Monsieur le Président, ce que je souhaitais souligner devant vous. Dans un monde de plus en plus concurrentiel, de plus en plus brutal, marqué par des crises sans précédent, un monde où notre prospérité, notre sécurité et nos valeurs ne doivent plus être considérées comme des évidences, la performance de notre outil diplomatique est loin d'être un luxe. Elle est la garantie de notre survie. Je sais que je parle à des sénatrices et sénateurs convaincus. Je voulais saisir cette occasion pour vous remercier, et ce n'est pas un propos diplomatique, de votre constant soutien. La grande toile des réseaux de l'État à l'étranger que nous pilotons constitue la colonne vertébrale de notre diplomatie. Elle ne doit pas seulement être sauvegardée, elle doit être renforcée. Cette crise l'a montré, elle est au service de l'ensemble de nos concitoyens. Notre ministère doit avoir les moyens des ambitions qui lui ont été fixés. L'investissement au regard de l'ensemble des moyens de l'État est somme toute modeste, en comparaison de son utilité pour la Nation. Je crois en conscience, après y avoir beaucoup travaillé aux côtés du Ministre et de l'ensemble des équipes ici présentes, que le budget qui vous est présenté, résultat d'un gros effort, présente une articulation dynamique, cohérente et équilibrée entre les différents postes de dépenses, adaptés aux défis de l'avenir. Le ministère sait pouvoir compter sur votre soutien pour l'examiner avec bienveillance.

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