Intervention de Jean-René Cazeneuve

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 14 janvier 2021 à 9h30
Audition de M. Jean-René Cazeneuve député président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'assemblée nationale dans le cadre de sa mission d'évaluation de l'impact de la crise du covid-19 sur les finances locales

Jean-René Cazeneuve, député, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale :

Madame la présidente, permettez-moi de souhaiter une excellente année à tous et de souligner, comme vous l'avez fait, que la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale est toute jeune. Mon premier réflexe, à sa naissance, a été de rencontrer celle du Sénat, qui a une antériorité et une qualité de travail qui en font pour nous un exemple. Dès le début, nous nous sommes inscrits, avec Jean-Marie Bockel, dans une logique partenariale. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises, nous avons effectué des propositions communes, et je crois que nous pouvons encore aller plus loin. Je reçois donc avec plaisir votre proposition de travail en commun.

En tant que président de la délégation aux collectivités territoriales, je me dois de saluer l'engagement formidable des élus locaux pendant cette crise. Pour moi, ce n'était pas une surprise. Ils ont été présents dès le début pour organiser les solidarités, pour réagir, pour protéger les citoyens. Ils l'ont fait tout au long de cette crise. Lors du déconfinement, ils étaient là aussi pour essayer de faire respecter les règles sanitaires, et ils sont aujourd'hui au rendez-vous pour cette phase de vaccination. Dans le département du Gers, la collaboration est exemplaire entre l'État, les collectivités territoriales, les maires et le président du département, sur le choix des centres, les moyens de procéder, le transport, le soutien du SDIS. Je remercie les élus pour ce travail et la qualité de ce qu'ils font.

Mon rapport date un peu, puisqu'il a été fait au mois de juin. Depuis, un rapport de la Cour des comptes est paru. Nous pouvons retenir trois éléments, qui convergent sur le diagnostic. Premièrement, l'impact de la crise est d'une ampleur globalement modérée pour les collectivités territoriales. Je l'avais estimé à 7,2 milliards d'euros. Nous disposerons bientôt de tous les chiffres. Il devrait finalement être inférieur à 6 milliards d'euros, qu'il faut rapporter aux 220 milliards de recettes de fonctionnement des collectivités.

Deuxièmement, son incidence est très inégale. Le ministre l'a dit juste avant moi. Là aussi, nous sommes tous d'accord : il faut faire très attention. Certes, l'impact est modéré, mais il peut dépendre beaucoup d'une collectivité à une autre. Vous l'avez souligné, les communes touristiques, par exemple, ont été plus impactées. Les communes de montagne également. Cela renforce l'idée que le filet de garanties de l'État a du sens. Il ne s'agit pas de rembourser toutes les collectivités à l'euro près, mais que l'État intervienne en solidarité vis-à-vis des collectivités les plus impactées. Je vous remercie pour la proposition du Sénat, qui était aussi dans mon rapport, de le maintenir en 2021. Cela ne préjuge pas de l'importance de la crise, car personne ne peut dire la forme qu'elle prendra cette année. Ce filet garantit un minium de ressources pour les collectivités territoriales. Son coût pour l'État ainsi que le nombre de communes aidées dépendront de l'ampleur de la crise. Il n'a pas vocation à aider l'intégralité des collectivités.

Troisièmement, la crise est moins forte que prévu pour les finances des collectivités territoriales. Il faut s'en réjouir. Il n'y a pas de manipulation dans ce que nous avons voté dans le PLFR3, sur le filet de garanties et sur les avances pour les départements. Nous dépenserons moins, c'est une bonne nouvelle. Prenons l'exemple des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Les premiers chiffres annonçaient une baisse de 40 % ; en mai 2020 elle était estimée à -25 %, en octobre à -10 %, et l'atterrissage sera proche de zéro.

Nous constatons par ailleurs des écarts entre les différents niveaux de collectivités territoriales. La Cour des comptes indique que l'échelon des régions est le moins touché par la crise. La baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en 2021 et 2022 ayant été neutralisée dans le cadre de la bascule sur la TVA, elle évite une perte de 1,2 milliard d'euros sur deux ans pour les régions, qui pourront donc maintenir leur niveau d'investissement.

Les départements sont dans une situation plus particulière. Ce sont eux qui sont à la fois dans la plus forte inquiétude et qui sont les plus impactés, ce que nous appelons « l'effet ciseaux ». En effet, leurs recettes sont corrélées à la dynamique économique, et leurs dépenses aux dépenses sociales. Quand la situation se porte bien, comme en 2019, leurs recettes augmentent fortement et leurs dépenses sont stables. Quand la situation s'inverse, leurs dépenses augmentent et leurs recettes baissent. Nous avons voté en 2020 des mesures qui leur permettront de passer l'année sans trop de problèmes. D'autres mesures ont déjà été votées pour 2021 ; nous verrons si elles suffisent. J'aurais préféré un système de filet de sécurité qui s'adapte à la crise et étudie son impact sur chaque département individuellement. La DCF lance un groupe de travail avec le Gouvernement et les parlementaires pour arriver à ce type de système. Cet effet ciseaux pourra nécessiter à court terme des aides supplémentaires, si la situation se dégrade fortement. Deux mesures sont toutefois déjà prévues, l'une de 200 millions d'euros et l'autre de 60 millions d'euros. À plus long terme, il faudra imaginer des systèmes de garanties et de réserves et faire évoluer la fiscalité des départements pour ne pas laisser cette épée de Damoclès mettre en péril certains d'entre eux.

Le troisième niveau est le bloc communal. Nous constatons la résilience de la fiscalité locale, qui a été extrêmement dynamique en 2019 et a permis d'amortir le choc en 2020. La situation devrait être assez bonne après les comptes de janvier. Nous aurons aussi un rebond dès 2021 parce que la fiscalité continue à augmenter et que les fortes pertes de recettes du bloc communal en 2020 ne se poursuivront pas en 2021.

Dans les différents volets budgétaires (PLFR3, PLFR4 et PLF21), nous constatons 7,2 milliards d'euros d'aides de l'État aux collectivités territoriales, sous forme de compensations, d'avances, d'investissements ou de recettes de fonctionnement. Le rôle des collectivités territoriales est extrêmement important dans l'investissement public. L'objectif est donc de minimiser l'impact de cette crise sur la capacité à l'autofinancement des collectivités, de manière à ce qu'elles puissent jouer pleinement leur rôle. Elles veulent d'ailleurs investir. Toutes les mesures prises en 2020 et 2021 leur permettront de maintenir leurs investissements pour qu'elles soient des acteurs majeurs de la relance. C'est ce message de responsabilité que je veux leur transmettre. Les élus sont face à un dilemme, tout comme l'État et les entreprises : comment se projeter en 2021 et sur les prochaines années, malgré les incertitudes liées à cette crise ? La majorité des collectivités ont pourtant les moyens d'investir et de participer à ce plan de relance, ce qui est très important pour notre pays.

Concernant l'instauration d'un débat annuel, nous sommes nous aussi parvenus à cette conclusion. Je ne désespère pas que nous puissions, dans le cadre du PLF, avoir un débat sur les finances locales, mais nous n'arriverons pas à tout traiter au même moment. Il faut donc ce temps de débat. Nous pourrions unir nos efforts sur cette réflexion. J'approuve également la proposition de réévaluation des coûts de transfert. C'est le rôle du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), qu'il faudrait renforcer dans la cadre du projet de loi 4D. Il fait un important travail d'analyse.

Par ailleurs, les lois ont souvent un impact sur les collectivités territoriales. Dans le cadre du projet de loi 4D, il faudrait aussi réfléchir à un processus permettant d'intégrer dans chaque loi un garde-fou territorial qui obligerait le législateur à évaluer l'impact de cette loi sur les collectivités. Je partage votre impatience concernant cette loi, qui doit normalement être présentée en conseil des ministres en février 2020. À la décharge de la ministre, le contexte de crise fait que beaucoup de choses s'imposent à nous et réduisent notre temps législatif. Cette loi doit encore renforcer le partenariat entre les collectivités locales et l'État. Je suis quelquefois surpris par les positions de certains élus contre l'État, car il n'est pas responsable d'opposer l'un et l'autre. Ce n'est pas parce que les collectivités jouent très bien leur rôle que l'État ne joue pas bien le sien. Nous devons multiplier les actions, sans casser celles de l'autre. Cette coopération doit être renforcée, car elle est indispensable et se déroule mieux sur le terrain que ce que peuvent dire certains représentants.

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