Intervention de François Ecalle

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 février 2021 à 10h30
Soutenabilité de la dette publique — Audition de M. Olivier Blanchard économiste au peterson institute Mme Jézabel Couppey-soubeyran professeur à l'école d'économie de paris et maître de conférences à l'université paris 1 panthéon-sorbonne Mm. François Ecalle président de l'association « finances publiques et économie » fipeco et chargé d'enseignement à l'université paris 1 panthéon-sorbonne anthony requin directeur général de l'agence france trésor et Mme Amélie Verdier directrice du budget

François Ecalle, président de l'association Finances publiques et économie et chargé d'enseignement à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne :

À mon sens, la dette publique est soutenable si l'État est en capacité d'honorer ses engagements lorsqu'il contracte un emprunt, c'est-à-dire payer les intérêts, mais surtout le principal, éventuellement - toujours, dans le cas de la France ! - en réempruntant. Si les créanciers de l'État ont le sentiment que celui-ci n'en est pas capable, ils vont exiger un taux d'intérêt intégrant une prime de risque de plus en plus forte, aggravant ainsi le problème, ce qui peut se terminer par une crise des finances publiques, dont la résolution est toujours douloureuse.

La question est donc : dans quelles conditions la dette est-elle soutenable ? On ne peut pas déterminer un seuil d'endettement en pourcentage du PIB au-delà duquel la probabilité d'une telle crise deviendrait trop importante, car cela dépend de multiples facteurs variables selon les pays et les périodes. Les économistes avancent qu'une condition pour conserver cette confiance est la capacité à garder le contrôle de l'endettement public afin d'éviter que celui-ci n'augmente indéfiniment et n'explose. La dette publique peut augmenter dans les périodes de récession, mais il faut montrer ensuite que l'on en reprend le contrôle en la stabilisant.

Lorsque le taux d'intérêt de la dette était supérieur au taux de croissance, le message était simple : il fallait dégager un excédent primaire d'autant plus élevé que la dette était elle-même élevée, sans attendre que l'ampleur de cette dernière rende cet effort impossible. Désormais, nous pouvons penser que, pour encore longtemps, le taux d'intérêt de la dette sera inférieur au taux de croissance du PIB. Le message est alors plus complexe : le solde primaire, qui permet de stabiliser la dette, n'est plus un excédent, mais un déficit primaire, d'autant plus important que la dette est élevée. Si le déficit primaire, quel que soit son niveau, est constant, la dette pourra toujours être stabilisée à un certain niveau. Certains économistes concluent de ces observations qu'il n'y a plus de problème de soutenabilité de la dette.

J'y vois quant à moi trois objections. La première est qu'aucun économiste ne pourra garantir que le taux d'intérêt de la dette restera inférieur au taux de croissance jusqu'à la fin des temps. En 2020, cela n'a d'ailleurs pas du tout été le cas, et la dette a explosé.

Deuxième objection, quel que soit le déficit primaire, nous pourrons toujours stabiliser la dette, éventuellement à 500 % ou à 700 % du PIB, mais nous aurons peut-être avant des problèmes, notamment en termes de confiance par rapport à nos créanciers.

Troisième objection, à mon avis la plus importante, tous ces calculs reposent sur une hypothèse forte, à savoir que le déficit primaire lui-même est stable. Or depuis soixante ans, c'est-à-dire depuis les débuts de la Ve République, le déficit primaire de la France est sur une pente clairement ascendante.

Dans ces conditions, selon moi, l'enjeu en termes de finances publiques pour la France dans les prochaines années n'est pas de savoir quel sera le taux d'intérêt. Faisons l'hypothèse que le taux d'intérêt de la dette sera nul jusqu'à la fin des temps. La formule présentée par Olivier Blanchard peut être simplifiée : pour que la dette soit stabilisée, il faut que le déficit public soit égal au produit de la dette publique par le taux de croissance du PIB. Si vous considérez que le taux de croissance du PIB est une donnée, à ce moment-là il faut stabiliser le déficit. Si le déficit public augmente en pourcentage du PIB continûment, la dette publique explose.

Par conséquent, l'enjeu pour la France dans les prochaines années sera de stabiliser son déficit public. Celui-ci baissera mécaniquement entre 2021 et 2023 parce qu'il y aura un rebond du PIB et parce que les mesures d'urgence et de relance vont disparaître. Néanmoins, au-delà de 2024, pour stabiliser le déficit public en pourcentage du PIB, si vous ne voulez pas accroître continûment les prélèvements obligatoires, il va falloir que les dépenses publiques n'augmentent pas plus vite que la croissance potentielle. Cela signifie que si la croissance potentielle est ramenée à seulement 1 % ou 1,2 % à l'issue de la crise, l'objectif dans les prochaines années sera faire en sorte que la dépense publique ne s'élève pas à plus de 1 % ou 1,2 %, comme nous l'avons fait dans les années 2011-2019. Je ne suis pas du tout sûr que nous puissions réitérer une telle performance.

Aujourd'hui, la soutenabilité de la dette est assurée grâce à l'intervention de la Banque centrale. Voilà pourquoi les créanciers de l'État ont totalement confiance dans la dette publique. Cependant, cette intervention ne durera pas indéfiniment, surtout si la dette publique augmente elle-même indéfiniment. Pour toutes les banques centrales, la limite c'est l'inflation. Or personne ne peut garantir que l'inflation ne repartira pas et ne dépassera pas les cibles que se seront fixées les banques centrales. Si cela devait se produire, la Banque centrale serait obligée de relever ses taux d'intérêt et de réduire sa participation au financement de l'économie. L'État ne pourra plus faire appel à elle pour se refinancer, que cette intervention se fasse comme aujourd'hui en rachetant des titres publics sur le marché secondaire ou qu'elle se fasse au travers de propositions beaucoup plus imaginatives, comme celles qu'une prochaine oratrice vous proposera.

En conclusion, nous n'échapperons pas à une maîtrise des dépenses publiques dans les années à venir, mais je crains que le travail d'Amélie Verdier soit très difficile.

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