Le sentiment de soutenabilité est un jugement qui se base sur un faisceau d'indices de ratios de finances publiques. Deux ratios, en particulier, retiennent l'attention des agences de notation : le ratio de dette sur PIB et le ratio de charges d'intérêts rapportées aux recettes de l'État.
Le ratio de dette sur PIB met en rapport une donnée de stock - la dette - et une donnée de flux - la richesse produite par un pays. C'est un ratio qui présente l'avantage de permettre une comparabilité immédiate entre les pays, mais il n'existe pas de seuil universellement valable : la Grèce a fait défaut en 2012 avec un ratio de dette sur PIB de 170 % ; l'Argentine a fait défaut en 2000 avec un ratio de 60 % ; mais aujourd'hui le Japon n'a manifestement aucun problème de soutenabilité et ne fait pas face à la défiance des investisseurs alors que son ratio atteint 238 % du PIB. Il n'y a donc pas de seuil magique. Toutefois, en fonction du niveau de développement de chaque pays, des seuils de vulnérabilité ont été identifiés par la Banque mondiale et par le FMI, s'agissant en particulier des pays en développement. C'est un indicateur qui est très scruté par les marchés et par les agences de notation.
Au-delà du niveau absolu de cet indicateur à l'instant t, c'est la trajectoire qui importe. Cette trajectoire dépend du solde budgétaire primaire du pays, du taux d'intérêt moyen auquel il se finance et de son niveau de croissance. Une trajectoire ascendante en constante accélération - ce n'est pas le cas de la France - serait un mauvais signal en matière de soutenabilité.
L'autre ratio très examiné est celui des charges d'intérêts rapportées aux recettes de l'État. L'évolution dynamique dans le temps de ce ratio dépend à la fois de l'évolution des taux d'intérêt pour l'État et de la dynamique de la croissance. Cet indicateur est intéressant parce qu'il fait ressortir deux variables-clés : le taux d'intérêt moyen de la dette et le taux de croissance de l'économie.
Aujourd'hui, quelle que soit la métrique que l'on regarde, la dette de la France est soutenable. Si l'on tient compte de l'indicateur de dette sur PIB, elle se situe à des niveaux comparables à celles du Royaume-Uni, des États-Unis, de l'Espagne. Elle est supérieure à celle de l'Allemagne, mais inférieure à celle de l'Italie et du Japon. Le choc d'endettement de 2020 n'a pas modifié cette hiérarchie. Si l'on tient compte de l'indicateur de charges d'intérêts rapportées aux recettes fiscales, la France est plutôt bien positionnée, avec un ratio de 2,7 % en 2019. L'Allemagne et les Pays-Bas sont à un niveau de 1,7 %, la Belgique est à 3,9 %, le Royaume-Uni et l'Espagne sont autour de 5,6 % et l'Italie est à 7,1 %.
Si l'on examine le rapport entre le coût de la dette et le taux de croissance, on s'aperçoit que le coût de la dette est en constante diminution. Il se situait fin 2020 à 1,3 %, soit à un niveau proche du taux de croissance potentielle estimé par différentes institutions internationales. Ce coût moyen de la dette continue à diminuer au fur et à mesure que nous « roulons » notre dette, que nous la refinançons en remplaçant d'anciens emprunts à taux élevés par des emprunts à taux plus faibles.
Par conséquent, au vu de ces deux indicateurs, nous ne sommes pas en situation de perte de contrôle de la dynamique de la dette : nous ne risquons pas de connaître l'effet « boule de neige » d'une dette auto-entretenue. Élément rassurant, tout indique que nous devrions encore bénéficier de cet environnement de taux très favorables pendant quelques années au vu de l'orientation adoptée par les banques centrales, particulièrement par la BCE.
Non seulement le coût moyen de notre dette baisse, mais sa maturité moyenne augmente à plus de 8,2 années. Elle est la plus élevée des quatre grandes économies de la zone euro. La dette française est soutenable : c'est la raison pour laquelle nous bénéficions de la confiance des investisseurs.
Nous empruntons à des taux extrêmement faibles et même négatifs jusqu'à des maturités de quinze ans aujourd'hui. Nous le devons, pour beaucoup, à l'action concertée des banques centrales et à leurs programmes d'assouplissement quantitatif, singulièrement aux mesures mises en place par la BCE depuis 2015 et renforcées en 2020, notamment parce que nous ne pouvons pas compter sur l'effet positif d'une inflation à 2 % par an en moyenne, qui est la cible du mandat de la BCE.
Bénéficiant de la confiance des investisseurs, nous bénéficions, par là même, d'une extraordinaire flexibilité financière, ce que toutes les agences de notation reconnaissent. L'État est en mesure de lever des financements de trois mois à cinquante ans dans d'excellentes conditions de liquidité et de sécurité permettant de faire face à des chocs importants, à la mesure de celui auquel nous avons été confrontés l'année dernière et auquel nous continuons d'être confrontés aujourd'hui.
Nous sommes passés en 2020 d'un besoin de financement initial de 230 milliards d'euros environ à 360 milliards d'euros au terme de la quatrième loi de finances rectificative. Grâce à la profondeur et à la liquidité des marchés financiers, nous avons pu mettre en place des plans d'urgence et des plans de relance, protégeant ainsi les entreprises et les salariés, c'est-à-dire la capacité de création de richesses de notre économie.
La soutenabilité de la dette n'est pas un problème aujourd'hui. Dès lors, il est inutile d'agiter des chiffons rouges ou de chercher des solutions à des problèmes qui n'existent pas, d'autant que ces dernières risqueraient de remettre en cause les avantages de financement dont nous bénéficions aujourd'hui. Ce bénéfice, je le répète, repose sur la confiance des investisseurs. Cet actif a été patiemment construit depuis 1797, soit depuis la faillite des deux tiers sous le Directoire. C'est une attitude constante qui a traversé deux empires et cinq républiques, basée sur le fait que l'État honore sa signature.
Il n'y a aucune raison que la soutenabilité de la dette soit un problème demain pour autant que nous prenions assez rapidement les bonnes orientations. Quelles seraient-elles ? Naturellement, il ne m'appartient pas de les formuler, d'autant qu'une commission, présidée par l'ancien ministre Jean Arthuis, a été chargée par le Premier ministre d'y réfléchir. Il convient néanmoins d'avoir en tête quelques principes de bon sens.
Première règle de bon sens, il faut s'assurer en régime de croisière d'un niveau de prélèvements obligatoires constant. L'ensemble de la dépense publique - État, collectivités locales, sécurité sociale - peut augmenter, mais pas plus rapidement que le rythme de croissance nominale de l'économie.
Deuxième règle de bon sens, il faut privilégier peut-être encore davantage que nous ne le faisons aujourd'hui les dépenses publiques d'investissement plutôt que les dépenses de fonctionnement, de prestations et d'assistance. Seules les dettes générées par les premières constituent un actif pour le futur et peuvent s'autofinancer en entraînant le supplément de PIB qui assurera leur soutenabilité.
Le fait est que, depuis trente ans, nous faisons face à un double déficit : budgétaire, de quelques points de PIB, et des comptes extérieurs, pour environ 1 point de PIB. Nous vivons donc collectivement légèrement au-dessus de nos moyens. Un léger effort collectif s'impose pour équilibrer cet ensemble via une action graduelle et modérée, mais résolue, sur plusieurs années. Grâce à la BCE et à la maturité moyenne de notre dette, nous bénéficions d'un horizon de temps de plusieurs années - cinq ans, voire plus - pour corriger ces déséquilibres et placer notre trajectoire d'endettement sur un sentier maîtrisé, de manière à recréer les marges d'absorption de choc utilisées à l'occasion de cette crise. Si nous ne réalisons pas cet effort collectif, nous risquerions de faire face à des lendemains qui pourraient nous faire déchanter.