Je me focaliserai sur deux points : l'allongement de la maturité moyenne de la dette et l'annulation de la dette, sur laquelle je ne peux pas ne pas revenir.
La maturité moyenne de la dette est, dans la plupart des États occidentaux, qui sont des émetteurs fréquents, le reflet de l'habitat privilégié des investisseurs auxquels nous faisons face. La maturité moyenne de la dette est deux fois plus importante au Royaume-Uni qu'en France en raison de l'existence de fonds de pension destinés à gérer sur le long terme l'épargne des salariés alimentée par des actifs d'une durée de vie identique à celle des passifs. Le Trésor britannique est donc en mesure d'émettre des emprunts sur des maturités plus longues que les autres pays de la zone euro. En France, nous n'avons pas de régime de retraite par capitalisation, à l'exception de quelques centaines de milliards d'euros, contre 1 400 milliards d'euros d'épargne au Royaume-Uni, soit à peu près l'équivalent de ce qui existe pour tous les pays de la zone euro réunis, sachant que nous sommes plusieurs à être actifs sur le marché de la dette à long terme : la Belgique et l'Espagne se sont déjà positionnées.
Oui, la France, chaque fois qu'elle le peut, n'hésite pas à émettre des emprunts à des maturités longues, mais il faut se souvenir que la profondeur des marchés n'est pas infinie. Au-delà de la maturité sur l'axe des abscisses et du taux d'intérêt sur l'axe des ordonnées, il faut garder à l'esprit la troisième dimension : la profondeur de marché, qui n'est pas équivalente sur chacun des points de courbe. Sur le segment des trente/cinquante ans se trouvent les fonds de pension, sur celui des dix/quinze ans se trouvent les assureurs vie, et sur le segment à dix ans se situent les banques centrales. Il s'agit toujours d'exploiter la demande naturelle sur ces segments de marché. On a effectivement rallongé la maturité moyenne de la dette en raison de l'effet des politiques de la BCE, qui a fait glisser vers le bas la courbe des taux européens.
Sur l'annulation de la dette, je reviendrai sur les différentes positions qui ont été présentées. Cette solution n'en est pas une, car c'est une complète illusion. Elle est inutile, dangereuse et pas très honnête.
Tout d'abord, l'annulation de la dette est inutile, car la charge de la dette n'obère aucunement les politiques publiques aujourd'hui. Je rappelle que nous sommes en France en solde primaire négatif. Nous ne sommes donc pas dans la situation où nous devrions restreindre nos politiques publiques pour dégager un solde primaire susceptible d'honorer notre dette. De plus, si nous adoptions une position consolidée, comme l'a très bien rappelé Olivier Blanchard, les intérêts que nous versons à la Banque centrale, nous les retrouverions dans les dividendes que celle-ci redistribue à son unique actionnaire, l'État. Dans ces conditions, nous perdrions de la poche gauche ce que nous gagnerions de la poche droite !
Ensuite, l'annulation de la dette est dangereuse, car comme l'a relevé François Ecalle, on ne renie pas impunément la signature de l'État. Un historique de crédit de plus de deux siècles est un actif que l'on ne peut pas jeter aux orties à la légère. Si vous commencez à instiller dans l'esprit des investisseurs que l'État pourrait ne pas honorer sa signature, ceux-ci augmenteront inévitablement la prime de risque et les taux d'intérêt. Cette approche risque d'entraîner une crise de confiance. Et une fois que le Rubicon a été franchi, qu'est-ce qui empêcherait l'État d'agir de même à l'égard d'autres engagements, tels que le paiement des pensions civiles et militaires ? Quelles seraient vraiment les conséquences de cette solution prétendument miraculeuse ?
Annuler la dette détenue par la Banque centrale sur les États, c'est priver celle-ci de son autonomie de conduite de la politique monétaire et de sa capacité de contrôler l'offre de monnaie à moyen terme. Pour rémunérer les dépôts bancaires figurant à son passif, elle devra créer encore plus de monnaie dans une sorte de fuite en avant, préalable à l'hyperinflation que connaissent malheureusement un certain nombre de pays comme le Zimbabwe et le Venezuela. Est-ce ce que l'on souhaite cela pour la zone euro ? On risque une véritable perte de confiance dans la monnaie, puisque rien n'oblige les acteurs économiques à détenir de l'euro. Ceux-ci vont commencer, comme cela s'est produit en Amérique latine, à convertir leur épargne dans des monnaies jugées plus stables comme le dollar ou le franc suisse. C'est donc à une crise de la monnaie que ce type de solution ouvre la voie. Et une fois grande ouverte la porte de la monétisation des déficits publics, pourquoi continuerait-on à payer des impôts, puisqu'il suffit de faire tourner la planche à billets ?
Enfin, la question de l'annulation de la dette n'est pas vraiment honnête, car, sous couvert de technicité autour du pouvoir magique et créateur de la monnaie, on renierait les traités européens souscrits par la France en 1993 - Christine Lagarde l'a expliqué de manière très éloquente il y a quelques jours -, ce qui entraînerait une sortie irrémédiable de la France de la zone euro. Il faut avoir la franchise de le dire.