Monsieur le président, mes chers collègues, ce rapport porte sur l’une des crises les plus graves que nous ayons connues et ses conclusions sont accablantes.
L’excellent travail de la commission d’enquête nous apprend que les alertes du ministère de la santé au mois de janvier ont été ignorées par l’exécutif et l’Union européenne, que le Grand Est a livré, presque seul, une bataille désespérée contre l’extension exponentielle du virus, que les choix de la direction générale de la santé, la DGS, ont empêché la reconstitution du stock stratégique de masques qui ont cruellement manqué durant plusieurs mois, information dissimulée à l’opinion par pression politique, et que ce sont les populations les plus vulnérables, les plus reléguées, qui ont été surexposées et les plus durement touchées par le virus, sans que rien soit fait alors, ni depuis, pour améliorer leurs conditions et la reconnaissance de leurs métiers.
Ces manquements, ces négligences de l’État ont coûté la vie à des milliers de personnes. La responsabilité de l’État est ainsi engagée.
Les recommandations proposées par le rapport sont justes. Il faut, en effet, reconstituer un stock stratégique de masques. Il faut sortir de l’hospitalo-centrisme et intégrer les établissements médico-sociaux, comme les services domiciliaires, dans notre système de santé afin de mieux protéger les populations vulnérables. Il faut faire vivre la démocratie sanitaire dans l’hôpital, mais aussi en prenant appui sur l’expertise des associations et des collectivités territoriales, proches du terrain.
Toutefois, pour compléter ces recommandations et renforcer véritablement nos capacités de résilience face aux crises à venir, il semble nécessaire de rappeler également que la gravité de cette pandémie trouve aussi ses causes dans les politiques d’austérité budgétaire menées depuis des dizaines d’années, cassant l’hôpital public, déstructurant la recherche et accroissant les inégalités sociales et territoriales.
Bien avant la covid, les hôpitaux publics étaient au bord de l’asphyxie : en cause, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’Ondam, systématiquement insuffisant. Cela a conduit à des économies non pertinentes, à la suppression de 100 000 lits en vingt ans et à la volonté de transformer les hôpitaux en entreprises rompues au lean management, à la tarification à l’activité, la T2A, et au « virage ambulatoire » à marche forcée. Voilà comment nous avons abouti à un système de santé sous tension permanente au moment du choc de la pandémie.
Dès lors, nombre d’opérations ont dû être déprogrammées, la prévention et le dépistage ont été suspendus, ce qui a entraîné des pertes de chances.
De plus, face à la pénurie de masques, de tests, de personnels, le Gouvernement n’a pas suffisamment agi, soit parce qu’il n’a pas appelé à la collaboration, soit par résistance idéologique à appliquer les lois de réquisition sanitaire.
Doit être aussi questionné l’hyper-présidentialisme, qui voit se concentrer autour d’un seul un conseil de défense, un conseil scientifique, un comité d’analyse et de recherche, puis un autre conseil scientifique sur les vaccins épaulé par trois cabinets de conseil privés, qui se surajoutent à nos agences sanitaires et dont le fonctionnement reste opaque, sans contrôle public du Parlement et des acteurs du territoire.
Ce chevauchement de comités et de cabinets brouille la gouvernante sanitaire et le rôle d’agences sous-dimensionnées comme Santé publique France, empêchée dans ses missions d’expertises et de gestion des situations sanitaires exceptionnelles.
Enfin, il faut que cette crise infuse une transformation profonde de nos modes de vie, car la crise découle de l’effondrement de la biodiversité.
Une étude de l’université de Cambridge démontre que la migration des espèces due à la déforestation et au dérèglement climatique a permis la transmission de la covid-19 à l’être humain.
Depuis vingt ans, les scientifiques nous alertent : nous sommes entrés dans le temps de la multiplication des pandémies, à la faveur de la dévastation des forêts et de la biodiversité. Bien que ce ne soit pas l’objet de ce rapport, c’est aussi l’autre raison profonde de cette crise. Elle aurait donc mérité des recommandations en soi, je pense notamment à la non-ratification des traités de libre-échange comme le Mercosur.
La leçon est bien qu’il nous faut changer de modèle et passer d’une politique publique curative à une politique préventive.
La défense de la biodiversité doit accompagner la défense d’une société résiliente, respectueuse du vivant, dont le paradigme devient le soin et la justice sociale.