Intervention de Sylvie Vermeillet

Réunion du 10 février 2021 à 15h00
Évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion — Débat sur les conclusions du rapport d'une commission d'enquête

Photo de Sylvie VermeilletSylvie Vermeillet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête a mené un travail particulièrement précis et dense. Nous avons procédé à quarante-sept auditions et entendu 133 personnes, parmi lesquelles figuraient des membres anciens ou actuels du Gouvernement, des directeurs généraux passés et présents de la santé, des responsables politiques locaux, des directeurs d’hôpital, des directeurs d’ARS, des professionnels de santé, des chercheurs faisant autorité et bien d’autres encore.

Le Sénat, dont la sagesse est reconnue, a présenté les conclusions de ses travaux le 8 décembre dernier. Je remercie le groupe Union Centriste et mes collègues Catherine Deroche et Bernard Jomier de m’avoir fait confiance pour être corapporteure de cette commission d’enquête.

Nos critiques et recommandations ont été particulièrement pesées et je reviendrai brièvement sur certaines d’entre elles. C’est en étant lucides sur ce qui a dysfonctionné que nous pourrons avancer valablement. Le retour d’expérience sur l’année 2020 doit nous permettre de mettre en œuvre les correctifs nécessaires, afin que notre État soit, dès à présent, plus réactif.

Si nos travaux concernant la gestion des masques de protection au printemps 2020 ont reçu un écho médiatique important, notre rapport ne saurait être réduit à cela. Ce sujet est toutefois symptomatique de ce qui n’a pas fonctionné : l’anticipation et la culture de la gestion de crise au sein du ministère de la santé.

Je rappelle un fait : le délai d’un mois entre l’alerte de la ministre Agnès Buzyn, le 25 décembre 2019, et la communication, le 24 janvier 2020, à l’attention de cette dernière, des informations sur l’état des stocks de masques a paralysé l’efficience de nos politiques. C’est un retard qui, en période de crise, ne se rattrape pas et qui conditionne, par la suite, la gestion de celle-ci.

Par ailleurs, nos auditions ont clairement mis en lumière les carences, dans les premiers temps de la crise, de la gestion centralisée. L’audition conjointe, au mois de juillet dernier, de M. Jean Rottner, président de la région Grand Est, de Mmes Josiane Chevalier, préfète de la région Grand Est, et Brigitte Klinkert, alors présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, ainsi que de M. Christophe Lannelongue, ancien directeur de l’ARS du Grand Est fut particulièrement émouvante et révélatrice de la situation d’abandon dans laquelle s’est trouvé le territoire du Grand Est face au rouleau compresseur de la covid.

Ce sont eux qui ont essuyé les plâtres et c’est de leur expérience, notamment hospitalière, que l’échelon national s’est nourri pour ensuite faire face. Il serait impensable que nous ne sachions tirer les conséquences de cette impréparation pour devenir meilleurs.

Trois de nos réflexions doivent trouver un écho concret si nous ne voulons pas répéter nos erreurs.

D’abord, il s’agit de renforcer le pilotage dans la réponse aux urgences sanitaires, notamment avec le rétablissement d’une fonction de délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires (Diprus), placé auprès du Premier ministre et chargé de coordonner la vigilance permanente sur l’état de préparation du pays aux crises sanitaires ou autres.

Le coût humain, économique et financier de la crise actuelle doit conduire chacun d’entre nous à s’interroger sur les effets d’une politique de planification de gestion de crise court-termiste. De l’état des lieux des stocks stratégiques de produits de santé et d’équipements de protection individuelle à l’actualisation quotidienne de nos options de plans d’action, il est impératif d’assurer une veille continue de l’état de préparation du pays aux catastrophes. En effet, la crise du coronavirus aura montré et montre toujours que la réactivité des services déconcentrés de l’État ne peut indéfiniment combler une mauvaise préparation à la gestion de crise.

Ensuite, il s’agit – c’est le deuxième enseignement – de revoir la gestion opérationnelle de la crise dans les établissements médico-sociaux et, plus particulièrement, la notion de double tutelle, avec la responsabilité distincte des ARS pour l’aspect sanitaire et des départements pour la dimension sociale, notamment dans les Ehpad.

Dans les territoires où la gestion de crise a été une réussite, nous avons constaté que le succès tenait surtout au fait que les délégations départementales des ARS et les conseils départementaux avaient su faire preuve d’initiative et d’innovation, en travaillant conjointement.

Nos auditions ont par ailleurs montré combien cette coopération n’était pas naturelle. Dans les régions où les acteurs attendaient davantage les directives nationales, les difficultés engendrées par un cloisonnement trop important ont paru insurmontables au démarrage de la crise et ont fait perdre un temps précieux pour faire face à cette dernière. Les directeurs d’établissement devaient en permanence changer d’interlocuteur en fonction de leurs demandes et de leurs besoins. Les difficultés rencontrées dans les demandes de renforts en personnel ou l’obtention de masques en sont deux exemples.

Notre rapport préconise donc une unification de la tutelle. Le fait de trancher la question de la gouvernance idéale entre ARS et département ne relève pas de la commission d’enquête, mais il est indispensable de rechercher une solution de remplacement à ce double commandement afin de faire face plus efficacement aux crises.

Enfin, si la gouvernance nationale doit être réinventée pour permettre de répondre efficacement au risque pandémique, elle doit parallèlement être accompagnée d’une refonte de la gouvernance territoriale de crise. Nous l’avons tous constaté à des degrés divers selon les territoires, la relation entre préfets et services des ARS a, pour le moins, manqué de fluidité.

Dans le département du Jura, dont je suis élue, la délégation départementale de l’ARS a fait beaucoup et bien avec très peu de moyens. Toutefois, notre action gagnerait en efficacité en réaffirmant un simple fait : la gestion de crise, c’est l’affaire du ministère de l’intérieur. Nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion sur la clarification du pilotage territorial de crise sanitaire, car ce sont les échelons déconcentrés qui, avec les collectivités locales, répondent, aujourd’hui encore, à la crise. Leur préparation, les procédures à appliquer pour travailler conjointement sont des questions centrales.

La campagne de vaccination est un exemple très actuel de ce besoin d’anticipation. Là encore, les préfets, les délégués territoriaux d’ARS, les maires, les présidents de collectivités territoriales doivent s’adapter et composer, du jour au lendemain, pour réparer les erreurs qui auraient pu être évitées. Depuis plus d’un an, ils sont systématiquement dans l’urgence.

Monsieur le ministre, la sidération du premier trimestre 2020 est loin derrière nous. Puisque notre monde a changé, puisque nos vies changent, il faut accepter de changer l’État.

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