Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que l’épidémie de covid-19 sévit depuis bientôt un an en France, une partie des victimes indirectes reste largement oubliée : les étudiants.
Devant la situation très préoccupante qu’ils vivent quotidiennement et l’absence de réaction suffisante du Gouvernement, nous avons souhaité mettre ce sujet à l’ordre du jour. Nous voulons alerter et proposer des mesures rapides et concrètes, face à la montée de la précarité et des risques psychosociaux qui épuisent notre jeunesse.
Cela fait plusieurs semaines que les témoignages affluent. Les étudiants et les étudiantes veulent se faire entendre et nous disent combien leur situation s’est dégradée matériellement et, plus inquiétant encore, mentalement.
La crise sanitaire a fait ressortir l’état de délabrement déjà existant des universités. La question est posée : que pouvons-nous proposer à nos jeunes pour améliorer leurs conditions de vie et d’études, particulièrement dans le contexte sanitaire actuel, mais aussi à plus long terme ? Quelles perspectives voulons-nous offrir à notre jeunesse ?
Les chiffres publiés ces derniers mois sont effrayants : selon un sondage de la Fondation Abbé-Pierre, 20 % des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire au cours de la crise sanitaire. La moitié des étudiants font état de difficultés à payer leurs repas et leur loyer.
Depuis des années, la précarité étudiante ne fait que se renforcer, face à une augmentation du coût des études et à l’extrême cherté du logement, qui représente en moyenne 70 % du budget d’un étudiant. Alors que seulement 36, 8 % des étudiants ont touché des bourses sur l’année scolaire 2019-2020, celles-ci ne permettent souvent pas de vivre sans travailler à côté. Or le cumul entre études et emploi est la première cause d’échec à l’université.
À cette précarité grandissante s’ajoute le poids de l’isolement devant les écrans. Il en résulte un enseignement désincarné, sans contact humain, face auquel les étudiants peinent à suivre le rythme et à conserver leur motivation.
Pour beaucoup, c’est la même journée qui se répète, comme en témoigne Marva, étudiante à Toulouse : « Réveil à 7 heures 30, 8 heures d’écran par jour, repas, révisions, dodo. Au début, on se dit que ça va aller, et puis on finit par craquer. » Selon une étude réalisée auprès de 70 000 étudiants lors du premier confinement, 43 % des étudiants sont affectés par un trouble de santé mentale comme l’anxiété ou la dépression. Face à cela, les services de santé universitaire sont totalement saturés.
Tout cela engendre un manque de perspective pour les étudiants. Les risques de décrochage ou de non-validation de l’année universitaire les inquiètent, mais aussi les stages annulés, l’entrée sur un marché du travail tendu ou encore l’impossibilité de partir étudier à l’étranger. À un âge où, d’habitude, l’on prend son envol, de nombreux étudiants sont rentrés chez leurs parents.
Pour les enseignants, cette situation est également très difficile. Comment donner des cours interactifs face à une mosaïque d’écrans noirs ? Comment intéresser des étudiants qu’ils n’ont parfois jamais rencontrés et dont ils devinent les difficultés sans avoir pour autant les moyens de les identifier et de les aider ?
Le personnel administratif est lui aussi obligé de faire et défaire depuis des mois, pour organiser les emplois du temps, en distanciel, puis en présentiel, tout en respectant des directives changeantes et imprécises, qui ne sont pas forcément adaptées aux réalités du terrain.
Il faut avouer que le décalage entre les protocoles sanitaires nous interpelle. Les commerces et les écoles sont restés ouverts ; les étudiants en classes préparatoires et en BTS suivent des cours normalement. Il y a une différence de traitement évidente et les étudiants à l’université se sentent, à juste titre, laissés pour compte.
Les mesures sociales d’urgence arrivent au coup par coup : quelques centaines d’euros par étudiant, selon leur profil, avec un interlocuteur chaque fois différent – la caisse d’allocations familiales (CAF), le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous), Pôle emploi, etc.
La mise en place du ticket de restaurant universitaire à 1 euro pour tous est une très bonne chose, mais je me suis inquiétée de sa mise en œuvre lors de votre venue à l’université de Bordeaux, madame la ministre, le lundi 1er février dernier. Seuls 10 restaurants universitaires étaient ouverts sur 27 et il était impossible de prendre les repas sur place. Sous la pluie, les étudiants se regroupaient dans des voitures, alors que la surface du restaurant universitaire aurait permis de mieux respecter les gestes barrières. Là aussi, les ordonnances venues d’en haut étaient aveugles à la réalité du terrain, créant des risques sanitaires supplémentaires qui doivent être évités. Depuis votre annonce, vendredi dernier, permettant la restauration sur place, je suis soulagée, mais, encore une fois, cela aurait pu être envisagé plus tôt !
D’autres mesures sont positives, bien sûr, telles que la création de jobs étudiants, le recrutement d’assistantes sociales et de professionnels de santé universitaire ou encore le chèque de santé mentale, même si la démarche pour en bénéficier est compliquée.
À l’université Bordeaux-Montaigne, on ne compte qu’une seule infirmière pour 18 000 étudiants et une seule embauche de psychologue. On est loin du doublement annoncé !
Selon la totalité des collectifs et syndicats étudiants que nous avons rencontrés, ces mesures sont loin d’être suffisantes. En effet, la covid-19 a aggravé une situation qui était déjà critique en matière de pauvreté des étudiants, d’échec à l’université et de manque de moyens généralisé.
À quand une réponse structurelle à ce problème, pour donner à tous les étudiants les meilleures conditions pour réussir leurs études ?
Dans les pays scandinaves, chaque étudiant perçoit une allocation individuelle, indépendamment du revenu de ses parents, pour lui permettre de se consacrer sereinement à ses études et de prendre son autonomie. Certes, une telle mesure a un coût, comparable à celui du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ou de la suppression de la taxe d’habitation, mais ce ne serait pas tant un coût qu’un investissement dans la réussite des jeunes ; un investissement, aussi, pour casser le déterminisme social, cette plaie qui mine notre société française au système scolaire inégalitaire.
Avec l’allocation d’autonomie, on reconnaît les étudiants comme des adultes à part entière. C’est aussi un autre rapport qui se noue entre l’État et ces jeunes, un rapport fondé sur la confiance. Madame la ministre, nous vous demandons solennellement d’entamer une véritable réflexion sur ce sujet.
Désireux de s’inscrire dans une démarche constructive et durable, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont écrit un courrier au Premier ministre, qui vous a été également transmis.
Dans ce courrier, nous appelons à un plan massif d’investissement dans les universités, pour soutenir la jeunesse sur le court et le long terme, autour des grands axes suivants.
Cela passe par l’égalité de traitement entre tous les étudiants, qu’ils soient en classes préparatoires aux grandes écoles, en BTS ou à l’université, comme par le retour en cours à 50 % des étudiants, avec des moyens humains et techniques pour permettre un dédoublement des groupes et des cours hybrides – cours présentiels diffusés aussi à distance –, en faisant confiance à la communauté universitaire pour s’organiser au mieux, en fonction des contraintes et des possibilités du contexte.
Cela passe aussi par une sécurité financière accrue, avec une aide d’urgence pour tous les étudiants, ainsi qu’une revalorisation significative des bourses et de l’aide personnalisée au logement (APL), comme par des investissements sanitaires massifs dans les locaux universitaires, en matière de ventilation et d’équipement numérique.
Cela passe encore par l’inclusion de tous les étudiants, avec une adaptation des examens à la situation sanitaire et l’assurance qu’aucun étudiant ne sera pénalisé en raison de l’épidémie.
Cela passe également par une politique de recrutement sanitaire ambitieuse, pour garantir un nombre suffisant d’assistantes sociales et de professionnels de santé auprès des étudiants – pour le moment, le compte n’y est pas ! –, comme par une politique de santé mentale d’urgence, avec le remboursement sans avance de frais des consultations de psychologie de ville.
Cela passe enfin, sur le plus long terme, par la création d’une allocation d’autonomie pour tous les étudiants.
Madame la ministre, nous connaissons les efforts financiers importants que le Gouvernement a consentis depuis le début de la crise. Aujourd’hui, nous vous demandons de continuer ces efforts envers notre jeunesse et d’entendre réellement ses cris d’alarme.
Les mesures que nous appelons de nos vœux sont des investissements nécessaires et non des dépenses inutiles. Investissons dans notre avenir, investissons dans notre jeunesse !