Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès le mois de juin dernier, la sociologue Anne Lambert alertait sur la gravité spécifique de la crise pour les jeunes. À la fois révélatrice des maux et des inégalités qui les frappent depuis de nombreuses années, elle a pour effet de les décupler, au point de dégrader plus encore les conditions d’insertion dans la vie adulte.
Sa préconisation se révélait donc sans appel : « On a longtemps pensé que l’âge de la jeunesse pourrait ouvrir l’éventail de la reproduction sociale et élargir l’espace des possibles : cette illusion tombe, les cartes ne sont pas rebattues. Pour aide les jeunes, et notamment les plus précaires, il faut une réponse massive et d’envergure de la part des pouvoirs publics. »
Notre groupe appelait déjà de ses vœux une réponse « massive et d’envergure », lors d’un débat que nous avons eu ici en faveur de la jeunesse, l’été dernier. Si les termes de la discussion ont quelque peu changé, puisque vous avez décidé mes chers collègues du groupe écologiste – je vous en remercie ! – de vous concentrer sur le fonctionnement des universités et le malaise étudiant, les conclusions, bien qu’actualisées, risquent d’être forts similaires.
Quant aux constats, si nous pressentions – bien plus que nous ne mesurions ! – l’impact désastreux de la crise sur les jeunes à l’époque, les effets sont désormais visibles, quantifiables et analysables, de telle sorte qu’il est impossible d’ignorer l’urgence d’agir.
Il existe tout à la fois une forme de continuité dans ce malaise étudiant, et une discontinuité manifeste dans son ampleur, et donc dans les remèdes à y apporter, ce qui m’amène plutôt à caractériser ce « malaise » comme une « détresse ».
Ainsi, aux trois cassures, pédagogique, économico-sociale et psychologique, du premier confinement répondent aujourd’hui trois risques de rupture identiques.
En premier lieu, la rupture académique peut encore être évitée en s’assurant que l’année universitaire 2020-2021 ne soit pas une année blanche. Il s’agit d’appliquer le mantra selon lequel « il faut sauver le second semestre », et permettre à tous les étudiants d’être, au maximum, et en fonction de la circulation du virus, en présentiel.
La jauge actuellement fixée à 20 %, soit un jour de présence par semaine, constitue un premier pas, mais il est primordial qu’il ne soit pas le dernier. En cas d’amélioration sanitaire, il est essentiel de pouvoir l’augmenter, c’est pourquoi nous recommandons d’élaborer dès à présent, en dialogue avec les universités, différents scenarii, pour un retour progressif plus important, peut-être jusqu’à 50 %. Je vous rappelle que certains étudiants n’ont jamais eu l’occasion de rencontrer en personne leurs enseignants…
En anticipant, nous donnons aux étudiants, mais aussi aux universités, la perspective et la visibilité qui leur manquent terriblement aujourd’hui. Les établissements pourront ainsi être plus réactifs et adapter les protocoles aux situations spécifiques de chaque campus. Madame la ministre, faites-leur confiance !
Car toute souplesse supplémentaire et toute heure supplémentaire en présentiel sont précieuses ! La course contre la montre ne se joue pas seulement face au virus, mais aussi vis-à-vis de la rupture pédagogique et du décrochage, qui est son corollaire.
Sans prétendre à l’exhaustivité, trois problématiques se posent avec acuité pour le second semestre.
Tout d’abord, il est nécessaire de disposer d’un cadre pour les évaluations, par-delà les incitations et les incantations. Les étudiants ont en effet besoin d’un cadre stabilisé, protecteur et rassurant, qui tienne compte du contexte actuel, et ne soit pas générateur de stress ni d’angoisse.
Il nous faut aussi réfléchir à un mécanisme compensatoire pour les étudiants qui n’auront pas pu réaliser leur stage.
Enfin, il est indispensable de soutenir les enseignants et enseignants-chercheurs qui, pour beaucoup, ont mis entre parenthèses leurs travaux de recherche.
La deuxième rupture est d’ordre économico-social. La précarité étudiante ne constitue plus seulement un risque, elle est évidente et devient même alarmante. Pour s’en convaincre, il suffit de constater les longues files d’attente devant les épiceries solidaires que mes collègues ont évoquées à plusieurs reprises.
Des phénomènes jusque-là considérés comme marginaux prennent une dimension considérable et inacceptable, à l’image de la précarité menstruelle, qui toucherait une étudiante sur trois !
Au fond, l’évolution est en miroir de celle que traverse la société dans son ensemble. Des étudiants qui n’étaient pas dans une situation financière délicate avant la crise sont en train d’y tomber. Deux publics en particulier semblent très vulnérables : les étudiants internationaux – avec la problématique des titres de séjour – et ceux dont les familles sont juste au-dessus des seuils.
Votre gouvernement s’efforce de réagir, madame la ministre. Néanmoins, des acteurs de terrain et des étudiants nous font part de l’existence de deux écueils principaux. Le premier a trait à l’absence de stratégie globale pour lutter contre la précarité étudiante. Si les aides ponctuelles sont bienvenues – je m’en félicite –, elles ne constituent pas pour autant une réponse durable et synoptique au défi actuel. Leur caractère ponctuel et éclaté apparaît en décalage avec le nécessaire accompagnement financier sur le temps long, dont bon nombre d’étudiants ont besoin, y compris ceux étant à la recherche d’un premier emploi. À cet égard, il est assez étonnant que vous ayez supprimé l’aide à la recherche du premier emploi, créée sous le précédent quinquennat, pour y revenir aujourd’hui sous d’autres formes…
Le second écueil réside dans la mise en œuvre des mesures annoncées, et singulièrement dans les lourdeurs administratives, qui peuvent limiter le recours aux aides d’urgence. Comme pour les autres domaines, il est urgent de simplifier les procédures, et de renforcer les équipes, notamment au sein des Crous et des services universitaires de santé.
Nous ne pouvons ni accepter ni nous résoudre à cette paupérisation croissante des étudiants, nous ne voulons pas que la jeunesse soit exsangue au sortir de la crise !
Nous devons agir sur deux échelles. Premièrement, nous préconisons, à court terme, de revaloriser les bourses, de simplifier l’ensemble des procédures relatives aux aides d’urgence, et de suspendre sans délai la réforme des aides personnalisées au logement (APL) pour les étudiants, en particulier pour ceux qui bénéficient d’un contrat de professionnalisation.