Intervention de Max Brisson

Réunion du 10 février 2021 à 22h00
Respect des libertés publiques protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Max BrissonMax Brisson :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet de ce débat choisi par nos collègues sénateurs communistes n’est pas dû au hasard, nous l’avons compris.

Il trouve sa source dans la parution au Journal officiel, le 4 décembre 2020, de trois décrets modifiant le code de la sécurité intérieure au sujet de trois fichiers de sécurité publique.

Naturellement, nous n’ignorons pas que ces décrets ont suscité de fortes inquiétudes de la part de plusieurs associations de défense des libertés, qui redoutent, pour résumer, qu’une nouvelle étape ne soit franchie en matière de surveillance de masse de nos concitoyens.

À cet égard, je souhaiterais ce soir que nous tentions collectivement de prendre un peu de recul sur cette question, d’autant que l’essor des fichiers n’est pas un phénomène qu’il serait raisonnable de qualifier de récent.

Rappelons-nous du « bertillonnage », qui, au XIXe siècle, s’est largement développé afin de rationaliser les techniques policières d’identification, notamment par la constitution de vastes fichiers contenant des données corporelles de nombreuses catégories d’individus : délinquants, criminels, vagabonds, individus soupçonnés d’espionnage ou anarchistes.

Il ne nous apparaît dès lors pas incongru que les progrès technologiques changent le visage de ces fichiers de sécurité publique.

En premier lieu, ces décrets de décembre dernier procèdent en réalité à une modification du cadre légal afin de prendre en compte l’évolution de pratiques déjà employées par nos différentes forces de sécurité intérieure.

Ce nouveau cadre juridique était nécessaire, c’est indiscutable, mais il traduit en creux un besoin opérationnel avéré.

S’il fallait le rappeler, ces fichiers ont notamment pour finalité la protection des intérêts fondamentaux de la Nation. Or, nous ne pouvons pas nous permettre d’être naïfs : la menace terroriste demeure élevée dans notre pays.

En second lieu, le rapporteur public du Conseil d’État a estimé, le 23 décembre 2020, que lesdits fichiers « ne portaient pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’opinion, de conscience et de religion, ou à la liberté syndicale », en raison de la limitation, par le pouvoir réglementaire, de la collecte et de l’accès aux données concernées « au strict nécessaire pour la prévention des atteintes à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État ».

Dès lors, mes chers collègues, je crains que certains d’entre nous ne prennent pour de la peur ce qui n’est rien d’autre qu’une angoisse. Si la peur porte sur un objet déterminé, l’angoisse est une inquiétude vague. « L’angoisse est la réalité de la liberté, parce qu’elle en est le possible », écrivait Kierkegaard dans Le C oncept d ’ angoisse en 1844. Aussi, plutôt que de nourrir une crainte démesurée chez les Français, notre rôle, en tant que parlementaires, est de montrer le chemin vers une plus grande confiance dans nos forces de sécurité et dans leur professionnalisme.

L’extension du contenu de ces fichiers ne peut être envisagée a priori comme la porte ouverte à des dérives, qui, si elles se produisent parfois, sont isolées, condamnables et dûment sanctionnées par notre loi pénale.

Une telle conception ne rendrait pas justice au dévouement, à la déontologie et à l’éthique de nos fonctionnaires, policiers et gendarmes.

La confiance ne nous interdit pas, bien sûr, de nous interroger.

Ainsi, concernant le fichier des enquêtes administratives liées à la sécurité publique, qui facilite la réalisation d’enquêtes administratives lors du recrutement d’agents publics à des postes sensibles, le Gouvernement avait répondu à une question écrite de Mme la députée Duriez en 2010 que les données enregistrées dans ce fichier étaient entourées de « garanties renforcées ».

Le ministre de l’intérieur expliquait ainsi que « dans les domaines politique, philosophique, religieux ou syndical, ce sont non pas les opinions des personnes, mais leurs seules activités qui peuvent donner lieu à enregistrement, et ce uniquement dans les cas où leur comportement pourrait porter atteinte à la sécurité publique ou s’avérer incompatible avec les fonctions auxquelles elles postulent ».

Ce n’est désormais plus le cas. La collecte ainsi autorisée peut se révéler plus attentatoire aux libertés qu’elle ne l’était auparavant. Se pose donc la question suivante : en matière de collecte, les agents candidats à un recrutement qui n’ont pas le statut de fonctionnaire bénéficient-ils des mêmes garanties que les titulaires ?

Par ailleurs, qu’en est-il exactement de l’interconnexion, autrement dit du rapprochement ou de la mise en relation de ces fichiers avec une ou plusieurs autres bases de données ? En effet, l’interconnexion n’est pas sans incidence en termes d’atteintes à la vie privée, de droit à l’oubli ou encore de présomption d’innocence.

Enfin, l’un des enjeux qui doit être au cœur de nos préoccupations est la quête d’une rigueur toujours plus exigeante dans le recueil et la conservation des données engrangées. La fiabilité des fichiers est un gage fondamental de confiance entre l’État et ses administrés.

Aussi, quels moyens le Gouvernement met-il en œuvre pour s’assurer de l’exactitude des informations que l’administration rassemble ?

Quels contrôles permettent, le cas échéant, de prévenir ou de corriger des erreurs de saisie, dont les conséquences peuvent être lourdes pour nos concitoyens ?

Telles sont, pour les sénatrices et les sénateurs du groupe Les Républicains, les questions qui se posent, madame la ministre, et auxquelles nous vous remercions de bien vouloir répondre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion