Intervention de Paul Toussaint Parigi

Réunion du 10 février 2021 à 22h00
Respect des libertés publiques protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Paul Toussaint ParigiPaul Toussaint Parigi :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en France, comme dans les autres pays du monde, la lutte contre la crise sanitaire a entraîné une limitation des libertés publiques d’une ampleur inconnue hors période de guerre.

Au nom de la sécurité individuelle et collective, sous prétexte de renforcer les moyens de la police, sur fond de dégradation du climat social et de lutte antiterroriste, un déploiement inédit de mesures sécuritaires, attentatoires aux libertés individuelles et aux libertés publiques, s’est greffé au régime de sécurité sanitaire. En somme, on a assisté à un glissement insidieux vers la confiscation des libertés fondamentales de chacun d’entre nous.

Or ce contexte inédit et exorbitant du droit commun nécessitait précisément qu’une attention vigilante soit portée à l’équilibre subtil des piliers de la démocratie, à la juste proportionnalité entre sécurité des citoyens et garantie des libertés fondamentales, comme préalable à l’exercice républicain.

Si votre intention initiale était de protéger la démocratie, les nouveaux contours de l’exercice du pouvoir dessinent un paysage ambivalent, sorte de panoptique géant, où nos libertés sont gravement menacées.

Pis, l’emballement des réponses sécuritaires, en muselant les libertés individuelles, nourrit le jeu de ceux qui souhaitent saper les fondements mêmes de la démocratie.

Sous couvert de lutter contre le terrorisme, au nom de la sécurité publique, vous avez pris, le 2 décembre dernier, trois décrets élargissant largement les possibilités de fichage et de collecte d’informations. Désormais, tous les acteurs du monde économique, associatif et syndical peuvent figurer dans ces fichiers.

Il est désormais autorisé de collecter, à l’insu des personnes, des données sur leur parcours professionnel, leurs habitudes de vie, leurs déplacements, leurs pratiques sportives et leur santé psychiatrique. De telles collectes d’informations constituent une intrusion inédite dans la vie privée.

Comble de la surveillance, vous autorisez désormais des pratiques autrefois illégales : pourront désormais figurer dans ces fichiers « les opinions politiques » et les « convictions philosophiques et religieuses » et non plus seulement les « activités » politiques ou religieuses.

Une digue importante vient de céder : d’une logique de fichage des activités, on passe à celle d’un recensement des opinions, chacun pouvant être fiché à raison de ses convictions. C’est un acte politique gravissime, pourfendeur de nos libertés fondamentales.

Madame la ministre, comment ne pas voir que de tels fichiers légalisent l’intrusion policière dans l’ordre du politique comme dans celui de l’intime, qu’ils entretiennent la confusion entre militantisme, déviance, voire délinquance ?

En se nourrissant de catégories floues, comme l’a d’ailleurs dénoncé la CNIL, ces fichiers ouvrent un vaste champ d’application et visent, autant le dire, toute la population !

Ces fichiers, madame la ministre, mêleront un peu plus l’ordinaire et l’exception, sous couvert de recenser, sur le fondement de présomptions arbitraires, ceux qui sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public.

Toutes ces mesures préfigurent une société gouvernée par la peur, dans laquelle les citoyens seraient privés du droit de penser, de contester, et dont les vies seraient exposées sans limites à la surveillance des forces de l’ordre.

« La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent », écrivait Montesquieu. Considérer que des opinions puissent représenter un danger en elles-mêmes constitue une rupture dans la manière de penser la sûreté de l’État et – ne nous y trompons pas – préfigure l’avènement d’une société de contrôle. Comment, dès lors, ne pas s’opposer à cet arbitraire du fichage, qui fait le terreau du totalitarisme ?

Assurer à tous la liberté dans une nation libre, chasser l’arbitraire, faire affirmer et sanctionner cette liberté par une justice libre, telle est l’idée, madame la ministre, que nous nous faisons de la démocratie.

Si notre groupe soutient les mesures d’ordre public visant à protéger les citoyens, en accord avec les principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité, il est des principes intangibles trop durement acquis auxquels nous refusons de déroger. Dans un pays qui se prétend attaché à la séparation des pouvoirs et à l’État de droit, il est des actes contre lesquels nous devons collectivement nous élever, au nom de nos histoires particulières, de notre histoire à tous, parce que le ferment de notre liberté est celui de notre humanité.

Madame la ministre, la protection des citoyens ne peut pas se faire au détriment des libertés publiques. Or vous mettez en œuvre les moyens de notre futur asservissement, en les offrant à quiconque voudrait demain faire basculer la démocratie.

Michel Foucault écrivait en 1975, dans Surveiller et punir, que le simple fait de se savoir surveillé entraînait une forme d’obéissance. Dès lors qu’elles sont fichées, les opinions servent à contrôler la population pour la conduire vers une forme de docilité, donnant de facto à l’État le monopole de la surveillance légitime.

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