Intervention de Yves Bouloux

Réunion du 10 février 2021 à 22h00
Respect des libertés publiques protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Yves BoulouxYves Bouloux :

Cette défiance à l’égard de l’État mérite notre attention. Avec la menace terroriste, l’État est de plus en plus incapable de garantir la sécurité sans entraver la liberté. Si le fichage étatique effraye, c’est en raison des conséquences que l’État pourrait en tirer, mais le fichage est parfois nécessaire et certains fichiers ne seront jamais contestés. On peut citer pour exemple le fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, ou encore celui sur les agréments des assistantes maternelles, dont la création vient d’être annoncée. La sécurité ne figure pas au nombre des libertés, mais elle est bien l’une des conditions de leur exercice.

Pourquoi ces récents décrets alarment-ils ? Parce qu’ils s’inscrivent dans une logique de prévention des risques. Il s’agit d’un fichage d’opinions, de convictions et non de comportements répréhensibles.

Ces décrets prévoient en effet la création de fichiers de police pouvant contenir des données relatives « à des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale », ainsi que des données « de santé révélant une dangerosité particulière ». Le premier est le fichier EASP, pour « enquêtes administratives liées à la sécurité publique », utilisé avant le recrutement de fonctionnaires sur des postes sensibles. Il s’agit d’éviter de recruter des personnes potentiellement dangereuses ou radicalisées.

Les deux autres fichiers sont le PASP, pour « prévention des atteintes à la sécurité publique », et le Gipasp, pour « gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique ». L’un, le PASP, est géré par la police, l’autre, le Gipasp, par les gendarmes. Ils traitent tous les deux des informations liées aux atteintes à la sécurité de l’État. Il s’agit de faciliter les enquêtes de la police ou de la gendarmerie.

Soumis pour avis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ils font l’objet de recours contentieux.

Le 4 janvier dernier, le Conseil d’État a jugé qu’il n’y avait pas lieu de prononcer leur suspension. Selon le juge des référés, la collecte de ces données dans les traitements litigieux n’entraîne pas d’atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée ou à la liberté d’opinion.

Deux arguments ont retenu son attention. D’une part, seules les activités « susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État » pourront donner lieu à l’enregistrement de données. D’autre part, il sera interdit de sélectionner dans le traitement une catégorie particulière de personnes à partir des seules données sensibles.

Jusqu’au jugement au fond de ces affaires, ces fichiers sont donc légaux. Mais tout ce qui est légal est-il souhaitable ?

La question que l’on peut légitimement se poser est la suivante : en quoi le fait de ficher des opinions, y compris philosophiques, peut-il garantir la bonne tenue d’une manifestation ? Élargir le fichage, c’est considérer que des opinions puissent représenter un danger en elles-mêmes. Cela représente une rupture importante et inquiétante dans la manière de penser la sûreté de l’État.

En 2009, Robert Badinter déplorait déjà le recours presque obsessionnel à des fichiers, et s’interrogeait sur cette dérive inquiétante consistant à passer « d’une justice de liberté à une justice de sûreté ». Un tel changement de doctrine ne peut être accepté que si l’on peut s’assurer de son utilisation et de son effectivité.

Pourra-t-on s’assurer que les personnes fichées seront pleinement informées et pourront exercer leur droit de rectification ? Quelles conséquences légales seront tirées de ces fichiers ? Pourront-ils justifier une arrestation ou un non-recrutement ?

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