Intervention de Stéphane Bijoux

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 2 février 2021 : 1ère réunion
Échange avec m. stéphane bijoux député européen dans le cadre de la préparation de son rapport sur la stratégie européenne à l'égard des régions ultrapériphériques rup

Stéphane Bijoux, député européen :

Je voudrais tout d'abord vous remercier de m'accorder ce temps pour échanger sur le rapport du Parlement européen dont j'ai la charge et qui va dessiner la future stratégie européenne vis-à-vis des régions ultrapériphériques. Je sais l'implication de votre délégation sur les dossiers européens. Je connais votre étude sur les enjeux financiers et fiscaux européens en 2020 pour les outre-mer, travail remarqué et remarquable du sénateur Dominique Théophile, que je salue, et de ses collègues Vivette Lopez et Gilbert Roger. J'ai entendu votre appel à mieux faire entendre la voix des outre-mer dans les négociations européennes.

Nous savons tous l'importance de l'Europe pour nos territoires. Je me présente devant vous aujourd'hui avec beaucoup de respect et d'espoir. La violence de l'impact du Covid a bousculé non seulement nos modes de vie mais aussi notre capacité à croire en l'avenir. Chez moi, à La Réunion, les jeunes disent « nout lorizon lé kasé ».

Face à ce désespoir profond que nous entendons tous et pour rallumer la flamme d'une perspective d'avenir, il nous faut construire et partager l'ambition collective d'un nouveau projet de société. Ce que nous avons à créer ensemble, c'est bien évidemment notre monde dans toutes ses dimensions : économique, sociale et culturelle. Mais ce que nous avons à reconstruire ensemble, c'est aussi notre humanité et je défends l'idée que ce nouveau chemin de société passe nécessairement par l'Europe, avec ses valeurs de solidarité et de respect de la démocratie. Quand on s'engage sur un chantier comme celui-là, il faut avoir les moyens de ses ambitions. Les moyens financiers sont là. Après des négociations difficiles, les fonds européens destinés aux outre-mer ont été sauvegardés. J'y reviendrai en détail.

Vous êtes les co-auteurs de la loi, les contrôleurs démocratiques du Gouvernement, mais aussi - et c'est une spécificité que vous accorde l'article 24 de notre Constitution - les représentants des collectivités territoriales et en premier lieu des communes. Vous êtes la voix des territoires ! Au Parlement européen, je milite en permanence pour exiger que la proximité avec les régions et l'intelligence du terrain soient les moteurs de l'action publique. Je l'ai encore rappelé hier au gouvernement portugais qui assure, comme vous le savez, la présidence tournante de l'Union européenne.

Comme vous, je sais qu'il reste du chemin à faire. Mais je suis profondément pro-européen et nous travaillons avec mon groupe politique pour changer l'Europe de l'intérieur. Dans mon rapport, j'entends bien plaider pour que change le regard de l'Europe sur nos territoires d'outre-mer. Pour l'Europe, nous sommes les régions ultrapériphériques mais nous devons refuser d'être à la périphérie de l'action européenne. Nous devons même en être au centre. Je souhaite donc vous associer à l'enrichissement de ce rapport qui a pour objectif de proposer des pistes concrètes pour améliorer le partenariat stratégique entre les RUP et l'Union européenne.

Comment aller plus loin pour être plus efficace et affronter les nouveaux défis du monde d'aujourd'hui et de demain ? Face au chômage, au dérèglement climatique, à la nécessité de la transition agro-écologique, à l'impératif des énergies renouvelables, face aux migrations et au choc des cultures, nous pouvons construire chez nous des solutions qui peuvent servir à toute l'Europe et à toute la France. Les RUP peuvent devenir « les Régions d'Utilité Publique ». Voilà le nouveau chemin à construire en confiance dans le respect et avec une exigence de résultat.

Comment faire, sachant que, très souvent, pour nos concitoyens l'Europe paraît bien loin ? En réalité, l'Europe est bien là, toute proche, dans notre quotidien : dans nos routes, dans les murs de nos lycées, dans le matériel de nos entreprises, dans les formations de nos citoyens... Il n'y a pas d'adhésion, parce qu'il n'y a pas suffisamment de visibilité de l'action européenne.

Sur le dernier exercice budgétaire, l'Europe a investi près de 13 milliards d'euros pour les 9 RUP européennes dont 5 milliards investis sur les six dernières années pour les RUP françaises. Ces sommes importantes sont investies à juste titre dans nos territoires d'outre-mer parce que nous avons des défis structurels spécifiques, mais aussi parce que nous avons du talent et des potentiels. Il me paraît important de souligner la double réalité de ce que nous sommes et qui définit la légitimité de nos exigences vis-à-vis de l'Europe.

Nous venons de nous mettre d'accord sur le prochain budget. Nous avons aussi adopté un plan de relance européen sans précédent. Les négociations ont été très difficiles mais nous sommes arrivés à 750 milliards d'euros pour le plan de relance et plus de 1000 milliard d'euros pour le cadre financier pluriannuel. Au total, cela représente 1 800 milliards de fonds pour soutenir la reconstruction et réaliser notre transition. Les budgets européens ont été préservés et la France s'est beaucoup mobilisée - sous l'impulsion du Président de la République - pour que notre enveloppe soit augmentée. Contrairement à d'autres pays européens qui ont centralisé la gestion des fonds européens d'urgence, la France a fait le choix politique d'associer les régions pour construire la relance au plus près de la réalité et des besoins des territoires. Cela semble d'autant plus important à souligner, au moment où, dans 48 heures au Sénat, vous serez appelés à voter le plan de relance et le prochain cadre financier pluriannuel européen. Une validation forte et claire permettra de passer rapidement à l'action dans chacune de nos régions.

À l'échelle des régions, la répartition exacte des enveloppes régionales françaises est en cours de finalisation. Elle sera connue une fois les textes européens publiés mais nous avons d'ores et déjà des enveloppes additionnelles pour les RUP. Ces enveloppes sont sécurisées dans plusieurs règlements. Plus de 130 millions pour les pêcheurs, plus de 683 millions au titre du FEDER (Fonds européen de développement régional) et du FSE (Fonds social européen). De plus, nous avons aussi gagné, comme vous le rappeliez monsieur le Président, la difficile bataille du Poséi pour nos agriculteurs et nos éleveurs. Je vous confirme que cela a été un vrai combat politique.

La bataille budgétaire a donc été remportée mais ce n'était qu'une première manche. Derrière les chiffres annoncés, il reste à s'assurer de la destination de cet argent et de son utilisation efficace pour accompagner nos PME, nos professionnels de la terre et de la mer, ainsi que nos jeunes... L'efficacité passe par l'intégration de l'existence d'une double temporalité. Il y a d'abord le temps de l'urgence, pour répondre à cette crise sanitaire mondiale sans précédent. Il y a ensuite le temps de la relance avec de nouveaux défis économiques, sociaux, écologiques et culturels.

Dans nos territoires, nous avons tous un problème de chômage lourd et difficile à traiter. Les jeunes et leurs parents nous réclament légitimement des solutions. Pendant la crise, des nouvelles formes de solidarité sont nées, des innovations ont également émergé pour faire face à de nouveaux défis. L'Europe doit être le partenaire de la consolidation de ces initiatives pour que le « monde d'après » ne soit pas comme le « monde d'avant ». Nous avons besoin d'un nouveau modèle de développement pour nos territoires d'outre-mer. Il est urgent de construire la passerelle entre économie et écologie en faisant le choix politique de nous donner les moyens d'une croissance verte et bleue. Nous sommes le lieu privilégié pour élaborer ce nouveau modèle. Face au dérèglement climatique et à la violence des attaques contre la biodiversité, les outre-mer sont en première ligne. Nos territoires ultramarins abritent plus de 80 % de la biodiversité européenne et représentent le premier espace maritime mondial. L'Europe porte l'ambition d'un pacte vert pour l'environnement. Dans les outre-mer, la Guyane s'est engagée pour protéger les trésors de la forêt amazonienne. Grâce à notre insularité, nous sommes présents sur les trois océans ; alors, essayons de travailler ensemble pour mettre du bleu dans ce Green deal ! Tous les indicateurs montrent que nous avons une carte à jouer. L'Europe débloque des milliards d'euros pour nos territoires : il faut en profiter pour innover, pour transformer nos modes de vie et nos modes de fonctionnement. Ce plan de relance est une chance !

Je crois à la force du triptyque : local, national, européen. Pour moi, l'action politique, c'est avant tout l'action des élus. La proximité permet de concrétiser les espoirs et d'anticiper les crises. En attendant, comment mieux organiser la complémentarité entre les besoins et les solutions ? Comment impliquer davantage les élus et les institutions locales ? Comme piste de réponse, je partage avec vous ma conviction : nous pouvons et même nous devons essayer de transformer cette crise en opportunité.

Je suis désormais à votre écoute pour que nous partagions nos regards sur l'Europe et sur les outre-mer et, surtout, pour rechercher ensemble comment faire de nos outre-mer des territoires européens de solutions.

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