Intervention de Jean-Bernard Lévy

Commission des affaires économiques — Réunion du 10 février 2021 à 9h00
Audition de M. Jean-Bernard Lévy président-directeur général d'edf

Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF :

J'ai bien compris que vous souhaitiez que je vous parle d'Hercule et je vais le faire mais, dans un premier temps, permettez-moi d'évoquer aussi le contexte pour EDF et le déploiement de notre stratégie, comme vous l'avez du reste fait vous-même, madame la présidente.

La dernière fois que je suis venu au Sénat, c'était en novembre 2019, dans des conditions sanitaires évidemment différentes. Tous nos salariés ont dû faire face au choc absolument inimaginable de la crise sanitaire et des confinements. Je voudrais d'abord vous dire que l'entreprise EDF a fait preuve d'une mobilisation extraordinaire, et je voudrais rendre hommage devant vous à nos salariés. Au plus fort de la crise, notamment au début du premier confinement, il a fallu que ceux qui produisent l'électricité soient présents chaque jour dans les usines du parc nucléaire, du parc hydraulique, du parc thermique, du parc renouvelable. Ces salariés ont assuré leur mission, et les ménages, les services publics - et en particulier les hôpitaux -, les collectivités territoriales, les entreprises n'ont jamais manqué d'électricité. Je voudrais le souligner, et saluer aussi la mobilisation des salariés de notre filiale indépendante Enedis, qui étaient présents sur le terrain pour assurer en permanence la continuité du service public et le bon fonctionnement des réseaux.

Les salariés d'EDF qui sont au contact des clients, pendant toute cette période, ne pouvaient plus aller sur leur lieu de travail. Ils ne le peuvent d'ailleurs toujours pas. Nous avons installé des postes informatiques chez eux : en deux jours, nous avons installé 5 000 ordinateurs personnels pour que les conseillers de clientèle puissent répondre depuis chez eux aux clients qui les appellent. Or, contrairement à ce qui prévaut chez nos concurrents, tous nos salariés qui sont au contact des clients sont installés en France, et non pas externalisés dans des pays à bas salaires. Du coup, ils vivaient la même période, la même vie que nos clients et, connaissant bien la situation, pouvaient leur répondre de façon appropriée. Nos clients, à cette époque et encore aujourd'hui, ont exprimé une grande satisfaction sur la manière dont le service d'EDF leur a été fourni. Malgré le confinement général, la fermeture des frontières, les perturbations du transport de pièces détachées, EDF a fait preuve de résilience, ses salariés ont répondu présent et personne n'a manqué d'électricité. Nous en sommes très fiers. La crise a rappelé combien l'électricité fait partie de nos services essentiels.

Elle a aussi, bien sûr, eu des conséquences économiques, et un coût pour le groupe EDF, dont le manque à gagner est estimé à environ 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Notre planning de maintenance du parc de production, hydraulique et surtout nucléaire, a dû être adapté aux circonstances. En 2020, nous avons produit un peu plus de 335 térawattheures (TWh) d'énergie nucléaire alors que nous craignions de ne pouvoir produire que 300 TWh. Ce chiffre de 335 TWh est néanmoins inférieur d'environ 12 % à notre objectif initial à cause de cette très profonde désorganisation. Elle a nécessité des arrêts de chantiers, de maintenance lourde ou de changement de combustible.

Les conséquences de cette désorganisation sur le parc nucléaire se prolongeront sur les deux prochaines années. Néanmoins, le passage de l'hiver, qui suscite toujours une attention particulière, se passe bien. Nous vivons actuellement une période de froid, qui est la deuxième de l'année. La consommation d'électricité est pratiquement revenue à son niveau normal, ce qui est une bonne nouvelle. Nous avons confiance en le fait que, même dans les quelques jours de grand froid que nous vivons, nous serons en mesure de fournir à nos clients toute l'électricité dont ils ont besoin. Réseau de transport d'électricité (RTE) a d'ailleurs indiqué il y a deux jours que cette période de grand froid ne devrait pas inquiéter les Français quant à la disponibilité de l'électricité.

L'année qui vient de se passer nous rappelle les valeurs de l'entreprise EDF et notre capacité de mobilisation au service des besoins essentiels du pays, sur tout le territoire de la République, en métropole comme en outre-mer.

À mon arrivée, il y a six ans, j'ai fixé une stratégie, et je la mets en oeuvre depuis. Cette stratégie, intitulée « Cap 2030 », consiste à faire d'EDF le champion français et européen de la neutralité carbone - ce qui est d'actualité, puisqu'un projet de loi sur la question a été présenté hier en Conseil des ministres.

C'est en mai dernier que notre assemblée générale a fixé notre mission pérenne. En application de la loi Pacte, le groupe a adopté une raison d'être, désormais inscrite dans ses statuts. Il s'agit d'un engagement : nous nous sommes engagés à construire un avenir énergétique neutre en CO2, en conciliant préservation de la planète, bien-être et développement grâce à l'électricité et à des solutions et services innovants.

Mon rôle est de faire en sorte que cette stratégie se déploie au quotidien. Nous multiplions les offres innovantes à nos clients. Ainsi, des offres de rénovation des logements, qui sont d'actualité. Nous proposons par exemple aux Français, via l'offre IZI, de remplacer leurs chaudières polluantes au fioul ou au gaz par des pompes à chaleur, qui consomment trois fois moins d'énergie et n'émettent presque plus de CO2. Nous formulons aussi des offres pour optimiser la consommation des Français, puisque la sobriété est un aspect essentiel, notamment grâce au compteur Linky. Nous avons développé des applications gratuites permettant aux Français, qui s'en servent régulièrement, d'optimiser, d'après des calculs que nous tenons à la disposition des experts, jusqu'à 12 % de leur consommation. Nous avons lancé des offres pour décarboner les sites industriels en électrifiant les processus, en particulier dans les usines ou les bâtiments, et en valorisant la chaleur fatale. C'est la spécialité de Dalkia. Nous travaillons à produire sur place de l'hydrogène bas-carbone, grâce à des investissements dans une société de la Drôme qui s'appelle McPhy, et dans une nouvelle filiale d'EDF, que j'ai créée il y a un peu plus d'un an, qui s'appelle Hynamics. Un sujet majeur dans l'évolution du mix énergétique du pays est l'arrivée en masse de la mobilité électrique. Avec notre société IZIVIA, nous jouons un rôle important pour équiper en bornes de recharge les collectivités territoriales, les parkings de bureaux, les parkings d'immeubles, les usines et les centres commerciaux.

Avec toutes ces offres, nous sommes l'acteur de référence des deux grands vecteurs de la lutte contre le réchauffement de la planète que sont d'une part l'électricité décarbonée, qui se substitue au gaz, au charbon et au pétrole, et d'autre part la sobriété dans la consommation.

Côté production, on parle beaucoup de nucléaire, mais nous avons acquis une position de leader dans la filière naissante de l'éolien en mer. Nous soutenons le développement d'une capacité manufacturière nouvelle sur le territoire français, qui se traduit notamment par la construction d'usines à Saint-Nazaire, à Cherbourg et au Havre. Nous avons aussi rénové récemment plusieurs installations hydroélectriques, notamment sur la Dordogne, mais le plus grand de nos chantiers actuels, qui s'est terminé l'an dernier en Isère, est situé sur la commune de Gavet. Nous venons d'annoncer que nous lançons, dans les Hautes-Alpes, une grande ferme solaire flottante sur une retenue d'eau, qui produira 20 mégawatts.

Dans la production nucléaire, nous observons l'intérêt de nouveaux pays pour la technologie française. Je pense notamment à l'Inde, à la République tchèque ou à la Pologne, où je me suis rendu la semaine dernière. Le Royaume-Uni a renouvelé sa confiance à l'égard du groupe EDF. Tout cela nous conforte dans notre ambition de leadership au sein des pays occidentaux alors que, à la suite des travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), le nucléaire bénéficie indiscutablement d'un regain d'intérêt dans de nombreuses régions du monde.

Pour préparer notre participation à ces futurs programmes, nous mettons en oeuvre le programme « Excell » de redressement des compétences dans la filière nucléaire française pour que celle-ci soit prête. Pour l'instant, les pouvoirs publics n'ont pas décidé d'engager la construction de nouveaux réacteurs EPR en France. À l'étranger, nous remportons de nombreux appels d'offres, sur des marchés très concurrentiels, par exemple dans le domaine des services. Nous allons exploiter la centrale de rafraîchissement de la Kingdom Tower à Ryad, qui doit faire quelques centaines de mètres de haut, ce qui n'est pas rien ! Nous fournissons Microsoft, Google et bien d'autres en énergies renouvelables, grâce à des projets éoliens et photovoltaïques aux États-Unis et dans d'autres régions du monde, ce qui nous permet de nous habituer au mode de fonctionnement des entreprises sur le marché de l'énergie, qui arrivera inéluctablement aussi en Europe. Nous sommes l'acteur occidental retenu par nos partenaires émiratis pour développer la plus grande centrale solaire au monde, qui produira 2 000 mégawatts. Dans le nucléaire, le Royaume-Uni nous a fait confiance sur Hinkley Point et le gouvernement du Premier ministre Boris Johnson a annoncé en décembre qu'il entrait en discussions avec EDF pour que nous construisions dans la foulée de nouveaux réacteurs de niveau EPR sur le site de Sizewell. Dans le domaine des compteurs numériques, le programme Linky fait école, et nous allons contribuer à installer plusieurs millions de compteurs communicants en Inde.

Ainsi, nous sommes une entreprise en mouvement, et nous déployons notre stratégie dans de nombreux domaines. Ma conviction est que cette stratégie, centrée sur la neutralité carbone, est la bonne. On voit bien, d'ailleurs, que ce sont les autres groupes, issus d'autres domaines du secteur énergétique - et en particulier les majors du pétrole - qui viennent sur notre terrain - je vous rassure, nous n'avons pas l'intention d'aller sur le leur !

Dès lors, pourquoi la réforme Hercule ? Elle est nécessaire parce que notre développement, notre croissance et nos investissements sont gravement entravés par le niveau de la dette que nous avons accumulée depuis des années du fait de la régulation qu'on appelle l'Arenh. Si nous voulons rester un champion français, européen et mondial - et c'est bien mon ambition - nous avons besoin d'investir ; ma conviction, c'est que nous pouvons faire cette réforme en conservant un groupe intégré. C'est un point essentiel, incontournable. Et nous devons demeurer un groupe ambitieux, et non pas un groupe en risque de déclassement, comme la situation actuelle nous en menace.

Quels sont les principaux objectifs de la réforme ? Le principal enjeu, le point de départ de la réforme, c'est de mettre fin à l'Arenh. Je comparerais l'Arenh à un poison qui, en dix ans, a directement contribué à faire d'EDF un acteur surendetté ; à cinq reprises, le groupe a été dégradé par les agences de notation de la dette. Pour ne pas arrêter nos investissements, nous avons cédé ces dernières années pour plus de 10 milliards d'euros d'actifs, et nous avons été recapitalisés à hauteur de 4 milliards d'euros, dont 3 milliards d'euros par l'État. Alors que nous sommes déjà l'un des plus gros emprunteurs parmi toutes les entreprises de la zone euro - premier ou deuxième selon les années - nous savons que, sans la présence de l'État au capital, nous devrions interrompre notre programme d'investissements car nous ne pourrions plus le mettre en oeuvre.

Or, l'Arenh est fondée sur une injustice évidente, puisqu'il revient à subventionner nos concurrents. Il nous expose sans aucune limite, sans plancher, aux prix de vente les plus bas, et nous impose, en cas de prix de marché élevé, de vendre notre production nucléaire à un prix plafonné, qui ne couvre pas les coûts du parc de production et qui n'a même pas été réévalué avec l'inflation depuis dix ans.

Comme je le répète depuis mon arrivée, il est de la plus haute importance que nous puissions dès que possible mettre fin à l'Arenh. Notre objectif est de lui substituer un nouveau mécanisme de régulation du nucléaire existant pour apporter de la stabilité à nos clients. Il faut donc que ce mécanisme soit stable, clair, compréhensible, symétrique, qu'il ne traite pas automatiquement EDF moins bien que ses concurrents, et il faut qu'il soit pérenne, car nous travaillons dans la durée, nous sommes l'industrie du temps long. Il convient que le niveau fixé pour le nouveau prix de vente permette de rémunérer le parc nucléaire à sa juste valeur.

La réforme de l'Arenh est l'objectif premier de la réforme, et je crois pouvoir dire que cet objectif est partagé par le Gouvernement, qui négocie avec la Commission européenne les modalités de cette nouvelle régulation. J'ajouterai que cette nouvelle régulation est nécessaire à la préservation de la filière nucléaire française, qui est elle-même une pièce essentielle de la stratégie bas-carbone de notre pays.

Le deuxième objectif de la réforme est de donner au groupe EDF les moyens de se développer dans la transition énergétique. Pendant encore longtemps, le nucléaire et l'hydraulique vont rester les fondements essentiels de notre mix électrique décarbonné. Mais nous savons tous que la croissance s'effectue d'abord par les infrastructures d'énergies renouvelables : éolien à terre, éolien en mer, solaire dans de grandes fermes au sol, solaire en toiture, sans oublier les réseaux de chaleur dans les villes qui recyclent des déchets industriels ou ménagers pour produire de l'énergie. La croissance concerne aussi le réseau de distribution Enedis, qui doit acheminer l'énergie créée par des centaines de milliers d'installations très décentralisées, intermittentes. Enedis doit aussi accompagner l'électrification des usages. Par exemple, quand un dépôt de bus passe à l'électrique, il faut y apporter beaucoup plus d'électricité que précédemment. Je signale à cet égard que les investissements d'Enedis sont en hausse : depuis 2015, ils ont augmenté de 30 %.

Les caractéristiques de la transition énergétique nous amènent aussi à nous préoccuper de la gestion de l'intermittence. Le développement du stockage, le développement progressif de la production d'hydrogène bas-carbone pour l'industrie et pour les transports lourds font partie de nos projets. Pour accompagner la décarbonation de notre pays, nous avons besoin d'investissements ! Nous avons l'ambition d'être un acteur de premier plan dans tous ces domaines. Ces investissements sont significatifs, et nous devons investir directement dans des moyens de production, dans des réseaux, mais aussi dans des innovations qui nous permettront d'être à l'affût de ce qui se passe partout dans le monde et d'opérer un système électrique qui, comme aujourd'hui, donnera aux Français un avantage compétitif en termes de pouvoir d'achat - ce que personne ne conteste.

Sans réforme, comment allons-nous éviter le déclassement d'EDF par rapport aux grands groupes européens, qui ne sont pas soumis à l'Arenh ? Ceux-ci ont désormais des moyens, et donc des rythmes de développement, très supérieurs aux nôtres. Plusieurs grands groupes européens ont déjà pris une réelle avance, et annoncent publiquement des objectifs, à l'horizon 2030, très supérieurs à ce que peut envisager EDF, dans sa configuration actuelle.

Le troisième objectif stratégique de la réforme est de sécuriser nos concessions hydroélectriques. Nous vivons depuis vingt ans sous la menace d'une profonde remise en cause du modèle d'exploitation des barrages hydroélectriques en France. La mise en concurrence des concessions lorsqu'elles expirent pourrait progressivement démanteler la cohérence du parc hydraulique qui a été construit depuis un siècle, et même un peu plus. Notre perception, qui est, je crois, largement partagée par les très nombreux utilisateurs de l'eau et par les collectivités territoriales, est que la traduction de la directive européenne de 1998 sur les concessions porte en germe une désoptimisation du productible hydraulique et un appauvrissement des vallées concernées. Dans le contexte du changement climatique, dont les effets sont de plus en plus visibles, l'enjeu de la gestion de l'eau accroît cette préoccupation. Nous voulons donc préserver et développer l'hydraulique, qui est une énergie pilotable et verte, riche en emplois qualifiés et entraînant derrière elle l'activité économique dans les zones montagneuses.

Comment atteindre, dans notre projet, ces trois objectifs stratégiques ? Où en est la négociation ? C'est l'État, bien évidemment, qui mène les négociations avec la Commission européenne. EDF est amené à se coordonner régulièrement avec l'État, de manière quotidienne même, et je vous dirais bien volontiers que je me réjouis de l'excellent alignement entre l'État et l'entreprise que je dirige : nous avons déterminé ensemble des lignes rouges, énoncées la semaine dernière par la ministre Mme Barbara Pompili devant l'Assemblée nationale, et nous les faisons nôtres.

Il y a des interrogations sur le groupe intégré. Je le dis très fortement devant la représentation nationale : le groupe EDF doit rester un groupe public intégré, dans lequel d'abord il n'existe qu'une seule stratégie, les différentes entités au sein du groupe ne se faisant pas concurrence entre elles, mais coopérant ; dans lequel les salariés peuvent circuler d'une entité à l'autre pour développer leur potentiel et progresser ; dans lequel des fonctions ont été mises en commun, mutualisées, ce qui apporte une meilleure efficacité, une meilleure créativité et génère des économies d'échelle. EDF doit aussi rester un groupe qui conserve sa marque, car la marque EDF est une marque magnifique, très appréciée des Français, et il n'est pas question d'en changer. Le statut des industries électriques et gazières (IEG), auquel sont attachés les salariés, très nombreux, qui en bénéficient dans l'entreprise, ne doit pas être remis en cause, et il ne le sera pas.

Le caractère intégré du groupe EDF est l'une des clés du succès du modèle énergétique français depuis des décennies. Notre modèle se traduit par un positionnement qui englobe tous les maillons de la chaîne de valeur de l'électricité, qui couvre toutes les filières de production et tous les services, y compris les plus innovants. C'est un ensemble homogène, un atout pour la France : il doit être conservé.

Sur le plan économique, la réforme doit bien sûr garantir que le prix de la future régulation nucléaire couvre les coûts et rémunère les investissements du parc existant, ce qui n'est pas le cas avec les 42 euros au mégawattheure non indexés sur l'inflation.

Enfin, dans la réforme, le groupe EDF doit disposer des moyens de se développer dans tous les métiers de la transition énergétique, et notamment dans les énergies renouvelables, pour que nous restions un acteur de premier plan.

Comme l'a déclaré la ministre, un accord qui ne répondrait pas à ces objectifs ne serait pas acceptable. La négociation est actuellement toujours en cours.

J'avais décrit devant vous, lorsque j'étais venu fin 2019, les grandes lignes du projet. Je vais les rappeler brièvement. Il repose sur une réorganisation du groupe intégré EDF en deux parties, complémentaires et jamais concurrentes, chacune de ces parties disposant d'actifs homogènes et d'objectifs stratégiques clairs. La première entité serait un ensemble, que l'on appelle EDF bleu, regroupant la production nucléaire et la production thermique - la production hydraulique étant transférée à une quasi-régie, détenue à 100 % par EDF bleu. Un deuxième ensemble, que l'on appelle EDF vert, regrouperait la distribution, les services, les activités commerciales, la construction et l'exploitation des énergies renouvelables et nos activités à l'international. Le premier, c'est le monde de la production centralisée. Le deuxième, celui du monde décentralisé.

Pour le nucléaire, l'enjeu essentiel est la nouvelle régulation pour le parc nucléaire existant. Le mécanisme doit être symétrique, contrairement à l'Arenh. On a parlé un moment d'un corridor. Aujourd'hui on parle d'un prix fixe. Peu importe : ce qui compte, c'est le niveau du prix, ou celui de la médiane du corridor. Cette électricité nucléaire à prix fixe serait accessible à tous les commercialisateurs dans les mêmes conditions, sans pénaliser EDF au bénéfice de ses concurrents. Le niveau de prix, en négociation, devra couvrir effectivement les coûts du parc nucléaire existant et les investissements passés et futurs de ce parc nucléaire. Nous savons que ce n'est pas le cas actuellement de l'Arenh.

Pour l'hydraulique, l'État et EDF ont conçu un moyen pour protéger notre patrimoine hydraulique : la quasi-régie. Il s'agit d'une forme de société détenue à 100 % par le secteur public, très proche de l'État dans sa gouvernance, et qui permet une exception au droit européen des concessions. Ce modèle juridique n'est pas pratiqué très fréquemment. Il comporte de nombreuses spécificités, notamment de gouvernance, et permet la détention totale et pérenne de notre patrimoine hydraulique par le groupe EDF.

En ce qui concerne les autres activités, en particulier les activités de transition énergétique, la nouvelle organisation donnerait bien plus de moyens au groupe EDF pour investir et accompagner ses clients à travers sa filiale contrôlée EDF vert. Cette société bénéficiera de financements propres et pourra se développer beaucoup plus rapidement pour faire du groupe intégré EDF un acteur de premier plan de la transition énergétique. La croissance de nos activités dans la transition énergétique serait très supérieure à la situation actuelle et devrait nous permettre de rattraper le retard indiscutable et croissant que nous prenons sur plusieurs grands groupes européens. Bien évidemment, EDF vert serait détenu très majoritairement par EDF bleu et resterait dans le secteur public. Il inclura Enedis, ce qui lui permettra d'avoir, d'un côté, un distributeur puissant et régulé, et, de l'autre, des activités renouvelables, commerciales et de services. Ce modèle n'est pas nouveau : c'est celui retenu par nos grands concurrents européens, et notamment Iberdrola, société espagnole et Enel, société italienne. Ce sont eux qui nous sont passés devant ces dernières années.

Le réseau de distribution est en effet un vecteur essentiel de la transition énergétique et, pour Enedis, le rattachement à EDF vert, centré sur la mise en oeuvre d'une transition par nature décentralisée, en lien étroit avec les territoires, confortera ses missions de service public. Enedis serait tout simplement la filiale à 100 % de EDF vert, comme elle l'est aujourd'hui à 100 % d'EDF. Elle remplirait les mêmes missions de service public garanties par la loi, mais avec la même indépendance de gestion, sous le contrôle de notre régulateur sectoriel, la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Bien entendu, la péréquation tarifaire sera maintenue.

Ma conviction, c'est que cette réforme est une vraie opportunité de développement pour le groupe EDF, au service de la neutralité carbone et de la transition énergétique. Pour conclure, je souhaite vous donner un chiffre : nous visons aujourd'hui 50 gigawatts de capacités renouvelables à l'horizon 2030, soit dans dix ans. Nos calculs nous montrent qu'avec la réforme, nous pouvons doubler cet objectif, et porter notre capacité renouvelable à 100 gigawatts. Cela nous donnerait un rôle deux fois plus important qu'actuellement dans la transition énergétique. Nous devons sortir de l'impasse.

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