Intervention de Emmanuelle Cosse

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 28 janvier 2021 : 1ère réunion
Audition de mmes emmanuelle cosse présidente marianne louis directrice générale et M. Mahieddine Hedli directeur à l'outre-mer de l'union sociale de l'habitat ush

Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale de l'habitat (USH) :

Je me permets de rappeler que l'ensemble des organismes HLM cotise à la CGLLS et que la cotisation est basée sur le nombre de logements. Ce ne sont pas les structures HLM qui cotisent, mais bien les entreprises. Cela nous permet aujourd'hui de suivre les organismes en difficulté, d'établir des plans de suivi de ces difficultés et d'obtenir des accompagnements pour la mise en oeuvre de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, ou loi ÉLAN.

Le retard de construction outre-mer concerne tout à la fois les logements locatifs sociaux que les opérations d'accession sociale à la propriété. Nous n'avons, effectivement, pas une offre suffisante au regard des besoins exprimés. 80 % des habitants de ces territoires seraient éligibles au logement social, voire très social. Aujourd'hui, nous produisons des logements sociaux beaucoup trop chers par rapport aux capacités financières des locataires.

Le premier et le deuxième PLOM portaient des objectifs de production (10 000 logements dans le premier PLOM). La loi sur l'égalité réelle outre-mer évoquait 15 000 logements par an. En 2019, nous avons toutefois produit seulement 4 279 logements locatifs.

Les opérateurs font face à des difficultés pour produire massivement et à des prix de sortie plus faibles. Je souhaite que les aides à la pierre soient augmentées et les critères d'attribution révisés. Par ailleurs, les financements des opérations spécifiques (logements pour les jeunes, résidences « autonomie » pour les personnes âgées, etc.) ne sont pas suffisants.

Grâce au travail des parlementaires depuis plusieurs années, la LBU (ligne budgétaire unique) est dotée. Pourtant, nous n'arrivons pas à la consommer intégralement. L'utilisation des crédits de l'ANAH (Agence nationale de l'habitat) pourrait également être simplifiée dans les opérations d'outre-mer : nous faisons face à beaucoup d'opérations de lutte contre l'habitat insalubre en favorisant sa résorption et sa transformation en logement social.

Les retards de construction constituent par ailleurs un vrai sujet. Nous avons par exemple dû livrer des logements sociaux où les raccordements aux réseaux n'avaient pas été faits.

Des établissements publics d'aménagement sont présents sur l'ensemble de ces territoires ou presque, mais doivent s'investir davantage dans la construction. Le portage foncier effectué par les établissements publics d'aménagement devrait être renforcé.

Sur le maintien de la mixité sociale, vous avez évoqué les questions des impayés et de la disponibilité des fonciers aménagés. Nous pensons que la programmation d'opérations d'aménagements fonciers urbains au titre du Fonds Régional d'Aménagement Foncier et Urbain (FRAFU) devrait être relancée et sa gouvernance renforcée. C'est le cas dans certains territoires, mais pas dans tous.

Nous-mêmes sommes sollicités par l'État pour aider à l'implantation de plus d'opérateurs HLM.

Il nous a été demandé, avec Action Logement, de soutenir la création d'opérateurs à Mayotte, ce que nous faisons tous les jours. Nos salariés doivent par ailleurs pouvoir bénéficier de formations sur l'ensemble des évolutions réglementaires et l'innovation sociale.

Avec la crise du Covid, nous faisons face à une difficulté importante sur les impayés. Leur augmentation à l'échelle métropolitaine n'est pas encore massive, car une partie de nos publics est déjà très soutenue. Cette question se pose toutefois à plus long terme. Nous avons engagé une première charte de travail et nous avons demandé aux organismes HLM de la décliner localement. À chaque début d'impayés, les organismes HLM rencontrent le public concerné. Avec la crise apparaissent de nouveaux publics qui ne connaissent pas les systèmes d'aides.

Concernant mon appréciation de la politique de l'État en matière de logement social depuis le premier PLOM, la sauvegarde dans le budget de l'État de la LBU me semble essentielle. Comme cette ligne budgétaire est portée par le ministère des outre-mer, je trouve dommage que le ministère du Logement et ses administrations soient de fait moins présents sur la question du logement en outre-mer.

Sur la question des enjeux de réglementation environnementale, nous sommes en pleine négociation avec le ministère de la transition écologique sur la RE 2020. Pour l'instant, je n'ai pas entendu un seul mot sur l'adaptation aux outre-mer. Cette réglementation ne me semble pour le moment pas du tout en adéquation avec l'ambition portée. Des objectifs sont fixés sans connaissance des capacités réelles. Par exemple nous ignorons si les équipements de chauffage permettront de répondre à cette réglementation.

Cette réglementation ne peut pas, à mon sens, être dupliquée telle quelle dans les outre-mer : les besoins pour répondre aux enjeux des dérèglements climatiques ne sont pas les mêmes.

Je trouve très bien que le PLOM existe, mais le manque de dynamisme est réel. La programmation ACV (Action coeur de ville) a permis certes d'aider beaucoup de territoires, mais les projets ANRU ont pris du retard, notamment pour des questions techniques d'ingénierie.

S'agissant des normes de construction, l'utilisation des matériaux biosourcés n'est pas envisageable de la même manière sur tous les territoires. Nous devons également trouver un juste milieu entre le respect des normes et les savoir-faire locaux : la réglementation doit leur faire une place.

Nous faisons également face à de grosses difficultés d'importation de matériaux. Ne pourrait-on pas restructurer les filières des territoires par rapport à leurs environnements géographiques ?

Concernant l'incidence des quotas des LLTS sur la production de logements sociaux, nous rencontrons aujourd'hui des difficultés à atteindre l'équilibre entre les recettes et les dépenses induites. J'attire votre attention sur le fait que la réforme fiscale aura un impact, notamment la TFPB (Taxe foncière sur les propriétés bâties). Les territoires qui acceptent du logement social ne sont pas soutenus fiscalement alors même que beaucoup de ces collectivités ont très peu de ressources. La faiblesse de la ressource fiscale attendue est réellement un frein à la construction de logements sociaux.

Sur la question du prix de revient d'un logement, nous estimons que dans les DROM, le surcoût pour la construction neuve par rapport à l'Hexagone est de l'ordre de 15 à 20 %. De très fortes disparités existent entre les territoires, y compris selon la manière dont le foncier a été acquis. Dans les territoires où le foncier fait l'objet de surenchère, le surcoût est bien plus élevé. De très fortes disparités sur le montant des prestations et des honoraires existent également. Nous estimons que le coût de la construction représente 65 % du prix total.

Sur ce point, nous pourrions améliorer la maîtrise foncière, peut-être grâce à des conventions plus audacieuses de la part des EPA (Établissements Publics d'Aménagement) présents sur les territoires. La question du coût des matériaux est un sujet récurrent, notamment celui du ciment à La Réunion. Développer par exemple des filières de construction basées davantage sur les savoir-faire locaux ne permettra pas de répondre à tout, mais permettrait de baisser la pression financière et de revaloriser les métiers locaux.

Sur la question du recours à des matériaux locaux, parmi les initiatives existantes, le pin des Caraïbes a récemment été utilisé en Polynésie française. Ce projet intéressant a été soutenu par le PACTE (Programme d'action pour la qualité de la construction et de la transition énergétique). Pour mener à bien ce projet, il convient de s'appuyer sur une filière bois industrielle, qui n'est pas toujours présente, et d'obtenir le suivi de la certification.

Le sujet de l'adaptation de l'architecture aux risques naturels est évident. Il s'agit de retrouver des modes constructifs qui s'appuient davantage sur la mémoire et permettent également de répondre aux risques climatiques. Pour la prévention des risques, nous pouvons nous appuyer sur les savoir-faire locaux. Ces prestations engendrent cependant des surcoûts et nous manquons d'opérateurs pour conduire ces opérations.

Concernant l'accompagnement de la rénovation énergétique, nous relayons les besoins de financement et accompagnons les opérateurs pour répondre aux AMI (Appel à manifestation d'intérêt). C'est le cas actuellement avec les 500 millions d'euros du Plan de relance qui sont prévus pour les logements sociaux, avec cependant de nombreuses exceptions. L'objectif du Plan de relance est d'accélérer les opérations de logements sociaux. Cette subvention permettra de baisser l'enveloppe financière globale, de réduire nos prêts, mais surtout d'éviter d'augmenter les loyers. Nous déplorons cependant que le Plan de relance ne prévoie pas d'aide à la production. La démolition de parcelles peut s'avérer nécessaire mais leur coût carbone doit être pris en compte.

Si elles se tiennent, nous sommes prêts à participer aux Assises de la construction ultramarine.

Vous avez évoqué les habitats légers et vernaculaires. Des expérimentations ont été menées. Je ne suis pas en mesure de vous dire si elles pourraient être massifiées.

La question du vieillissement est une problématique pour l'ensemble des bailleurs sociaux. Nous estimons que plus de 25 % de nos locataires ont plus de 70 ans. Nous devons développer des résidences autonomie pour personnes âgées avec des loyers minorés dans certains secteurs. Des financements spécifiques, comme le PIV (Plan d'investissement volontaire) d'Action Logement, pourraient être utilisés pour financer des foyers seniors.

Par ailleurs, une partie des locataires ne séjourneront jamais dans des établissements spécialisés. L'enjeu est donc de développer des services internalisés ou des services d'aide à domicile extérieurs pour mettre en oeuvre un accompagnement particulier des locataires âgés.

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