Intervention de Pierre Médevielle

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 février 2021 à 8h35
Questions sociales travail et santé — Allégations nutritionnelles et allégations de santé : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de m. pierre médevielle

Photo de Pierre MédeviellePierre Médevielle, rapporteur :

Mes chers collègues, selon le règlement (CE) n° 1924/2006, on entend par allégation nutritionnelle tout message qui affirme, suggère ou implique qu'une denrée alimentaire possède des propriétés nutritionnelles bénéfiques particulières. Celles-ci peuvent être liées à la valeur énergétique ou l'apport calorique de cette denrée, mais aussi aux substances qu'elle contient. On peut citer en exemple : « sans matière grasse », « source de fibres » ou « riche en vitamine C ». Il s'agit d'allégations quantitatives factuelles que l'on peut vérifier assez facilement.

Les allégations de santé sont, quant à elles, définies comme celles qui affirment, suggèrent ou impliquent l'existence d'une relation entre, d'une part, une catégorie de denrées alimentaires, une denrée alimentaire ou l'un de ses composants et, d'autre part, la santé. Par exemple, on peut citer « le calcium est nécessaire pour une structure osseuse normale ».

Le règlement (CE) n° 1924/2006 encadre l'utilisation de ces deux types d'allégations pour, d'une part, assurer la qualité de l'information ainsi fournie au consommateur, et d'autre part, garantir des conditions de concurrence identiques aux exploitants du secteur alimentaire sur le marché intérieur.

Pour atteindre ces objectifs, les allégations font l'objet d'une autorisation pour pouvoir être utilisées. Cette autorisation est conditionnée au respect d'un certain nombre de critères généraux concernant la formulation de l'allégation et l'étiquetage de la denrée alimentaire, mais aussi des critères spécifiques relatifs à la composition de cette denrée. Ainsi, la quantité du nutriment ou de la substance présente dans la denrée alimentaire doit permettre d'atteindre l'effet nutritionnel ou physiologique allégué. De plus, la composition globale du produit doit respecter un profil nutritionnel défini, notamment en ce qui concerne sa composition en matières grasses, sucre ou sel. Il s'agit d'éviter que l'allégation ne masque l'impact nutritionnel global d'un aliment. Enfin, les allégations de santé sont autorisées après avis scientifique de l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA en anglais), rendu à la suite d'une évaluation répondant aux exigences les plus élevées.

La liste des allégations nutritionnelles autorisées a été annexée à ce règlement de 2006. Seule la Commission peut décider de la modifier et toute modification fait l'objet d'un règlement adopté via une procédure de comitologie. Elle n'a été modifiée qu'une seule fois, à la marge, en 2012.

Pour ce qui concerne les allégations de santé, on distingue tout d'abord les allégations fonctionnelles ou génériques : elles décrivent ou mentionnent le rôle d'un nutriment ou d'une substance dans la croissance, le développement et les fonctions de l'organisme. Elles peuvent également faire référence aux fonctions psychologiques ou comportementales d'un nutriment ou d'une substance. Enfin, elles peuvent faire état d'un impact sur le contrôle du poids sans faire référence au rythme ou à l'importance de la perte de poids. Ces allégations génériques, qui étaient déjà utilisées au moment de l'adoption du règlement de 2006, devaient être transmises à la Commission avant le 31 janvier 2008 pour évaluation. La Commission a alors reçu plus de 44 000 allégations. Celles-ci ont pu être regroupées en 4 637 allégations, qui ont été transmises à l'EFSA pour avis. Les allégations autorisées, après avis de l'EFSA, sont recensées dans l'annexe du règlement (UE) n° 432/2012, adopté via une procédure de comitologie.

Cette liste peut être complétée d'allégations fonctionnelles reposant sur des preuves scientifiques nouvellement établies ou contenant éventuellement une demande de protection de données. Il revient à l'exploitant du secteur alimentaire d'en faire la demande. Celle-ci est alors transmise à la Commission par l'intermédiaire de l'autorité compétente de l'État membre (la DGCCRF en France). L'EFSA va ensuite procéder à une évaluation scientifique de cette demande. Si l'EFSA rend un avis favorable, la Commission statue sur la demande, après avoir consulté les États membres, en tenant compte de cet avis et de tout autre élément qu'elle jugerait légitime et pertinent. En cas d'avis défavorable, une décision est prise dans le cadre d'une procédure de comitologie.

Enfin, une dernière catégorie d'allégations de santé est instituée par le règlement de 2006. Il s'agit des allégations « relatives à la réduction d'un risque de maladie » ou « se rapportant au développement et à la santé infantiles ». Elles font l'objet d'une procédure plus encadrée. La demande d'autorisation est transmise par l'exploitant du secteur alimentaire à la Commission par l'intermédiaire de l'autorité compétente de l'État membre (la DGCCRF en France). La demande est ensuite transmise à l'EFSA pour avis. En cas d'avis favorable, celui-ci doit mentionner notamment une proposition de libellé pour l'allégation de santé ainsi que les conditions spécifiques éventuelles d'utilisation. Sur la base de cet avis, la Commission prépare un projet de décision. Lorsque celui-ci n'est pas conforme à l'avis de l'EFSA, la Commission en fournit les raisons. Il est ensuite statué sur le projet de décision dans le cadre d'une procédure de comitologie.

Il est important de souligner que, dans le cadre de cette procédure d'autorisation, l'EFSA n'évalue pas la sûreté de la denrée alimentaire, mais seulement la véracité de l'allégation.

En mai 2020, la Commission a rendu public un résumé de l'évaluation du règlement (CE) n° 1924/2006 fait par ses services. Cette évaluation fait apparaître deux difficultés particulières : l'absence de définition des profils nutritionnels et la nécessité de critères d'évaluation relatifs aux produits à base de plantes. C'est ce qui a conduit notre commission à se saisir du sujet.

Tout d'abord, les États membres n'ont pas réussi à s'accorder sur la définition des profils nutritionnels qui était prévue en 2009, et, pourtant, les allégations restent néanmoins utilisées. Ainsi, une denrée alimentaire contenant une quantité de sucre non négligeable peut continuer à afficher une allégation nutritionnelle. Je rappelle que notre commission avait adopté une proposition de résolution européenne, le 12 mars 2009, à l'initiative de notre ancien collègue Jean Bizet, pour contester la fixation d'un seuil général en acides gras saturés, au motif que tous les acides gras saturés ne sont pas de mauvais acides, et pour rappeler que l'effet sur la santé dépend de la dose totale absorbée par le consommateur et non de la dose unitaire par produit. Notre commission s'inquiétait notamment des conséquences pour les fromages français qui, compte tenu des seuils envisagés, ne pourraient plus prétendre à bénéficier d'une allégation.

L'autre question soulevée par l'évaluation de la Commission européenne est celle des plantes. En effet, les allégations de santé portant sur les plantes devaient être évaluées selon la procédure mise en place par l'EFSA pour répondre aux exigences du règlement (CE) n° 1924/2006. Or la Commission a décidé de mettre en attente d'évaluation les allégations de santé fonctionnelles relatives aux produits à base de plantes, transmises avant 2008. Ces allégations relatives aux plantes continuent pourtant à être utilisées sans avoir été évaluées.

Par ailleurs, la procédure d'évaluation de l'EFSA a été critiquée par les exploitants du secteur alimentaire, notamment ceux commercialisant des compléments alimentaires ou des ingrédients de spécialité, qui estiment que les exigences sont trop élevées. En effet, l'EFSA demande des preuves in vivo sur l'homme car le règlement de 2006 prévoit que les allégations de santé ne devraient être autorisées qu'après une évaluation scientifique répondant aux exigences les plus élevées. Or, il est difficile de montrer un effet bénéfique d'une denrée alimentaire sur des personnes en bonne santé, qui sont la cible des allégations. De ce fait, le nombre d'allégations de santé autorisées a considérablement diminué puisque, sur les allégations génériques transmises avant 2008, seules 229 ont été autorisées. Les exploitants du secteur alimentaire estiment que ce faible nombre d'allégations autorisées nuit à la qualité de l'information délivrée au consommateur puisque les produits restent en vente malgré l'absence d'allégation, et que cela ne favorise pas l'innovation.

Une autre difficulté rapportée par les exploitants du secteur alimentaire concerne la mise à jour de la liste des allégations nutritionnelles autorisées. Ils estiment que cette liste doit faire l'objet d'une mise à jour régulière pour tenir compte des évolutions scientifiques qui influencent les recommandations en matière d'alimentation.

Enfin, selon les exploitants du secteur alimentaire, les autorités compétentes des États membres n'appliquent pas avec la même rigueur les dispositions du règlement de 2006. Ainsi, les autorités italiennes permettent aux fabricants de produits contenant des probiotiques d'utiliser une allégation de santé qu'ils assimilent à un descripteur générique. Rappelons que la Commission européenne n'a pas souhaité inclure les probiotiques dans la liste de substances concernées par les allégations nutritionnelles et que l'EFSA n'a validé scientifiquement aucune allégation de santé relative aux probiotiques.

Sur le fondement de ces analyses, il me paraît nécessaire de revoir les conditions de mise en oeuvre et d'application de ce règlement de 2006, sans pour autant le remettre en cause globalement. Cinq points particuliers doivent selon moi retenir notre attention.

La première difficulté à résoudre concerne les profils nutritionnels. L'idée serait de disposer enfin de profils nutritionnels dont la mission essentielle doit être de conditionner l'emploi des allégations. Une définition transversale pourrait être privilégiée. Des exemptions devront être prévues pour prendre en compte le cas particulier des aliments consommés en faible quantité mais apportant des nutriments indispensables, comme les huiles, ou les produits dont la fabrication répond à un cahier des charges particulier.

Le deuxième sujet concerne les allégations relatives aux produits à base de plantes. Pour éviter que ces produits ne continuent à afficher des allégations qui n'ont pas été évaluées, il est nécessaire de définir une procédure d'évaluation adaptée. Celle-ci permettra de prendre en compte l'usage traditionnel des plantes mais, en contrepartie, devra inclure une évaluation permettant de garantir la sécurité du consommateur.

Troisième point qui mérite notre attention : s'il n'est pas question de remettre en cause le fondement scientifique des allégations, il ne faut pas pour autant décourager l'innovation. Je propose donc que la Commission prévoie de revoir régulièrement la liste des allégations nutritionnelles autorisées pour tenir compte des évolutions scientifiques en ce qui concerne les recommandations alimentaires. De plus, l'EFSA doit pouvoir organiser des consultations préalables à toute demande d'autorisation d'utiliser une allégation. Cela lui permettrait de préciser ses demandes aux exploitants du secteur alimentaire pour éviter que ceux-ci ne dépensent des sommes importantes pour présenter des dossiers qui n'ont aucune chance d'aboutir.

Mon quatrième point concerne la concurrence. Un des objectifs de ce règlement est d'harmoniser les conditions d'utilisation des allégations au sein de l'Union. Or, on s'aperçoit que cet objectif n'est pas atteint. Les autorités compétentes des États membres chargées de contrôler l'application du règlement de 2006 sont plus ou moins souples. Comme je le disais précédemment, en Italie, les allégations sur les probiotiques sont assimilées par l'autorité nationale à des descripteurs génériques, que les exploitants du secteur alimentaire peuvent utiliser tant que la Commission ne s'est pas prononcée sur cette question. Autre exemple : l'allégation « sans sucres » peut être utilisée selon les conditions prévues par le règlement de 2006 ou selon celles prévues par un autre règlement, le règlement (CE) n° 1333/2008, qui est moins restrictive. J'appelle donc la Commission à clarifier ces situations ambiguës.

Enfin, et je crois que c'est là un élément fondamental : il faut développer l'éducation à l'alimentation, tout au long de la scolarité. Pour cela, il sera possible de s'appuyer sur les moyens financiers du programme santé de l'Union européenne pour 2021-2027.

Ce sont tous ces points qui figurent dans les conclusions du rapport que je vous présente et que je propose de mettre en avant dans la proposition de résolution européenne et l'avis politique que je vous soumets. Je vous remercie.

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