Merci. Pascale Gruny vous a présenté le cadre général dans lequel s'insèrent trois propositions de règlement. En effet, la Commission européenne a présenté, le 11 novembre 2020, une communication intitulée « Construire une Union européenne de la santé : renforcer la résilience de l'Union européenne face aux menaces transfrontières graves », COM(2020) 724. L'intitulé est plutôt encourageant.
Cette communication s'accompagne de trois propositions de règlement, COM(2020) 727, COM(2020) 726 et COM(2020) 725 visant respectivement une mise à niveau de la décision n° 1082/2013/UE relative aux menaces transfrontières graves sur la santé, un renforcement du mandat du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et une extension du mandat de l'Agence européenne des médicaments (EMA).
Ces trois propositions de règlement présentent un intérêt certain dans le contexte actuel qui appelle à renforcer l'Europe de la santé. Je crois que, sur ce point, tout le monde est d'accord. Cela ne doit toutefois pas nous empêcher de réfléchir à la meilleure ligne de partage des compétences entre l'Union européenne et les États membres en ce domaine d'intérêt vital, et ce d'autant plus que l'Union ne dispose que d'une compétence d'appui dans ce domaine. Or, après analyse, il nous apparaît que ces trois propositions de règlement contiennent des dispositions qui ne sont pas conformes au principe de subsidiarité. Pour les textes relatifs au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et à l'Agence européenne des médicaments, une seule disposition au sein de chaque texte est en cause. Pour le texte COM(2020) 727 concernant les menaces transfrontières graves pour la santé, les griefs sont plus nombreux.
Commençons donc par ce texte. Pour faire face à de futures épidémies, la Commission européenne estime nécessaire, d'une part, d'améliorer la coordination et la coopération entre États membres, et d'autre part, de développer les capacités de préparation et de réaction de l'Union. Certes, chacun s'accorde sur le fait qu'une plus grande coordination entre les États membres est nécessaire face à une crise qui touche l'ensemble des États membres et justifie donc une action de l'Union. Nous avons tous été témoins des difficultés de cette coordination. Toutefois, cela doit se faire dans le respect des compétences des États membres, comme prévu par les Traités. Je rappelle que l'article 168, paragraphe 7, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne donne le cadre juridique de la politique de santé en prévoyant que « l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres, en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées ». Il s'agit donc de déterminer une limite acceptable pour l'action de l'Union qui présente une valeur ajoutée certaine pour encourager et organiser la coopération entre États membres et limiter le risque d'ingérence dans les politiques nationales. Dès lors, on peut regretter que, dans ses propositions, la Commission ne soit pas plus précise quant à cette limite.
Pour améliorer la coordination entre États membres, la Commission prévoit notamment de renforcer les prérogatives du Comité de sécurité sanitaire. Institué par la décision n° 1082/2013/UE, il est composé de représentants des États membres. La proposition de la Commission prévoit que ce Comité pourra adopter, à la majorité simple, des orientations et des avis sur les mesures prises par les États membres face à une menace transfrontière grave pour la santé. La Commission définira dans un acte délégué les modalités selon lesquelles ces avis seront adoptés. La question est alors de savoir si ces avis lieront les États membres ou pas. Pour nous, il convient donc que la Commission clarifie ce point dans la proposition de règlement et pas dans un acte délégué, pour éviter toute remise en cause des compétences des États membres en matière de santé. Si on fait un parallèle, c'est comme si on autorisait la Commission à légiférer par ordonnance.
De plus, la Commission propose que l'Union établisse un plan de réaction et de préparation contre les crises sanitaires et les pandémies. Les États membres devront faire de même. Le contenu de ces plans sera défini par la Commission via un acte d'exécution. Les plans nationaux devront être cohérents avec celui de l'Union, qui devient donc, de fait, « contraignant » comme la Commission l'indique dans sa communication COM(2020) 724. La Commission organisera des évaluations et des audits réguliers de ces plans, avec le soutien du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, pour garantir l'interopérabilité des plans nationaux avec celui de l'Union. Ces évaluations devraient même conditionner le soutien financier de l'Union aux plans nationaux.
L'objectif poursuivi est d'harmoniser les plans de préparation et de réaction des États membres. Cela ne peut se faire sans harmonisation de dispositions législatives et réglementaires au sein des États membres. Or, c'est contraire à l'article 168, paragraphe 5, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sur lequel la Commission fonde pourtant sa proposition.
La participation du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies aux audits des plans nationaux est une disposition reprise dans le texte COM(2020) 726 qui renforce les compétences de ce Centre. Or, le règlement créant ce Centre a été pris sur la base de l'article 152 du Traité instituant les Communautés européennes qui excluait également toute harmonisation de dispositions législatives et réglementaires des États membres. On va donner une compétence au centre qui n'est pas fondée au regard du cadre juridique qui l'a créé. À nos yeux, le Centre n'a pas vocation à participer à des audits visant à rendre conformes les plans nationaux au plan de l'Union. Si cette disposition mérite d'être dénoncée, le texte COM(2020) 726 est globalement conforme à nos recommandations. Le développement et l'interopérabilité des plateformes numériques permettant la surveillance épidémiologique, la possibilité pour le Centre de formuler des avis plus opérationnels et l'institution d'une task force sous la responsabilité du Centre pour soutenir sur le terrain la réaction des États membres nous semblent des mesures intéressantes.
Enfin, le texte COM(2020) 725 qui renforce le rôle de l'Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux contient également des dispositions qui vont dans le bon sens. Le soutien de l'Agence aux promoteurs d'essais cliniques se déroulant dans différents États membres ou l'institution d'une task force visant à fournir gratuitement des avis sur les questions scientifiques ayant trait au développement des traitements et vaccins pour la maladie à l'origine de l'urgence de santé publique sont des mesures essentielles pour accélérer le développement de traitements ou de vaccins.
Toutefois, une disposition a retenu notre attention au regard du principe de subsidiarité. La Commission prévoit qu'elle pourra prendre les mesures nécessaires, dans la limite de ses compétences, pour atténuer les effets des pénuries réelles ou potentielles. Les États membres devront respecter ces mesures. Pour nous, la nature de ces mesures doit être précisée. Si celles qui pourraient concerner les restrictions à l'exportation concernent bien le fonctionnement du marché unique et ressortent donc de l'Union européenne, celles qui concerneraient la gestion des stocks au niveau national relèvent de la compétence des États membres.
Nous vous présentons donc trois propositions de résolution portant avis motivé que nous vous proposons d'adopter. L'enjeu est de préciser un certain nombre de choses pour éviter que le vide juridique de ces règlements provoque un grignotage de la compétence communautaire sur celle des États membres et un conflit entre compétence communautaire et compétence des États membres.