Intervention de Marie-Christine Saragosse

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 janvier 2021 à 9h30
Audition de Mme Marie-Christine Saragosse présidente-directrice générale de france médias monde

Marie-Christine Saragosse, Présidente-directrice générale de France Médias Monde :

Je suis heureuse de m'exprimer devant votre commission qui a toujours apporté son appui à nos développements.

Ce COM d'un genre nouveau a été établi dans un climat très constructif et dans une convergence de tout le secteur public ; cinq objectifs communs et une feuille de route commune vont permettre désormais d'affirmer l'essence d'un service public de l'audiovisuel. La rude période pandémique que nous vivons a montré toute l'importance de s'adosser à des médias de service public fiables qui permettent de lutter contre les fausses informations. FMM est également doté d'objectifs spécifiques et des chantiers prioritaires de coopération sont définis. Tout concourt à donner un élan collectif au service public, tout en respectant la spécificité de chaque entreprise. Notre spécificité est donc respectée et même reconnue : l'audiovisuel extérieur et les enjeux européens et internationaux font leur entrée dans les objectifs communs du service public de l'audiovisuel. C'est une belle reconnaissance pour notre groupe.

La trajectoire budgétaire et la durée du COM sont cohérentes : les moyens indiqués sont donc en principe sanctuarisés. Cela n'a pas toujours été le cas : en 2020, il nous a manqué 10 millions d'euros par rapport à la trajectoire initiale. Mais que se passera-t-il en 2023 ? Le véhicule de collecte de la redevance, la taxe d'habitation, va disparaître. En outre, 2022 sera une année électorale importante. Le service public disposera-t-il toujours d'une recette affectée ? Il ne s'agit pas d'une simple question de financement : c'est aussi une question de stature, car cette recette affectée contribue à l'indépendance du secteur, dans une période marquée par le soupçon, le complotisme et la manipulation de l'information. À l'international, cette indépendance est le gage de notre crédibilité et donc de notre influence. Toutes les études qualitatives que nous réalisons montrent que nous bénéficions d'une confiance forte. J'attire donc votre attention sur l'après-2022.

Les axes spécifiques de FMM s'inscrivent dans la continuité de notre stratégie. Nos audiences ont fortement augmenté en 2020 : 235 millions de contacts hebdomadaires en 2020 - contre 207 millions en 2019 - ; 2,4 milliards de vidéos vues en 2020 - contre 1,5 milliard en 2019 - ; 89 millions d'abonnés sur nos réseaux câblés ; 770 millions de visites sur nos sites propriétaires. L'année 2020 a été celle du dépassement des records historiques du groupe. En cette période de pandémie, celui-ci est apparu comme une valeur refuge.

Le coeur de notre mission n'a pas changé : il s'agit d'offrir quotidiennement une information vérifiée, honnête, équilibrée et indépendante, en luttant contre les manipulations de l'information à l'échelle du monde, en français, mais aussi dans les dix-huit autres langues du groupe. Vos rapporteurs ont indiqué dans leur rapport du printemps dernier que l'audiovisuel extérieur était une arme anti-infox dans la crise sanitaire mondiale : c'est vrai ; nous avons joué ce rôle, et continuons à le jouer avec les enjeux autour de la vaccination. C'est ainsi que France 24 et RFI ont été classés par le site indépendant NewsGuard parmi les dix sites francophones les plus fiables au monde. Nous sommes aussi porteurs des valeurs humanistes et démocratiques françaises : la laïcité, l'égalité entre les femmes et les hommes, le respect des droits humains, le pluralisme des points de vue. Notre pédagogie est donc essentielle.

La francophonie est la matrice de notre groupe, de notre pensée et de notre stratégie. Nous diffusons en langue française - en télévision, en radio, en numérique - sur tous les continents et dans tous les pays. Nous avons un rôle particulier en termes d'apprentissage du français à partir d'une vingtaine de langues étrangères. Nous diffusons les savoirs en français, grâce notamment à RFI Savoirs. Nous développons aussi le plurilinguisme qui nous permet de parler de la France et de la francophonie à des personnes qui ne sont pas encore francophones. Dans ce cadre-là, ce COM met l'accent sur les langues africaines : nous avons des rédactions en Afrique, à Dakar, à Lagos et à Nairobi. Grâce à votre soutien constant sur l'aide publique au développement, nous avons lancé la semaine dernière un magnifique projet avec Canal France international (CFI), financé par l'Agence française de développement (AFD), pour diffuser chaque jour deux heures en langue fulfulde et deux heures en mandingue. CFI va également opérer un grand transfert de compétences en direction de la société civile africaine. Nous espérons que ce rapprochement avec l'AFD, qui est une première, se perpétuera.

Le deuxième axe de notre action pour développer les langues étrangères s'articule autour de l'espagnol. La chaîne France 24 est passée de six à douze heures de diffusion en espagnol, à budget constant, par le biais de ses multidiffusions. Les répercussions sont fortes, puisque 55 % de foyers supplémentaires reçoivent désormais la chaîne, et que l'on a mesuré une audience de 3,2 millions de téléspectateurs dans trois pays, en augmentation de 50 % par rapport à 2019. La fréquentation du site en numérique a également été multipliée par trois.

Quant à RFI, elle « fait un tabac » en espagnol, grâce à ses émissions coproduites. La station compte 530 radios partenaires en Amérique latine, ce qui est extrêmement prometteur. L'impact de France 24 et de RFI devrait faire la différence dans ce territoire si francophile qui offre un beau marché à nos entreprises.

Notre troisième axe de développement d'une stratégie linguistique concerne l'arabe. Nous y consacrons une offre rénovée plurimédia. Nous avons renforcé les synergies entre France 24 en arabe et Monte Carlo Doualiya, à l'occasion, il est vrai, d'un plan de départs. La station, très connue, est leader aux Proche et Moyen-Orient, tandis que France 24 est numéro un au Maghreb. Les coproductions alimentent la notoriété réciproque des deux médias dans les zones concernées. Nous devrions lancer, au printemps prochain, une grille rénovée avec des synergies renforcées.

Le troisième objectif de France Médias Monde dans le cadre de ce COM porte sur la transformation numérique. Dans la continuité de notre action, nous développons une stratégie d'hyperdistribution sur les réseaux sociaux, dite « stratégie du coucou », car elle consiste à aller se nicher dans les carrefours d'audience les plus fréquentés pour lutter contre les fake news, les manipulations et le complotisme. Nous allons donc « au front », là où se trouve l'audience.

Nous développons un grand nombre de nouveaux formats. Nous travaillons sur le développement de l'intelligence artificielle, notamment dans le domaine de la traduction. Nous mettons également en place une « stratégie datas », en procédant à l'analyse des données qui remontent des audiences, pour être toujours plus pertinents, sans jamais trahir notre ligne éditoriale. Grâce à cela, nous avons atteint une production de 2,4 millions de vidéos et de sons en 2021.

Le développement de notre présence mondiale constitue le quatrième objectif spécifique que vise France Médias Monde. Il garantit en effet la reconnaissance de notre vocation à être présents dans tous les pays et sur tous les continents. Si l'Afrique reste au coeur de notre stratégie, tout comme le monde arabe, l'Europe représente aussi un enjeu majeur, à la veille de la présidence française de l'Union européenne, en 2022, et au moment où le Brexit vient changer la donne.

Nous travaillons beaucoup avec la Deutsche Welle. La Commission européenne vient de valider de nouveau notre site InfoMigrants qui a enregistré 76 millions de contacts numériques en 2020. Les financements ont donc été renouvelés pour 2021 et 2022. Nous avons également remporté, en novembre dernier, l'appel d'offres pour « Enter ! », projet à destination des jeunes européens, développé avec la Deutsche Welle. Il devrait être lancé au mois de mars prochain, en six langues. Dédié aux réseaux sociaux, il sera l'occasion pour les jeunes de parler de l'Europe. Le plurilinguisme favorisera l'élargissement de l'audience à ceux qui n'ont pas forcément poursuivi leurs études et qui, se sentant laissés pour compte, risquent d'être en proie à des manipulations. J'espère vous présenter le projet au printemps prochain.

Nous sommes également partenaires de la Deutsche Welle pour la chaîne YouTube en turc, qui s'appelle « +90 ». Même si elle est formidable, cette chaîne ne pratique pas de stratégie anti-infox : on peut y énoncer des contre-vérités totales sur la France, sans que nous ayons les moyens de les contrecarrer. Le sujet est préoccupant.

En France, nos tutelles ont soutenu l'idée que les médias, financés par la redevance audiovisuelle, devaient jouer un rôle de manière ciblée. France 24 est accessible en trois langues sur tout le territoire, sur le câble et par le satellite. RFI est accessible en FM à Paris et en radio numérique terrestre (DAB+), à Lille, Lyon, Strasbourg, Marseille, Bordeaux et Toulouse. À la suite de la préemption de la ministre de la culture, soutenue par le ministre de affaires étrangères, et bien accueillie par le CSA, nous lancerons à compter du mois de février prochain l'accès en DAB+ de Monte Carlo Doualiya, à Marseille et en Île-de-France. Nous aurons ainsi une radio arabophone républicaine, qui émettra à côté d'autres radios arabophones présentes sur le territoire, avec lesquelles nous pourrons développer des coopérations.

France 24 et RFI en espagnol devraient franchir de nouvelles étapes de développement en Amérique latine.

Quant aux États-Unis, il est vrai que notre présence a reculé en raison des coûts de la distribution payante. Toutefois, le pays est très mature sur le plan numérique. Nous avons donc misé sur l'over-the-top service (OTT), en y introduisant l'ensemble des langues pratiquées sur France 24, y compris l'espagnol. Nous comptons aussi sur le numérique, car les États-Unis représentent 10 % de la fréquentation de nos offres numériques, au deuxième rang après la France, notamment sur YouTube où la fréquentation américaine se caractérise par une durée longue, de huit minutes en moyenne par visite.

Nous sommes portés par le succès en Asie. Nous signons des contrats gratuits, en Inde, notamment, mais aussi en Thaïlande et au Vietnam. La France a une réputation très positive dans cette zone du monde.

Dans le contexte actuel de menaces et d'attaques contre la France et de boycott de ses produits, nous devons veiller à offrir un service après-vente quotidien pour maintenir notre présence mondiale. Il est important que le président de la République aille parler à Al Jazeera, car en s'adressant directement à une chaîne arabe, il ne donne pas le sentiment de privilégier uniquement France 24 en arabe, dans un entre-soi négatif. En revanche, il n'y a que sur France 24 que l'on peut parler en anglais et en arabe de la laïcité ou de la liberté d'expression, notamment au sujet de l'affaire des caricatures. Nous veillons à le faire sans ostentation et avec beaucoup de pédagogie.

C'est ainsi que nous construisons l'originalité de notre positionnement par rapport à la Deutsche Welle ou à la BBC, qui bénéficient de financements bien supérieurs aux nôtres, puisqu'elles reçoivent chacune 100 millions d'euros de plus que France Médias Monde. Nous espérons nous distinguer en portant la conscience profonde de la France.

Notre cinquième objectif spécifique consiste à développer des synergies avec les autres sociétés, grâce à des offres éditoriales. France 24 fournit ainsi plus du tiers des programmes de France Info. RFI Savoirs est très présente dans l'offre éducative de Lumni. Nous regroupons tous nos produits culturels dans Culture Prime. Enfin, nous mutualisons les moyens avec nos collègues du service public en matière de formation et d'achats groupés, ce qui réduit les coûts.

D'ici à l'été prochain, l'État devrait fixer une méthodologie pour que nous concluions des pactes avec les sociétés dont l'activité est en lien avec la jeunesse, la culture, la musique et l'outre-mer. Il s'agit là du dernier volet du contrat d'objectifs et de moyens.

Enfin, notre collaboration avec Arte est extrêmement fructueuse en matière de coproduction et de promotion croisée, notamment en espagnol.

Pour ce qui est des moyens, il faut prendre en compte la baisse de 3,5 millions d'euros de la redevance audiovisuelle, entre 2018 et 2022. Avec les glissements sur la masse salariale, les amortissements, les contrats de diffusion satellitaire, entres autres, l'impasse était de 16 millions d'euros. En 2018 et 2019, nous avons réalisé des économies à hauteur de 8 millions d'euros. Nous avons ciblé les 8 millions d'euros d'économies qu'il nous reste à réaliser entre 2020 et 2022 sur le coût des réseaux de diffusion, en veillant à ce que notre distribution continue de croître. Nous négocions des contrats importants comme le bail ou les prestations de production et nous faisons un effort sur les coûts de structure.

Enfin, dans la mesure où notre budget de programmes repose entièrement sur la masse salariale des journalistes qui produisent les programmes, nous avons dû mettre en place un plan de départs ciblé sur trente personnes. Il commence à avoir des répercussions en termes d'économies et ses effets en année pleine porteront en 2022.

Nous développons également des ressources propres, grâce aux recettes publicitaires numériques et aux aides de l'AFD et de l'Union européenne.

Le contrat d'objectifs et de moyens souligne le caractère d'exemplarité du secteur public, enjeu qui nous semble important. Ce que nous présentons sur nos antennes en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, de respect de la diversité et du handicap, de lutte contre le réchauffement climatique doit trouver des applications concrètes dans notre manière de travailler.

En conclusion, ce contrat donne de l'élan aux activités de France Médias Monde. Il marque la reconnaissance de notre crédibilité. Il constitue un outil plus que jamais nécessaire pour porter une vision humaniste, des valeurs singulières et un art de vivre à la française dans un paysage audiovisuel marqué par une concurrence violente et par la prolifération des manipulations. Ma seule inquiétude porte sur l'après : que se passera-t-il en 2023 ?

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