Avec nos collègues Cédric Perrin, Hélène Conway-Mouret, Jacques le Nay et Richard Yung, nous nous sommes rendus en Guyane du 11 au 15 décembre dernier.
Cette mission s'inscrit dans le cadre de nos déplacements auprès des unités françaises engagées en opérations. J'ai souhaité conduire cette mission conjointement avec la présidente Françoise Dumas et une délégation de nos collègues députés de la commission de la défense, ce qui lui a donné une grande force symbolique vis-à-vis de nos forces armées. C'est donc une délégation de 10 parlementaires, 5 sénateurs et 5 députés (Françoise Dumas, Josy Pouyeto, Jean-Marie Fievet, Claude de Ganay et André Chassaigne nous accompagnaient), qui se sont rendus auprès des forces armées en Guyane, les FAG.
Nous nous sommes rendus successivement à Cayenne, à Maripasoula, qui est un point de contrôle sur le fleuve Maroni, et une base avancée pour l'opération Harpie vers le coeur de la forêt équatoriale, et enfin à Kourou où se trouve le centre spatial guyanais.
Dans le cadre des attributions de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous poursuivions trois objectifs :
- évaluer la mise en oeuvre de l'opération « HARPIE » de lutte contre l'orpaillage clandestin ;
- évaluer le dispositif de sécurisation du centre spatial guyanais de Kourou, dans le cadre de l'opération « Titan » ;
- évaluer l'opération « Polpèche » de lutte contre le pillage de nos ressources halieutiques car nous avons là une zone économique très importante.
Nous nous sommes également intéressés au service militaire adapté, le SMA, qui produit en Guyane, comme dans les autres collectivités d'outre-mer, d'excellents résultats, et à la lutte contre le narcotrafic, dans la suite du rapport remarquable de nos collègues Antoine Karam et Olivier Cigolotti sur les « mules » qui transportent en quantité industrielle la cocaïne jusqu'aux marchés de consommation en Europe. On estime de 10 à 20 passagers de chaque vol Air France revenant de Guyane le nombre de « mules » qui reviennent sans être inquiétées.
La seule grande problématique de ce territoire que nous n'avons pas pu aborder est l'immigration illégale. Compte tenu de ses 1 500 km de frontières poreuses avec ses voisins, certains comparent la situation en Guyane à celle de Mayotte avec les Comores. Les gendarmes ont chiffré à 100 000 le nombre d'illégaux, pour 300 000 habitants. C'est donc un vrai sujet, mais nous avons logiquement concentré les 4 jours d'une visite déjà très dense sur l'action des forces armées, d'autant que la commission des lois a publié un rapport en 2020 sur la Guyane qui traite cet aspect.
Je vais laisser mes collègues développer chacun de ces points, me contentant de mettre en avant en introduction trois points saillants :
D'abord la spécificité géographique de la Guyane, qui est un département d'outre-mer mais pas une île. Cette réalité physique emporte plusieurs conséquences : la porosité avec les voisins, d'abord. Le territoire du département fait partie intégrante du plateau des Guyanes partagé, pour l'essentiel, avec le Brésil, le Surinam et le Guyana. Il est recouvert à 96 % par la forêt amazonienne qui est à la fois un milieu très difficilement pénétrable et contrôlable mais aussi un atout extraordinaire pour notre planète du fait de sa biodiversité. C'est le plus grand département français (82 000 km²). Il est relativement peu peuplé avec environ 300 000 habitants mais connait un très fort taux de progression démographique, qualifié de tsunami par nos interlocuteurs sur place, qui le met sous pression.
Ses « frontières » n'en sont pas vraiment. La Guyane est séparée des pays limitrophes à l'ouest par le fleuve Maroni, vers le Suriname, et à l'est par le fleuve Oyapok, vers le Brésil. Or ces fleuves ne sont pas des barrières naturelles, mais au contraire des axes essentiels de communication, dans un département grand comme le Portugal et où le réseau routier est limité à deux routes nationales en frange côtière. Le principal moyen de déplacement en Guyane est donc la pirogue sur les fleuves et rivières.
De ces contraintes naturelles, il ressort que l'aéromobilité des personnes, mais surtout des opérations, est essentielle. Partout, l'hélicoptère est la ressource rare, aussi bien pour les opérations que pour les évacuations sanitaires.
D'ailleurs les frontières ne sont pas totalement fixées : la frontière à l'est, sur le Maroni, entre la Guyane et le Suriname, fait depuis deux ans l'objet d'une négociation diplomatique menée par l'ambassadeur Antoine Joly, en poste au Suriname, à Paramaribo, en liaison avec le ministère des outre-mer, pour définir une délimitation conjointe. Cette mission entre dans sa phase finale et permettra de stabiliser le périmètre géographique de l'opération Harpie, s'agissant notamment des ilets sur le fleuve Maroni. Ainsi les populations du fleuve, les « Wayanas » et les « Marrons » en particulier, vivent sur les deux rives du Maroni. Bien plus que de partager une frontière, nous partageons avec le Suriname une population. Nos propres résidents français habitent parfois au Suriname, car la vie y est moins chère qu'en Guyane.
La délimitation résulte d'un arbitrage du Tsar Nicolas II de 1891 qui avait donné raison aux néerlandais, nos voisins d'alors. Il était urgent d'y voir clair, d'où ce très important travail diplomatique pour délimiter la frontière de façon concertée avec nos voisins surinamais.
Délimiter cette frontière est cruciale car le fleuve est l'objet d'une vive convoitise de la part des chercheurs d'or qui utilisent d'énormes barges (jusqu'à 40) et en empoisonnent les eaux au mercure. Or, ces parties du fleuve comptent 950 ilets, dont certains sont habités. C'est de l'ordre de 10 000 km2 de superficie qui sont en jeu entre la France et le Suriname.
Je précise qu'au vu de ses réserves en hydrocarbures, récemment découvertes, le Suriname sera demain une véritable puissance pétrolière, un « petit Koweit », suivant les mots du président de la collectivité territoriale de Guyane.
Deuxième point saillant, la Guyane se trouvant sur le territoire national, les opérations des forces armées sont des opérations intérieures, conduites avec la gendarmerie nationale. L'utilisation de la force est donc soumise à la légitime défense, bien que les difficultés du terrain et la dangerosité des actions qui sont menées soient comparables à celles d'une OPEX. Le coût humain de l'opération est d'ailleurs élevé : 7 militaires sont morts depuis le lancement de l'opération en 2008 : 3 sapeurs du 19e RG sont morts dans la fouille d'un puits le 17 juillet 2019 et 4 autres militaires sont morts entre 2012 et 2018, dont deux tués par des orpailleurs.
La collaboration très étroite avec les forces de gendarmerie est systématique : les gendarmes sont intégrés aux opérations. Ils font fonction d'OPJ, ce que ne peuvent pas faire les forces armées. De la même façon, l'action judiciaire est enserrée dans le cadre protecteur pour les libertés publiques qui est celui du territoire national, et c'est clairement une contrainte. Les textes français sont évidemment appliqués, mais il faudrait peut-être un peu de prise en compte des spécificités. Le Procureur de la République a souligné un point : c'est le seul territoire qui ne fait l'objet d'aucune disposition au sein du code de procédure pénale alors que tous les DOM TOM font l'objet de dispositions particulières. Ceci gêne évidemment les acteurs de la justice.
La contrepartie positive c'est une collaboration étroite entre tous les acteurs de l'État, qui nous ont donné le sentiment d'agir en grande synergie. Nous avons notamment eu une réunion sous co-présidence préfet-procureur qui nous a laissé un sentiment de grande fluidité entre tous les acteurs : gendarmerie, police aux frontières, douanes, justice, police nationale, préfecture.
Troisième point saillant : l'effort de l'État en Guyane est significatif, les moyens déployés sont importants.
Le ministère des armées à lui seul engage en Guyane 2 300 militaires et civils.
2 300 militaires et 600 gendarmes pour 300 000 habitants : c'est un ratio six fois plus important qu'en métropole ! Ces chiffres feraient rêver plus d'un maire de nos communes, mais les problématiques sont aussi assez différentes. Évidemment la croissance démographique, à l'ouest du pays principalement, et l'immigration illégale croissent plus vite que les services publics. La criminalité aussi, malheureusement, en particulier le trafic de drogue. Mais enfin l'État consacre quand même à la Guyane des moyens importants. Nous n'avons pas toujours trouvé dans la communication de tous les élus sur place une reconnaissance publique très aiguë de cet effort, aussi il est très important que le Sénat le dise.
A 7 000 km de la métropole, les Forces armées en Guyane, les FAG, ont une activité opérationnelle continue, et très élevée, très appréciée des militaires qui y participent, jusqu'aux actions de vive force, qui sont des actions « de guerre ». C'est une action interministérielle, conduite avec le Préfet, au service d'une stratégie globale, définie par l'État pour le département, qui comporte quatre volets. Au sein des forces armées elles-mêmes, du fait de l'éloignement d'avec la métropole, le COMSUP a la main sur les services de soutien des armées, ce qui est un gage d'efficacité.
Je précise que les forces armées n'ont évidemment pas vocation à conduire des missions d'ordre public ou de contrôle des frontières, mais que dans le cadre de l'opération « Résilience » lors de la crise sanitaire, des moyens des FAG ont été exceptionnellement engagés en appui de la police aux frontières pour le contrôle des frontières franco-surinamaise et franco-brésiliennes.