Intervention de Cédric Perrin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 janvier 2021 à 9h30
Déplacement en guyane — Communication de mm. christian cambon et cédric perrin mme hélène conway-mouret mm. jacques le nay et richard yung

Photo de Cédric PerrinCédric Perrin :

Ce déplacement fut extrêmement intéressant et enrichissant. L'orpaillage illégal constitue un véritable cancer économique et social que les forces armées en Guyane s'attachent, sinon à éradiquer, du moins à réduire.

Sur une surface, la Guyane, équivalente à la région Nouvelle Aquitaine, ou à celle du Portugal, la surface aurifère est grande comme la Suisse. Ce sont environ 400 militaires qui sont en permanence chargés de la contrôler, à pied, en pirogue ou, plus rarement, en hélicoptère, car il n'y a pas de route. Sauf exception, le matériel des orpailleurs, les Garimpeiros, est détruit sur place car il est trop couteux de l'extraire de la forêt.

On estime à 120 tonnes d'or primaire le stock d'or à exploiter en Guyane, sans compter l'or secondaire contenu dans les alluvions où les dépôts fluviaux. L'or a été projeté sur la terre par une collision de météorites. La quantité totale d'or présente sur terre est de 250 000 tonnes, dont 160 000 ont déjà été extraites. Compte tenu de l'amélioration du rythme d'extraction en raison d'une forte demande de la Chine, dans 16 ans, il pourrait ne plus y avoir d'or à extraire.

En conséquence, les cours montent, et n'ont pas fini de monter, rentabilisant l'extraction clandestine, même si l'action de nos soldats en alourdit le coût par destruction de matériel.

Les zones aurifères sont largement situées au coeur du parc amazonien de Guyane. Chaque année, on estime à une dizaine de tonnes d'or l'exploitation clandestine en Guyane, contre seulement deux tonnes légales. Ce sont environ 10 000 travailleurs clandestins qui sont dans la forêt Guyanaise, sur 400 sites actifs, pour l'essentiel d'origine brésilienne, et surinamaise. Le Brésil a quasiment complètement éradiqué l'orpaillage sur son territoire, d'où l'arrivée des Brésiliens en Guyane. Cette activité illégale génère, par ailleurs, une activité très importante en matière d'approvisionnement et de fournitures. On estime qu'il faut 10 000 litres de carburant pour extraire 1 kg d'or. 1 gramme d'or extrait en forêt se paye entre 18 et 27 euros, contre 50 pour le cours officiel, soit une recette de 100 000 euros tous les 20 jours, captée à 60 % par les commanditaires des orpailleurs.

Les Garimpeiros, sont pour la plupart miséreux et exploités, parfois soumis au travail forcé : ils sont donc également des victimes et présentent généralement un statut sanitaire précaire susceptible de contribuer à la propagation des maladies.

L'orpaillage clandestin entraîne une augmentation de la criminalité et de la délinquance. Autour des sites abritant les comptoirs logistiques mis en place par la filière minière clandestine - comme ceux que l'on peut observer sur la rive brésilienne de l'Oyapock ou sur la rive Surinamienne du Maroni - se développent des réseaux de drogue, de prostitution ainsi que des trafics d'armes. La violence, qui s'exerce également entre travailleurs clandestins, touche naturellement les populations locales. Cela se traduit, notamment, par des vols de moteurs de bateaux, mais également par des assassinats. Les communautés amérindiennes de Guyane sont très majoritairement opposées à ces activités illégales qui provoquent des conflits en occupant les terres, en dégradant un milieu naturel auquel ils sont particulièrement attachés et en exerçant des pressions sur les ressources de pêche et de chasse dont ils tirent leur subsistance.

Ce sont l'ensemble de ces conséquences qui permettent de dire que l'orpaillage clandestin est un véritable fléau qu'il convient d'éradiquer. C'est la raison pour laquelle l'État met en oeuvre des moyens importants pour lutter contre ce phénomène.

C'est donc l'opération « Harpie », lancée officiellement en février 2008, opération interministérielle de grande envergure qui vise à éradiquer l'orpaillage illégal. Elle est menée conjointement par les forces de l'ordre (police aux frontières, gendarmerie), les FAG et la justice.

Elle est placée sous l'autorité du préfet et du procureur de la République pour la partie judiciaire.

À partir d'octobre 2017, le dispositif Harpie a été rénové, complété et adapté afin qu'il ne soit pas uniquement une réponse sécuritaire, mais une approche globale mieux coordonnée et articulée selon trois axes : l'axe économique et environnemental, l'axe sécuritaire et judicaire, auquel contribuent les FAG, la police nationale, la gendarmerie nationale, les douanes, la justice, le parc amazonien guyanais (PAG), l'Office National des Forêts, et enfin l'axe diplomatique décrit par le Président Cambon.

Un état-major de lutte contre l'orpaillage illégal a été créé autour du préfet de région et du procureur de la République, avec un centre de commandement opérationnel de la Gendarmerie Nationale co-localisé avec l'état-major des FAG.

Harpie est mise en oeuvre par le 9e Régiment d'Infanterie de Marine (RIMa) et le 3e Régiment Etranger d'Infanterie (REI), renforcés par des compagnies tournantes en provenance de métropole. Lors de notre passage, il y avait, je crois, le 152e RI de Colmar et le 19e RG de Besançon.

En moyenne, 250 à 300 hommes sont déployés chaque jour, en permanence. Harpie vise à faire un cordon sanitaire sur le pourtour de la zone aurifère par des points de contrôle sur les rivières, et des opérations coup de poing en forêt. Les opérations sont conduites à partir de bases opérationnelles avancées dans la forêt, le long des grands fleuves, à l'Ouest Maripasula, sur le Maroni, à l'Est à Saint Georges et à Camopi, sur le fleuve Oyapok.

C'est une opération du « haut du spectre » : une opération de guerre menée en temps de paix sur le territoire national.

Les moyens aériens dont disposent les forces sont de 3 avions de transport Casa, 5 hélicoptères Puma, 4 hélicoptères Fennec, deux radars de contrôle aériens qui sont les seuls disponibles dans la sous-région.

Je relève plusieurs capacités originales, appelés « moyens spécialisés ». D'abord les chiens, très utiles : la compagnie cynophile aide à repérer les caches de carburant, d'explosifs et de mercure. 280 000 litres de carburant ont été saisis cette année.

Une compagnie de réservistes, composée de natifs de la région, est une aide très précieuse pour la connaissance du milieu équatorial.

Par ailleurs, les conducteurs de pirogues, qui sont en fait de véritables guides, ont le statut de personnels civils de la défense. Leur connaissance du fleuve est irremplaçable et conditionne la possibilité d'y naviguer.

Des unités d'action renforcées sont capables de mener des opérations commando et des plongeurs de combat du génie permettent des pénétrations fluviales en toute discrétion sur certains lieux. Les modes d'action de Harpie sont des patrouilles de plusieurs jours en forêt, du contrôle de zone, des barrages fluviaux, des embuscades. Les vecteurs de déplacement : à pied, en pirogue, en quad, en kayak, et, plus rarement, en hélicoptère.

En 2019, Harpie a réalisé 1 500 patrouilles, et le bilan est similaire à celui de 2018 : 1 824 grammes d'or ont été saisis, 3 135 « carbets » c'est-à-dire huttes ont été détruites, 45 concasseurs, 427 moteurs, 319 motopompes, 320 groupes électrogènes, 2 barges fluviales ont été saisies, 555 tables de levées qui servent à orpailler, 58 tonnes de vivres, 46 kilos de mercure ....

Les difficultés remontées par les forces sont les suivantes : les distances à couvrir sont immenses et induisent une forte dépendance aux vecteurs aériens, les transmissions sont difficiles, la nécessité d'être accompagnés en patrouille par des gendarmes et des médecins dimensionne, c'est-à-dire limite, les patrouilles. Un ajout récent de 6 nouveaux officiers de police judiciaire a levé un frein qui existait en la matière. Chaque patrouille doit être accompagnée d'un gendarme et d'un OPJ pour constater et mettre en oeuvre les actions judiciaires. Les moyens du Parquet ne sont pas dimensionnés pour permettre une réactivité suffisante notamment en matière de réutilisation après saisie. Les actions sur la frontière sont limitées par l'incertitude du tracé.

Le point noir est évidemment, cela n'étonnera personne dans la commission, la disponibilité des hélicoptères. L'âge moyen de la flotte est de 44 ans. Pour les Puma, il faut 18 heures de maintenance pour une heure de vol, et la disponibilité était de 38 % en 2018, 46 % en 2019, 47 % en 2020. Nous avons décortiqué les causes avec le commandant de la base aérienne et on retrouve toujours les mêmes causes : disponibilité des pièces de rechange, vétusté des matériels. On ne peut pas faire de miracles avec des appareils de 44 ans d'âge !

Les Casa c'est un peu mieux, la disponibilité oscille ces trois dernières années entre 50 et 70 %.

Cette faible disponibilité a évidemment des conséquences opérationnelles. Les évacuations sanitaires covid ou hors covid sont prioritaires, je rappelle qu'il n'y a ni service de cardiologie ni service de neurologie ni service de néo natalité en Guyane, il faut évacuer vers les Antilles ou la métropole, et donc les opérations militaires passent après s'il le faut. Le ravitaillement des soldats en forêt en souffre également. Nous avons rencontré des militaires du 3e REI qui rentraient de la forêt équatoriale et qui étaient en forêt depuis 72 jours en autonomie totale parce qu'ils n'avaient pas pu être évacués par manque de disponibilité des hélicoptères.

Les Puma seront remplacés par des H225 Caracal entre 2023 et 2025 si tout va bien, et les Fennec par des HIL à compter de 2030.

Notre appréciation globale sur Harpie c'est que cette opération ne permet que de maintenir l'orpaillage à bas niveau, mais pas de l'éradiquer. Mais c'est déjà un résultat car sans Harpie la forêt amazonienne serait littéralement décimée en Guyane.

Le coût annuel de Harpie est de 55 millions d'euros par an.

Je termine en précisant que le système de rémunération des militaires est défavorable en Guyane où le taux de majoration des soldes n'est que de 25 % , contre 40 % pour les autres outre-mer, alors que le coût de la vie y est cher car tout est importé ; on parle de plus de 40 % de surcoût par rapport à la métropole. Les indemnités de service en campagne sont fiscalisées alors que Sentinelle, qui est aussi une mission intérieure, ne l'est pas.

L'absence de structures de garde d'enfants est pénalisante ; la ministre venait d'ailleurs de poser la première pierre d'une crèche pour les familles de militaires la semaine où nous sommes allés en Guyane.

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