Intervention de Jacques Le Nay

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 janvier 2021 à 9h30
Déplacement en guyane — Communication de mm. christian cambon et cédric perrin mme hélène conway-mouret mm. jacques le nay et richard yung

Photo de Jacques Le NayJacques Le Nay :

Je vais vous présenter maintenant l'action des forces armées, essentiellement de la Marine, en association avec les affaires maritimes, les douanes et la gendarmerie, pour lutter contre le pillage des ressources halieutiques en Guyane. C'est l'opération « Polpèche ».

À l'échelle mondiale, près de 20 % des poissons sont pêchés illégalement, ce qui représente pour l'économie mondiale des pertes estimées entre 26 et 50 milliards de dollars. La menace de prédation des pêcheurs illégaux sur les ressources halieutiques de Guyane vient des pêcheurs brésiliens et surinamiens.

Avec un chiffre vous allez tout de suite comprendre la situation : au Brésil il y a 30 pêcheurs par kilomètre de côte, au Suriname il y a 60 pêcheurs par kilomètre et en Guyane seulement un pêcheur par kilomètre de côte. Sachant que le linéaire des côtes de Guyane française représente 378 km. Par comparaison, le Suriname 386 km, le Brésil 7 367 km. La France en référence, c'est 19 193 km, la Chine 15 274 et le Royaume-Uni 15 910 km. Il est important de mettre ces chiffres en comparaison.

Les pêcheurs illégaux font preuve de capacités permanentes d'adaptation : dissimulation dans la mangrove des navires surinamais qui pêchent de nuit, invention de dispositifs « anti-équipes de visite » du côté des pêcheurs brésiliens, avec un niveau de violence élevé pour les plus déterminés.

A ces acteurs « traditionnels » de la pêche illicite sont venus s'ajouter les Vénézuéliens. En 2020, 45 navires vénézuéliens bénéficient d'une licence attribuée par l'UE, mais cette pêche légale vénézuélienne se double d'une pêche illégale (jusqu'à 10 pêcheurs vénézuéliens par jour dans la ZEE française).

Dans un avenir proche, la Guyane pourrait être confrontée à une pêche illégale chinoise. Un certain nombre de signaux faibles permettent d'envisager cette hypothèse, dont la présence de pêcheurs chinois dans les eaux du Suriname ou à quelques milles nautiques au-delà de la ZEE. La stratégie chinoise est globale et bien connue : déploiements de flottilles dans tous les océans, accompagnés d'investissements portuaires permettant le traitement et la distribution du produit de la pêche.

La mer est dangereuse et vaseuse en Guyane ; il n'y a pas chez les habitants de Guyane de culture de la pêche ; les quelques bateaux de pêche guyanais sont possédés par des armateurs, avec des équipages surinamais ou brésiliens, mal payés, ce qui n'est pas incitatif ; il n'y a donc pas de filière « pêche ».

Protéger nos ressources c'est un enjeu économique mais c'est aussi un enjeu de souveraineté. Car, suivant la phrase désormais bien connue : « ce qui n'est pas surveillé est pillé, ce qui est pillé finit toujours par être contesté. »

Le commerce des « vessies natatoires », en particulier, est une catastrophe pour la biodiversité. La vessie natatoire est un système de navigation des poissons, dont les asiatiques considèrent qu'il est aphrodisiaque. Il se négocie à Hong Kong à 1 000 € le kilo, contre 2-3 € le kilo de prix de vente du poisson en Guyane. Il faut 30 kg de poisson pour extraire 1 kg de vessie natatoire, sachant qu'après prélèvement de leur vessie natatoire, les poissons morts sont rejetés à l'eau.

La Marine défend donc un pré carré qui est sous-exploité par ses propres nationaux, et sur exploité par ses voisins. C'est une situation singulière. Je ne vous cache pas que je me suis interrogé, quand on voit la situation des pêcheurs français confrontés au Brexit, sur cette situation. J'en ai parlé au préfet du Morbihan qui est l'ancien préfet de Guyane : des filières pêches pourraient être structurées, à condition qu'il y ait une réelle volonté des responsables guyanais, ce qui n'est pas encore le cas.

L'action des forces armées est plus particulièrement centrée sur l'observation des activités de pêches, l'interrogation de navires de pêche, la vérification des journaux de bord, la vérification des engins de pêche et le contrôle des maillages, l'appréhension des navires, matériels et produits de la pêche.

Il y a deux types d'action : la surveillance quotidienne et des coups de poing, souvent par des fusiliers marins, car en face ils se heurtent à des actes violents, en particulier de la part des pêcheurs brésiliens, qui n'hésitent pas à utiliser des dispositifs anti-abordage (dont des tridents), des jets de matériel en tout genre (plombs, planches de bois, bouteille de gaz, etc.) sur les équipes de visite, à utiliser des sabres.

Les équipes de visite « traditionnelles » interviennent sur les embarcations ou « patouilles » coopératifs uniquement (principalement à la frontière du Suriname).

Seules les opérations de police des pêches renforcées par des unités aptes à l'assaut-mer (Opération MOKARRAN avec des commandos marine ou des fusiliers marins, Opération MAKO avec des gendarmes maritimes) permettent l'intervention sur des pêcheurs non coopératifs (brésiliens principalement).

Le nombre d'opérations renforcées vise à maintenir au juste besoin une pression permanente et dissuasive.

Dans une stratégie globale interministérielle de bout en bout, les opérations de POLPECHE aboutissent à un traitement judicaire, avec de lourdes peines qui sont prononcées (prison ferme dans certains cas).

Il faut toutefois veiller à ce que ces opérations n'engendrent pas des prises de risques démesurées au regard des enjeux.

Une nouvelle procédure, dite de « dissociation » est testée, qui vise à ne ramener à terre pour les judiciariser que les pêcheurs les plus violents. Le traitement est plus léger et c'est très dissuasif si les peines sont lourdes.

La coopération internationale avec le Brésil et le Suriname reste évidemment un axe d'effort permanent.

En 2019, ce sont au total sur l'ensemble de la ZEE française 20 000 heures de mer (soit plus de 839 journées de 24 h) et 578 heures de vol qui ont été consacrées par la Marine nationale à la police des pêches. 254 contrôles de pêche ont été réalisés outre-mer, dont 150 ont débouché sur une sanction, soit un taux d'infraction de 59 %.

En Guyane plus spécifiquement, le bilan de POLPECHE s'élève à 169 contrôles, 24 déroutements et 62 traitements administratifs, 27 raccompagnements à la frontière. 255 km de filets ont été saisis, qui sont remontés par une embarcation originale, dite « remonte filets ». 1 tonne de « vessies natatoires » et 80 tonnes de poissons ont été saisis.

En novembre 2020, les FAG ont mené une importante opération qui a permis de saisir plus de 37 tonnes de poissons et 209 kg de vessies natatoires.

Comme nous l'ont dit les marins sur place, cette action sans cesse recommencée est un « acte de foi ». Mais il est essentiel de défendre notre souveraineté.

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