Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 janvier 2021 à 9h30
Déplacement en guyane — Communication de mm. christian cambon et cédric perrin mme hélène conway-mouret mm. jacques le nay et richard yung

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Le 6 janvier dernier, le groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique s'est déplacé à Calais et Boulogne-sur-Mer.

La conclusion in extremis, le 24 décembre dernier, d'un accord de libre-échange, sans droits de douane ni quotas, n'en implique pas moins, depuis le 1er janvier, d'effectuer des déclarations douanières et des contrôles de marchandises à la frontière. C'était le premier enjeu de notre déplacement que de mesurer la capacité de nos infrastructures frontalières à absorber ces contraintes nouvelles.

Par ailleurs, l'accord semble préserver les intérêts de nos pêcheurs, avec une réduction de 25 % des prises dans les eaux britanniques jusqu'en juin 2026. Le gouvernement britannique réclamait une restitution de 70 % ! Mais l'Union européenne souhaitait, elle, une période de transition de 14 ans...

Sur le coup, les pêcheurs britanniques ont protesté... puis on a cessé de les entendre sur la question des quotas. Se pourrait-il que notre accord ne soit pas aussi bon qu'on pourrait le croire ? C'était l'autre enjeu du déplacement que de prendre la mesure des difficultés et des incertitudes au plus près de nos professionnels de la pêche.

Avec le port et Eurotunnel, Calais est l'épicentre du trafic transmanche. Nous n'y avons constaté aucun encombrement, ce qui ne devait rien à l'efficacité de l'organisation aux frontières. En effet, le trafic était réduit de moitié, pour trois raisons : le mois de janvier est toujours calme, le reconfinement britannique freine la demande, et beaucoup d'importations avaient été anticipées à l'automne.

Les déplacements personnels, très raréfiés, étaient encore moins problématiques, avec, au fond, peu de changement puisque le Royaume-Uni ne faisait pas partie de l'espace Schengen et qu'un contrôle d'identité avait déjà lieu aux frontières. Bientôt, les Anglais voyageront à nouveau, et ils y seront encouragés par le duty free ; les élus du secteur soutiennent d'ailleurs un projet de zone franche à Calais, sachant qu'il s'en prépare une de l'autre côté de la Manche...

Le plus marquant, lors de la visite des terminaux ferroviaires et portuaires de Calais, reste la sophistication de la gestion du trafic, organisé de sorte qu'aucun ralentissement ne résulte des contrôles douaniers et phytosanitaires. Il faut savoir que, chaque jour, dans l'eurotunnel, 18 navettes de ferroutages chargent des camions sur 800 mètres de long, 9 navettes « passagers » chargent des autocars et des voitures ; à Calais, 7 bateaux font chacun 5 allers-retours...

Un système de « frontière intelligente » - smart border - permet de transmettre à la douane située en France les déclarations exigibles lorsque s'engage le fret maritime ou ferroviaire d'un camion de marchandises à Douvres ou Folkestone. Le temps de la traversée, la douane française vérifie que les documents sont complets et effectue une analyse des risques pour décider ou non de contrôler le véhicule concerné à sa sortie à Calais.

Les déclarations - normalement établies par le chargeur - permettent de vérifier que l'on n'est pas en présence d'une simple réexportation de biens importés au Royaume-Uni ; leurs composantes doivent être ainsi britanniques à 60 % ou provenir de l'Union européenne.

Environ un véhicule sur cinq est soumis à un contrôle et redirigé vers le bureau de douane. Les insuffisances documentaires donnent encore lieu à une assistance pédagogique du bureau de douane pour satisfaire aux nouvelles obligations, sans rejet a priori. Ce système doit permettre de ne pas freiner le trafic dans une organisation millimétrée où l'immigration clandestine est un risque majeur - ce qui explique un dispositif de barrières impressionnant. De fait, lorsque des files de poids lourds s'étaient formées en amont des terminaux de Calais en décembre dernier, de nombreux migrants les avaient pris d'assaut, ce qui avait compliqué les contrôles à l'embarquement et accru d'autant les durées d'attente.

Les retards sont particulièrement préjudiciables pour le transport de produits frais, notamment de poisson - comme on allait nous l'expliquer un peu plus tard à Boulogne. Ainsi, une des difficultés les plus signalées depuis le 1er janvier concerne une trentaine de camions chargés de poisson en provenance d'Ecosse, qui se sont retrouvés bloqués car le système déclaratif britannique n'était pas encore au point.

Les importations d'animaux et de produits alimentaires font désormais l'objet d'un contrôle spécifique par le SIVEP, le service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières. Pour réduire l'attente au maximum, trois antennes, ouvertes 24 heures sur 24, ont été déployées à Calais et à Boulogne. En tout, les effectifs du SIVEP ont été portés de 95 à 400 agents relevant du ministère de l'agriculture.

Faute de statistiques sur les marchandises transportées auparavant - les biens circulaient librement -, le calibrage de la nouvelle organisation n'a pas été facile. 11 cargaisons différentes ont pu être dénombrées dans un même camion ! On espère que, pour réduire le nombre de déclarations, les marchandises seront bientôt mieux regroupées, et les contrôles facilités.

Simple anecdote ou prémices de difficultés ultérieures ? À la douane d'Eurotunnel, en contrepoint des propos qui venaient de nous être tenus sur la « frontière intelligente », un camionneur a témoigné des conditions concrètes de son attente au guichet, dans un local dont l'exiguïté interdisait toute distanciation sociale, et pour une durée très supérieur au maximum de 2 heures annoncé par les responsables... Nous étions loin de la théorie !

La situation doit s'améliorer à la faveur de progrès attendus dans la connaissance des formalités et l'organisation des files d'attente. Puissent ces progrès être plus rapides que la reprise du trafic ! À ce jour, à Calais, on ne note toujours pas de ralentissement sensible.

Nous nous sommes ensuite rendus à Boulogne - plus grand port de pêche français avec 400 000 tonnes de poisson traités chaque année -, où nous avons rencontré des représentant de la filière pêche. M. Cuvillier, maire de Boulogne-sur-Mer, résume assez bien, à mon sens, la situation : « Nous sommes soulagés [par le nouvel accord], mais pas rassurés ». À très court terme, deux problèmes ont été soulevés. D'abord, celui des autorisations d'accès à la bande des 6 à 12 milles : les licences n'avaient toujours pas été délivrées alors qu'elles étaient attendues pour le 4 janvier au plus tard. Et, à ce jour, elles ne l'ont toujours pas été ! Il en résulte une concentration de bateaux français, belges et néerlandais dans nos eaux, au risque d'une surexploitation de la ressource.

Le second porte sur les certificats de capture, dont la délivrance par les capitaines de bateaux de pêche français n'est pas encore assurée, aux dépends de nos débouchés à l'exportation.

Une fois ces difficultés levées, restera le problème des lourdeurs administratives auxquelles sont confrontés nos pêcheurs.

J'en arrive aux questions de fond encore en suspens. Elles sont primordiales, à commencer par l'interprétation de la réduction des prises de 25 % dans les eaux britanniques. Doit-elle se faire en volume ou en valeur ? Quelle est sa déclinaison par espèce et par zone de pêche ? Surtout, la première marche, en 2021, doit-elle représenter 15 %, comme l'entendent les Britanniques, ou par exemple 5 %, en suivant une progression linéaire ? Et qu'adviendra-t-il au bout de 5 ans et demi, quand l'accord devra être renégocié ? Cette question est cruciale, car le coût d'acquisition d'un bateau de pêche implique une longue durée d'amortissement. Dans ce contexte, quel jeune voudra se former et s'engager dans la profession ? Quel banquier voudra lui prêter ?

Autre question, comment les Britanniques gèreront-ils l'évolution des stocks de poissons dans leurs eaux ? Des représentants de pêcheurs français et britanniques se sont rapprochés en vue d'étudier les modalités d'une gestion durable de la ressource, démarche dont les Sénateurs se sont félicités.

Par ailleurs, les négociations concerneront aussi nos rapports avec les autres États membres. Le partage des quotas sans le Royaume-Uni suppose une remise à plat des parts relatives attribuées aux pêcheurs de chaque pays. Or celle-ci pourrait ne pas être favorable à la France compte tenu de l'évolution comparée des flottilles de pêche. Dans ce contexte peu porteur et lourd d'incertitudes, le plan d'aide annoncé par le gouvernement pour les pêcheurs sera particulièrement nécessaire, de même que le recours aux fonds structurels. Comme l'a souligné Frédéric Cuvillier, « l'Europe doit réagir et mettre en place une politique d'accompagnement du Brexit dans les territoires qui sont les plus touchés ».

Sans aide organisée, certaines tensions pourraient s'exacerber dans le contexte d'une plus forte concentration de bateaux dans les eaux françaises - par exemple vis-à-vis des Néerlandais, qui pratiquent massivement la pêche industrielle.

Voilà, M. le Président, mes chers collègues, au retour du groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique à notre retour de Calais et Boulogne-sur-Mer, les principaux éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Vous l'avez vu, les questions en suspens sont nombreuses et supposeront toute l'attention du groupe de suivi, d'autant que d'autres difficultés se manifestent aux frontières, notamment entre le Royaume-Uni et l'Irlande. Et bien d'autres questions se posent, y compris dans les domaines de la politique étrangère et de la défense.

Pour ma part, en tant qu'élu du Calvados, j'ai relevé, à l'occasion de visites ministérielles dans les ports de Caen-Ouistreham et de Port-en-Bessin, qui n'ont pas du tout les mêmes dimensions que Calais et Boulogne-sur-Mer, que les problèmes y sont strictement les mêmes.

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