Intervention de Clément Beaune

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 février 2021 à 9h00
Institutions européennes — Suivi des résolutions européennes du sénat - Audition de M. Clément Beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes

Clément Beaune , secrétaire d'État :

En effet : il a été rattrapé mais, par rapport à notre ambition, le résultat n'est pas totalement satisfaisant. Sur la pêche, les enveloppes prévues sont importantes, toutefois.

J'en viens à la résolution adoptée en juin 2020 sur la PAC et les mesures à prendre en temps de crise. Ce texte faisait le constat de la fragilité du secteur agricole européen, français en particulier, en temps de crise, et de la nécessité pour l'Union européenne de lui venir en aide en adaptant ses règles, notamment dans le domaine de la concurrence. Comme le ministre de l'agriculture, Julien Denormandie, je partage votre conviction. Indépendamment des mesures d'urgence, le chantier de fond n'est pas achevé. Il s'agit de l'adaptation des règles de concurrence à la politique agricole et aux négociations commerciales dans le secteur agricole.

La Commission avait proposé, sous notre impulsion, dès le mois d'avril, une plus grande flexibilité des instruments de la PAC face à la crise, avec la prolongation du délai de dépôt des demandes d'aide ainsi que des avances de paiement plus élevées : on était passé à 70 % au lieu de 50 % pour les paiements directs, et à 85 % au lieu de 75 % pour les paiements liés au développement rural. L'Union a également développé des mesures d'urgence financière, en renforçant le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) au titre du plan de relance, et en se dotant d'un paquet de mesures de marché, que nous avons obtenues après quelques semaines au printemps dernier : une activation des aides au stockage privé, en particulier pour les produits laitiers et la viande, une dérogation aux règles de concurrence face à la crise pour certains secteurs, et de la flexibilité pour la gestion de plusieurs programmes, notamment dans la viticulture, car celle-ci souffrait d'une forme de double crise, combinant les effets de la crise économique et ceux des mesures commerciales américaines. Cette crise a donné lieu à un plan de soutien national, présenté par le Premier ministre et Julien Denormandie cet été, mais aussi à des mesures de soutien européennes.

Nous demandons à la Commission de suivre attentivement ces mesures de marché et d'en envisager de nouvelles si nécessaire. Pour la viticulture, c'est un combat qui n'a pas encore trouvé son aboutissement. Nous devons obtenir des mesures marquant un soutien financier accru au niveau européen, en complément des efforts nationaux que nous portons, même si notre premier combat est évidemment d'obtenir la levée des tarifs imposés par les Américains contre le secteur de la viticulture par une mesure de rétorsion dont nous contestons la légalité et le fair-play dans une relation entre alliés.

Vous avez évoqué les négociations liées à la réforme de la PAC. Notre conviction est que cette politique reste centrale. Elle doit apporter sécurité et qualité alimentaire et défendre nos standards sanitaires et environnementaux, y compris en matière d'accords commerciaux, en maintenant des coûts raisonnables. L'équilibre qui a été trouvé au Conseil en octobre 2020 reprend une large partie des demandes de la France, que le Sénat avait portées. Dans le cadre des trilogues, qui sont encore en cours, entre le Parlement et le Conseil, nous sommes particulièrement vigilants en matière d'architecture environnementale, comme pour les règles de la conditionnalité ou les seuils minimaux de dépenses environnementales. La simplification du modèle de mise en oeuvre, des souplesses de gestion financière et l'introduction d'un droit à l'erreur font également partie des priorités que la France défend, tout comme les aides couplées, en lien avec le développement des surfaces de protéines végétales et la préservation des mécanismes d'aide aux zones en situation de handicap naturel.

Notre mobilisation, appuyée par de nombreux parlementaires nationaux et européens, nous a permis d'obtenir, à la fin de l'année 2020, dans la dernière ligne droite des négociations avec le Parlement européen, le maintien du budget du Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Posei), si important pour l'agriculture de nos outre-mer, et qui a été remis en cause jusqu'à la fin de l'année dernière.

En matière de règles de concurrence, notre position, comme la vôtre, est de rendre possible l'extension d'accords interprofessionnels permettant la constitution de fonds de mutualisation pour prévenir différents risques sur la santé animale, sur le plan économique ou sur le plan environnemental. Nous souhaitons également mieux intégrer les coûts de production dans les dispositions relatives au partage de la valeur et renforcer ainsi l'encadrement des relations contractuelles, notamment dans le secteur du lait.

En matière de commerce international et d'accords commerciaux, nous devons être aussi vigilants que possible. Nous devons être offensifs, car conquérir des marchés internationaux est aussi une condition de vie, ou de survie, de notre agriculture nationale, mais sans accepter des accords commerciaux qui ne respecteraient pas nos standards de qualité environnementale, alimentaire, de production, que ce soit dans le secteur agricole ou industriel.

Sur l'accord le plus connu, avec le Mercosur, qui est sur la table de l'Union européenne depuis un peu plus d'un an, la position de la France est claire et elle n'a pas changé : l'accord existant n'est pas acceptable. Il faudrait le modifier sur la biodiversité et le respect de l'accord de Paris et de nos standards environnementaux, sanitaires et alimentaires.

La PAC sera renforcée sur le plan budgétaire, grâce à une légère augmentation de 1,5 % en valeur par rapport au CFP précédent. Pour la France, cela signifie un montant d'aides directes, avant un éventuel transfert, de 51 milliards d'euros, contre 52,9 milliards sur la période précédente. Le deuxième pilier, lui, connaîtrait une forte augmentation, passant de 9,9 à 11,4 milliards d'euros. Le jeu des transferts, qui est une pratique autorisée et habituelle, nous permettra de stabiliser le montant des aides directes.

Vous avez évoqué, enfin, la résolution relative à la modernisation de la politique européenne de concurrence, adoptée en juillet 2020, sur le rapport des sénateurs Chatillon et Henno. La France, l'Allemagne, mais aussi la Pologne et l'Italie, ont appelé, par leurs ministres de l'économie, à une modernisation et une réforme profonde du droit de la concurrence européen, pour l'adapter aux objectifs de notre politique industrielle et à la concurrence internationale. Le Gouvernement a ainsi soutenu, dans l'esprit de votre résolution, trois initiatives essentielles, entre autres, qui ont été portées par la Commission au cours de l'année 2020, notamment par le commissaire Thierry Breton et la vice-présidente Margrethe Vestager.

Il s'agit, d'abord, d'un projet de révision de la définition du marché pertinent, qui date de 1997. C'était l'un des points clefs de votre résolution. La définition n'était plus adaptée à la concurrence internationale, notamment chinoise, que nous vivons aujourd'hui. Puis, il y a eu la publication, en 2020 également, d'un Livre blanc sur les subventions étrangères et leur régulation. Les subventions étrangères sont un élément de distorsion de concurrence très important sur le marché européen, auquel nous devons répondre et qui ne figurait pas jusqu'à présent dans le panorama de nos règles de concurrence. Enfin, vous avez fait allusion, Monsieur le Président, à la proposition de règlement relatif aux marchés équitables et contestables dans le secteur du numérique, qu'on appelle le DMA (Digital Markets Act), présentée le 15 décembre dernier, dans un paquet numérique d'ensemble, par Mme Vestager et M. Breton.

Ce texte prévoit la régulation ex ante des grandes plateformes numériques. L'objectif est de garantir que les marchés numériques restent innovants et ouverts à la concurrence et, surtout, que les relations commerciales avec les grands acteurs numériques, que chacun connaît, soient équitables. Il instaure à ce titre un mécanisme de contrôle du respect des règles de concurrence, fondé sur des enquêtes de marché et des obligations supplémentaires pour ces grands acteurs, en fonction de seuils qu'il définit. Nous sommes au début du processus législatif européen, et nous serons très attentifs à ce que les négociations qui s'engagent confortent ces ambitions et, plus précisément, que la Commission puisse bénéficier de très larges pouvoirs d'enquête, adopter des mesures conservatoires et ce qu'on appelle des remèdes comportementaux ou structurels. Concrètement, il s'agit de faire en sorte que la politique de concurrence puisse agir en amont pour imposer des obligations aux plateformes, plutôt qu'en aval. L'activisme de la Commission face à quelques grands acteurs du numérique - Google par exemple - est bienvenu, avec de nombreuses enquêtes de concurrence et, parfois, des amendes très significatives. Mais ces amendes arrivent 5 à 7 ans après la commission des faits. Elles ne réorganisent pas le marché et ne corrigent pas les atteintes à la concurrence. Pour mémoire, en Europe, Google détient 97 % du marché du moteur de recherche : c'est un quasi-monopole.

En ce qui concerne la révision de la communication relative au marché pertinent, le Sénat demandait l'actualisation de la définition du marché et la prise en compte de la concurrence potentielle future. Derrière ce terme se cache l'essentiel de l'enjeu. Nous l'avons vu sur le marché du ferroviaire, par exemple : si l'on regarde le marché actuel, ou des prévisions raisonnables sur 5, 7 ou 10 ans, la concurrence étrangère est assez faible. Mais, comme nous l'avons vécu pour les panneaux photovoltaïques, en quelques années, une concurrence non anticipée d'acteurs chinois ou autres peut balayer un marché européen. Il faut donc prendre en compte la dimension mondiale de la concurrence actuelle, et pas seulement le marché européen ou national. Nous continuons à porter avec vous cette exigence auprès de la Commission.

Le projet de règlement sur les subventions étrangères distortives de concurrence constitue aussi un outil fondamental. Un Livre blanc a été publié par la Commission l'an dernier pour recueillir nos impressions et, dès la fin du premier semestre, un projet de règlement sera soumis au Parlement européen et au Conseil. Si l'on se fonde sur les propositions du Livre blanc, ce règlement pourrait être très ambitieux et permettre, par exemple, d'empêcher l'accès au marché, ou d'imposer des amendes très significatives, à des entreprises non-européennes qui investiraient en Europe et participeraient à des marchés publics européens tout en étant subventionnées par les autorités publiques de leur propre pays. Il y a là un vrai sujet d'équité. On est évidemment plus compétitif quand on est très largement subventionné « à la maison », si l'on peut dire, et qu'on peut casser les prix sur le marché européen. Or, l'Union européenne n'a aucun instrument pour faire face à cette atteinte aux règles de concurrence puisque celles-ci n'ont pas été faites pour cette compétition mondiale, mais pour une compétition intra-européenne.

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