Nous visions un peu plus de 10 milliards d'euros, jusqu'à 13 milliards d'euros même, et nous avons fini à 8 milliards en euros courants. C'est moins que ce que nous aurions souhaité, mais il faut le prendre comme une étape essentielle. Pour avoir assisté à la négociation budgétaire en détail, je peux vous dire que peu d'États en faisaient une priorité - mais aucun État n'en contestait le principe. Il faudra faire vivre ce fonds pour montrer son utilité. Il témoigne en tous cas, en matière d'Europe de la défense, d'une avancée absolument cruciale, depuis quatre ou cinq ans, dans un domaine longtemps tabou.
En matière de défense européenne, le Président de la République avait mis en avant trois axes dans son discours de la Sorbonne, il y a presque quatre ans : le pilier politique, le pilier stratégique et le pilier budgétaire. Dans chacun de ces domaines, nous disposons désormais d'un premier outil qui fonctionne : la coopération structurée permanente, une initiative européenne d'intervention et, désormais, le FEDef. Bâtissons sur cette première étape pour montrer que cela fonctionne : nous avons mis plus qu'un pied dans la porte ! Nous avons levé le tabou de la défense européenne.
Je ne crois pas que nos principaux partenaires, et notamment l'Allemagne, manquent d'ambition sur ce sujet. Simplement, nous n'avons pas le même rapport à l'Europe de la défense et à l'autonomie stratégique, ni à nos armées. Cela dit, l'engagement allemand à l'extérieur, y compris au Sahel, a progressé, même si ce n'est pas sur les mêmes missions que nous. Même remarque pour des pays qu'on aurait pu estimer extrêmement loin de nos préoccupations de sécurité et d'engagement militaire, comme l'Estonie, la Suède ou la République tchèque, qui ont rejoint la force Takuba. Il y a un vrai mouvement européen en termes de prise de responsabilités et d'engagement financier. Je ne dis pas que c'est suffisant, ni qu'on doit s'arrêter là, mais nous avons là une sorte de boîte à outils budgétaire et stratégique très importante.
Le contexte est marqué par la nouvelle administration américaine, le Brexit et la transition politique en Allemagne. Ces trois facteurs créent quelques turbulences, et nous aurons un Conseil européen, les 25 et 26 février prochains, où, à notre demande, la question de la défense sera abordée de nouveau. L'enjeu central sera de réaffirmer le concept d'autonomie stratégique, qui a fait l'objet d'un Conseil franco-allemand de défense et de sécurité, co-présidé par le Président de la République et la chancelière Angela Merkel, vendredi dernier.
Vous avez évoqué une répartition du FEDef par tiers : c'est celle que nous soutenons et qui figure dans le compromis final du 14 décembre. Certains projets font partie de notre action en faveur de la défense européenne depuis 2017. Ils ne sont pas tous conçus à 27 et il y a des projets industriels franco-allemands, dont vous connaissez les difficultés. Les Allemands avaient l'habitude de coopérations, en matière de défense, entre industries allemandes, tandis que les Français avaient une habitude de coopération avec les Britanniques. Nous avons fait le pari, historique, de prendre un virage stratégique absolument nécessaire, alors que le Brexit se profilait, en construisant des coopérations industrielles militaires avec l'Allemagne. C'est difficile, long. Il y aura des tensions, des blocages... Il y en a eu, mais on les a toujours levés. L'armée allemande, vous le savez, est une armée parlementaire qui n'a pas, pour des raisons historiques évidentes, les mêmes capacités d'engagement, le même consensus politique que nos armées françaises. Il ne s'agit pas de saper la capacité d'engagement de l'armée française, mais de renforcer, par l'Europe, la capacité à acheter européen, à développer du matériel militaire européen. Nous ne pouvons le faire que si nous lançons une coopération qui sera longue et difficile, mais qui est indispensable avec l'Allemagne.
Le FEDef pourra financer, typiquement, des projets bilatéraux tels que le système de combat aérien du futur (SCAF) ou le char du futur. D'ailleurs, ces projets associent déjà certains autres pays européens, l'Espagne notamment, pour l'avion du futur. L'appel à projets sera lancé courant 2021, la sélection et les premiers décaissements sont prévus au cours du premier semestre 2022 - sous présidence française de l'Union européenne, donc. Au-delà de ces coopérations spécifiques avec l'Allemagne, il nous appartient de présenter d'autres projets. La France est bien placée pour ce faire puisque nous avons des projets en cours, capacitaires et de recherche. Le FEDef fait donc partie des nouveaux outils européens sur lesquels nous aurons les meilleurs taux de retour, d'un point de vue budgétaire.
L'association d'États tiers a été un sujet de difficultés et de négociations entre États membres. La solution, protectrice, a été de réserver les projets à des entités issues de pays membres de l'Union européenne ou à des pays membres de l'Association européenne de libre-échange (AELE), comme la Norvège - mais pas le Royaume-Uni. Il est normal, à ce stade, que nous n'ayons pas ouvert davantage le financement à des puissances lointaines. Si l'on veut parler d'autonomie stratégique européenne ou de préférence européenne, c'est indispensable.
Nous pourrons avoir une discussion avec le Royaume-Uni. Ce pays n'a pas souhaité que nous l'ayons dans le cadre de la négociation de l'accord post-Brexit, mais c'est un sujet qui est devant nous. Nous pourrons avoir des coopérations spécifiques avec lui, mais, s'il souhaite bénéficier d'outils budgétaires européens, cela ne pourra se faire qu'en échange de contributions et en respectant nos règles de décision. Il ne s'agit pas de faire du cherry picking ou de l'Europe à la carte et de profiter des avantages sans subir les contraintes.