Intervention de Marine Jeantet

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 16 février 2021 à 15h30
Audition de Mme Marine Jeantet déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté

Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la lutte contre la pauvreté :

J'ai effectivement pris mes fonctions trois jours avant le premier confinement sur cette mission difficile de la lutte contre la précarité. Bien évidemment, ma prise de fonctions a immédiatement été marquée par la gestion de la crise qui nous a tous pris de plein fouet.

Cette crise a touché en particulier les publics précaires, même si pour l'instant, fort heureusement, la précarisation de nos concitoyens n'a pas atteint des niveaux catastrophiques, grâce sans doute aux mesures de chômage partiel qui ont permis de maintenir un grand nombre de personnes en emploi. Nous observons toutefois une augmentation du nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). En novembre 2020, ce nombre avait progressé de près de 9 %. Nous restons donc très attentifs à ces chiffres qui évoluent régulièrement. Cette augmentation résulte de bénéficiaires qui ne sont pas sortis du RSA plus que de nouveaux entrants. En l'absence des contrats courts, de l'intérim, qui permettent généralement de sortir du RSA, cette population a été plus touchée. Néanmoins, nous voyons arriver aussi des indépendants, des commerçants, de nouveaux profils de personnes pauvres que nous ne connaissions pas auparavant.

Nous ne constatons pas non plus pour l'instant une explosion des impayés de loyers, mais nous savons que ce phénomène devrait survenir. Les expulsions locatives ont été gelées et un stock non négligeable est en cours de constitution, de l'ordre de 30 000 personnes à horizon de la fin de la trêve hivernale. En 2019, 17 000 expulsions locatives avaient été réalisées. Elles étaient un peu moins de 3 000 en 2020. Il faudra gérer ce stock, car il sera difficile de reloger 30 000 personnes d'un coup. Pour l'instant, les conditions d'endettement n'explosent pas. Cependant, une étude du Conseil d'analyse économique parue en octobre montrait que les 10 % les plus pauvres s'étaient endettés alors que les 20 % les plus riches avaient épargné durant cette période de crise.

Nous observons donc des indicateurs de frémissement qui, sans être catastrophiques, sont tout de même inquiétants, notamment sur de nouveaux publics comme les jeunes, les indépendants et commerçants, qui sont assez durement touchés par la crise. Cette crise laissera aussi de douloureuses traces dans certains secteurs d'activité, en particulier l'hôtellerie, la restauration ou l'événementiel.

Les objectifs et les fondamentaux de la stratégie de lutte contre la pauvreté ont été définis en 2018 dans une période de croissance économique. Pour autant, ils restent plus que jamais d'actualité à l'aune de cette crise. En effet, cette stratégie repose sur plusieurs piliers. Il s'agit en premier lieu d'essayer de réduire le creusement des inégalités dès le plus jeune âge. Pendant cette crise, les fractures sociales se sont encore creusées. Il faut plus que jamais s'occuper de l'accueil du jeune enfant, maintenir la continuité éducative. Ces aspects, déjà inscrits dans la stratégie, restent totalement d'actualité, surtout avec la fracture numérique qui a bloqué un certain nombre de familles qui ne pouvaient plus faire suivre l'école à leurs enfants de la même manière que d'autres familles.

Le second pilier de la stratégie portait sur la jeunesse, l'insertion professionnelle, la formation. L'obligation de formation de 16 à 18 ans est entrée en vigueur en septembre 2020. Les jeunes sont durement frappés par la crise, avec un frein à l'accès à des stages et aux premiers pas dans l'emploi. Il est donc très important de continuer d'investir sur cette population pour lui donner les moyens de s'adapter à des chocs économiques et sociaux.

Le troisième grand volet concernait l'insertion par l'activité économique. L'objectif de sortir durablement de la pauvreté par un emploi reste plus que jamais d'actualité. Pour l'instant, le chômage n'augmente pas. Il diminue même. Vous aurez cependant noté les réserves de l'Insee sur les chiffres publiés ce matin. Malheureusement, si le chômage augmente globalement, les personnes en insertion passeront au second plan pour l'accès à l'emploi. Plus que jamais, nous devons mobiliser tous nos dispositifs d'accompagnement, d'insertion et de maintien en activité pour que les personnes soient capables de rebondir dès que l'activité reprendra.

Enfin, le dernier grand pilier de la stratégie reposait sur une action très locale sur les territoires. L'action de lutte contre la pauvreté ne se décide pas de Paris ; elle s'organise en mobilisant et en coordonnant des acteurs locaux. Lors de la gestion de crise, les solidarités ont été nombreuses au niveau du terrain. Nous voulons continuer de les structurer. Nous avons vu à quel point nous avions besoin de coordonner les associations d'aide alimentaire pour éviter les trous, combler les manques. Cette coordination s'est vraiment développée durant la crise. Il apparaît fondamental de développer une animation territoriale sans imposer les choses.

Les orientations de la stratégie restent pertinentes. Nous continuons donc à dérouler nos priorités et nous en avons ajouté d'autres, notamment dans le cadre du Ségur de la Santé. Le volet santé n'était pas très développé jusqu'à présent dans la stratégie, au-delà du 100 % santé et de l'accès à une complémentaire santé. Le Ségur de la Santé comporte une partie dédiée à la réduction des inégalités de santé pour 100 millions d'euros et une partie consacrée à l'accompagnement des populations sur le plan psychologique et psychiatrique. Je travaille actuellement sur ce dernier volet pour essayer de le renforcer encore, compte tenu des besoins qui émergent en la matière.

Nous avons également complété la stratégie par des mesures dans le cadre du plan de relance. Un appel à projets est en cours à hauteur de 100 millions d'euros pour soutenir le secteur associatif. Le plan « 1 jeune, 1 solution » touche tous les jeunes, mais il concerne aussi des jeunes précaires et en besoin d'insertion. De ce point de vue, il représente une réponse d'ampleur, avec le renforcement des dispositifs de garantie jeunes qui permettent de toucher ces jeunes sans emploi et sans formation.

Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé fin octobre d'autres mesures, notamment sur le volet des mobilités pour l'accès à l'emploi. 30 millions d'euros seront consacrés à développer les mobilités inclusives. Une grande partie des demandeurs d'emploi refuse certaines offres, faute de pouvoir se rendre sur le lieu de travail. Il apparaît donc très important de proposer des aides au permis de conduire, des micro-crédits pour l'achat de voitures, des véhicules solidaires partagés, etc.

Enfin, la stratégie comportait un volet relatif à l'aide aux très grands précaires pour renforcer l'accueil des femmes sans abri sortant de maternité, les lits-haltes soins santé, les permanences d'accès au soin, l'offre de domiciliation, etc. Nous avons constaté durant le premier confinement qu'il restait encore des « trous dans la raquette » que nous avons essayé de combler.

Notre agenda 2021 est assez chargé. Nous devons continuer le travail de fond. La lutte contre la pauvreté constitue une action de moyen terme ; elle ne peut reposer uniquement sur des réponses d'urgence. Nous devons poursuivre l'investissement sur l'accueil du jeune enfant, les soutiens à la parentalité, afin de travailler sur les générations à venir pour éviter la reproduction de la pauvreté. Nous devons aussi maintenir les personnes le plus possible dans une activité pour éviter que s'installe chez elles un sentiment de déclassement qui les bloquerait durant de nombreuses années.

Nous essayons aussi de trouver des actions très concrètes sur le champ de la santé. La crise a démontré que certains territoires ont eu un accès aux soins plus limité. La population précaire notamment a été plus touchée que les autres par le Covid. Nous devons absolument lutter contre ces inégalités en nous attaquant à l'ensemble des facteurs.

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