Intervention de Valérie Albouy

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 9 février 2021 à 14h35
Mesure et évolution de la précarité et de la pauvreté — Audition de Mme Valérie Albouy cheffe du département des ressources et conditions de vie des ménages de l'insee Mm. Patrick Aubert sous-directeur de l'observation de la solidarité de la drees et sébastien grobon adjoint au chef de mission analyse économique de la dares

Valérie Albouy, cheffe du département des ressources et conditions de vie des ménages de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) :

De la même façon, si les deux tiers des pauvres sont définis ainsi en fonction de leur revenu, l'autre tiers est identifié comme tel en raison des difficultés matérielles que les individus déclarent au quotidien. Cela est bien compréhensible pour de jeunes primo-accédants à la propriété par exemple.

Concernant la pauvreté monétaire, nous disposons d'une mesure de très bonne qualité, qui est fondée sur les données de l'administration fiscale et des caisses versant les prestations sociales. En contrepartie, cette mesure est, par rapport à d'autres indicateurs sociaux, disponible tardivement, à n+2, et provisoirement à l'automne n+1 - c'est la limite de cet exercice. Dans le contexte actuel, la Drees a récemment mis en place un tableau de bord du suivi des effectifs des bénéficiaires des prestations de solidarité, qui s'apparente plus à un indicateur en temps réel.

Il est assez compliqué de mettre en place des indicateurs rapides et fiables pour la précarité et la pauvreté, car, sur les 14 % à 15 % des Français qui se situent sous le seuil de pauvreté, nombreux sont ceux qui s'en approchent. À ce jour, je n'identifie aucune source véritable permettant de mesurer en temps réel la pauvreté en France.

Autre limite, les chiffres qui remontent de la France métropolitaine et des DOM ne sont pas issus du même dispositif. Contrairement à ce que l'on entend, l'Insee dispose de nombreuses ressources sur les DOM grâce à des enquêtes spécifiques, mais il est vrai que la qualité des données laisse parfois à désirer. Nous travaillons à améliorer la situation.

Dans le questionnaire que vous m'avez adressé, vous m'interrogez sur les indicateurs permettant de mesurer la précarité et la précarisation de l'emploi. J'entends la précarité comme un état de pauvreté durable.

Concernant la trajectoire des personnes, je vais vous faire part des données en notre possession, qui datent de 2016 : 70 % des personnes pauvres le restent l'année suivante, contre 63 % en 2008. La persistance de la pauvreté a donc significativement augmenté en France. En outre, on constate une règle « 4/4/2 » : sur 10 personnes pauvres une année, 4 vont rester durablement pauvres, 2 vont sortir durablement de la pauvreté, et 4 vont connaître des périodes d'alternance durant les quatre années suivantes. En somme, à un horizon de quatre ans, 20 % des personnes pauvres sortent durablement de la pauvreté.

Pour ce qui est de la précarisation, c'est-à-dire l'entrée dans la pauvreté, fort heureusement, le risque de devenir pauvre une année donnée n'est que de 3 %. Toutefois, ce chiffre peut être plus élevé pour certaines catégories de la population, telles que les personnes peu diplômées, les agriculteurs, les artisans ou les commerçants.

Enfin, vous avez souhaité savoir comment la pauvreté avait évolué au cours des vingt dernières années. De 2008 à 2011, la pauvreté a augmenté assez fortement, passant de 13,2 % à 14,6 %. Après une baisse les deux années suivantes, puis une stabilisation à un point supérieur au niveau de 2008, et ce jusqu'en 2017, l'année 2018 a enregistré une augmentation très marquée du taux de pauvreté, de 14,1 % à 14,8 %, en partie en raison d'une mesure de diminution des allocations logement, la baisse des loyers concomitante n'étant pas prise en compte dans le calcul. Pour 2019, la baisse devrait être de 0,3 point grâce à la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité - les chiffres sont provisoires.

Avant de préciser les catégories de la population qui ont vu leur situation se dégrader, je tiens à signaler que les risques d'être pauvre sont tout à fait différents d'un individu à un autre : sont concernés 35 % à 40 % des familles monoparentales et des chômeurs, 20 % à 30 % des familles nombreuses - avec trois enfants ou plus -, et de nombreux indépendants. On observe depuis une vingtaine d'années une augmentation de la pauvreté au sein des familles monoparentales, chez les personnes seules de moins de 65 ans, et dans les familles nombreuses. Ce phénomène touche également, dans une moindre mesure, les chômeurs - 38 % contre 35 % auparavant. Évidemment, il faut tenir compte des revenus du conjoint, ce qui permet à certains chômeurs d'échapper à la pauvreté. Mais lorsque le chômeur représente la seule source de revenus, le taux de pauvreté atteint les 50 %.

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