Je ne m'attarderai pas sur les chiffres, que je tiens à votre disposition, et m'en tiendrai aux actions possibles et aux moyens disponibles. La Drees n'a pas mis en place de dispositif généraliste au sujet de la pauvreté, car le principal producteur en la matière, c'est l'Insee. Néanmoins, nous avons instauré depuis 2001 des dispositifs de suivi et d'observation de certaines populations parmi les plus précaires et bénéficiaires des minima sociaux. Cela nous permet d'objectiver les constats : les bénéficiaires, âgés de 20 à 60 ans, des minima sociaux d'activité, à savoir le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ou l'allocation de solidarité spécifique (ASS), ont une ancienneté moyenne de 5,3 ans dans les minima sociaux. Sur dix ans, un bénéficiaire donné se retrouve plus de six ans dans les minima sociaux... Nous voulons aller plus loin en réalisant des enquêtes auprès de ces bénéficiaires pour mieux rendre compte des différents phénomènes, telles les privations matérielles ou autres, et qui sont évalués par l'Insee sur l'ensemble de la population.
Une focalisation sur les politiques publiques ou les prestations sociales nous permet d'effectuer des micro-simulations, en partenariat avec l'Insee notamment via le modèle Ines, sur un échantillon représentatif de la population. Nous pouvons ainsi simuler l'effet des prestations et des réformes, et décomposer les différentes aides. C'est en réalisant périodiquement cette analyse que l'on peut savoir que le taux de pauvreté monétaire, de l'ordre de 14 %, avoisine plutôt les 22 % ou 23 % avant redistribution, et attribuer la part de cet écart aux minima sociaux, à la prime d'activité ou encore aux prestations familiales. Ces dernières sont parfois oubliées alors qu'elles sont très importantes pour les familles nombreuses ou monoparentales, particulièrement touchées par la pauvreté.
Autre indicateur, l'intensité de la pauvreté permet de voir, parmi les personnes pauvres, si elles sont proches ou pas du taux de pauvreté. L'intensité de la pauvreté se définit comme la distance entre la médiane du niveau de vie des personnes pauvres, c'est-à-dire le revenu qui partage les personnes pauvres en deux moitiés, et le taux de pauvreté. Sans les aides, on aboutirait à un niveau de vie médian des personnes pauvres inférieur de 40 % au seuil de pauvreté. Avec l'ensemble des prestations, on se rapproche des 20 %.
Le dernier outil utilisé concerne les populations les plus précaires, notamment toutes celles qui sont difficiles à cerner dans les dispositifs statistiques : personnes sans domicile ou accueillies dans des hébergements sociaux. Nous sommes en plein dans l'actualité, car la Drees vient de lancer son enquête, comme elle le fait tous les quatre ans, auprès de l'ensemble des centres d'hébergement pour avoir une description assez complète des personnes qui sont invisibles dans les ménages ordinaires, à savoir tous les sans-abri. Cette étude nous permettra de connaître un peu plus, d'ici à la fin de 2020 ou au début de 2021, les profils sociodémographiques de ces personnes et leurs évolutions.
Comme vous l'a expliqué Valérie Albouy, le système statistique a ses limites pour mesurer les évolutions très récentes. De nombreuses réflexions sont en cours, sans prétendre obtenir la même richesse d'informations qu'avec les outils statistiques permanents, mais au moins pour avancer sur le sujet. La partie du travail la plus simple a consisté à mettre en place, depuis le début de la crise en mars, le suivi mensuel de toutes les prestations de solidarité, ce qui n'est pas effectué en temps normal compte tenu du caractère structurel de la pauvreté. Il s'agit principalement des prestations versées par les caisses de sécurité sociale, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), Pôle emploi, etc. Nous avons décidé d'enrichir progressivement ce suivi en évaluant d'autres aides comme celles qui seront versées aux étudiants, tel le repas à un euro.
La question est de savoir quel serait l'indicateur pertinent pour analyser la population la plus précaire. Ainsi, le champ de l'aide alimentaire demeure, à la différence des logements destinés aux personnes sans domicile fixe, peu étudié. Nous avions, la semaine dernière, une réunion avec les associations pour réfléchir à la mise en place d'un suivi qualitatif et quantitatif des bénéficiaires de l'aide alimentaire, afin d'objectiver l'évolution de leur profil. De nombreux acteurs associatifs évoquent à cet égard le recours récent à leurs services de la part de petits commerçants, d'indépendants et d'entrepreneurs affectés par la crise, mais nous ne disposons pas encore de données sur ce phénomène.