À la demande de mon groupe politique, le Sénat examinera mercredi prochain une proposition de loi de notre collègue députée Cécile Rilhac créant la fonction de directrice ou de directeur d'école. C'est un sujet important. Avant tout, je tiens à remercier tous nos collègues qui ont pu participer aux auditions malgré le calendrier très contraint.
Je souhaite rappeler les travaux nombreux de la commission concernant les directeurs d'école. Je pense aux débats qui ont eu lieu à l'occasion de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance. J'ai également lu avec attention le rapport d'information de nos collègues Max Brisson et Françoise Laborde publié l'année dernière et qui m'a servi de base de réflexion sur cette proposition de loi : il soulignait le statu quo intenable des directeurs d'école et appelait à une évolution des textes juridiques. J'y reviendrai tout au long de mon propos, tant ce rapport nous sert de fil conducteur.
La situation des directeurs d'école est connue de tous ici. Ils sont un maillon essentiel du bon fonctionnement des écoles, l'interlocuteur privilégié des familles, des élus locaux, de la hiérarchie académique. Le référentiel de 2014 sur le métier de directeur d'école regroupe l'ensemble de leurs missions autour de trois axes : le pilotage pédagogique de l'école, les responsabilités relatives au fonctionnement de l'école et les relations avec les partenaires de l'école. Toutefois, l'évolution de la société et de l'école a conduit à un renforcement des responsabilités pesant sur les directeurs d'école. Or les textes juridiques n'ont pas évolué.
Je citerai deux exemples, à commencer par le développement de l'école inclusive. La politique volontariste du Gouvernement, saluée par toutes les personnes auditionnées, conduit à l'arrivée massive d'un nouveau partenaire éducatif, l'accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH). On dénombre désormais plus de 100 000 AESH au sein de l'éducation nationale, et il n'est pas rare qu'une école de 200 élèves compte sept à huit AESH. Le développement de l'école inclusive entraîne de nouvelles relations avec les familles, l'équipe pédagogique, mais aussi l'inspecteur académique, qui est le chef hiérarchique des AESH.
Je pense également à la pandémie de la covid-19, qui a mis en lumière le rôle essentiel des directeurs d'écoles et l'ampleur de leurs responsabilités. En mars dernier, ils ont été le point de contact de tous les acteurs de la communauté éducative. Il ont eu pour mission d'épauler leurs collègues dans la mise en place de la continuité pédagogique ; au moment de la réouverture des écoles, ils ont été chargés - ils le sont encore aujourd'hui - de la mise en oeuvre, en lien étroit avec le maire, des protocoles sanitaires successifs ; enfin, ils jouent un rôle pivot en cas de suspicion de covid ou de covid avéré dans l'école : ils doivent prévenir les parents, rappeler les conditions de retour de l'enfant à l'école, élaborer la liste des personnes contacts, informer l'ensemble des familles, et enfin mettre en place une solution de continuité pédagogique. Or les directeurs d'école ont dû, pour 94 % d'entre eux, remplir ces responsabilités nouvelles en plus de leur charge d'enseignement. Face à ces missions supplémentaires, le statu quo juridique, administratif et humain est intenable.
Le rapport de nos collègues Max Brisson et Françoise Laborde identifiait cinq besoins nécessitant une réponse urgente pour permettre aux directeurs d'école de mener à bien leurs missions : un cadre juridique adapté, un besoin de temps, la nécessité d'une formation spécifique, une redéfinition des tâches et l'apport d'une aide administrative ou matérielle. Je constate que cette proposition de loi apporte des réponses à ces besoins. Je veux y voir une convergence de vues entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur un certain nombre de points. C'est l'occasion pour le Parlement d'améliorer la situation des directeurs d'école.
Le ministère a également montré sa volonté d'agir sur cette thématique. L'année 2020 a été une première étape dans l'amélioration de la situation des directeurs d'école. J'évoquerai quatre avancées portées par le Gouvernement.
Première avancée : la lutte contre la fin de la solitude du directeur d'école. Un système d'accompagnement a été mis en place en août dernier, avec des temps d'échanges entre directeurs, l'instauration à titre expérimental d'un référent à l'échelon départemental, ou encore un système d'échanges avec l'inspecteur académique sur des problématiques communes aux écoles d'un territoire.
Deuxième avancée : le versement d'une prime de rentrée de 450 euros. Il m'a été confirmé lors des auditions que cette prime serait pérennisée et versée chaque rentrée. Ce montant est significatif : il représente jusqu'à 10 % des bonifications et des indemnités perçues au titre des fonctions de direction.
Troisième avancée : une augmentation et une réorganisation du temps de décharge pour les écoles les plus petites. Vous le savez, le directeur est actuellement un enseignant qui bénéficie d'un temps de décharge de classe plus ou moins important en fonction du nombre de classes de son école. Cette décharge va de quatre jours par an pour les écoles d'une classe à une décharge totale de classe pour les écoles les plus grandes, soit treize classes de maternelle ou quatorze classes d'élémentaire. À partir de la rentrée 2021, les directeurs d'école d'une classe auront six jours de décharge au lieu de quatre ; les directeurs d'écoles de deux et trois classes auront douze jours de décharge au lieu de dix. Pourquoi ce choix ? Pour avoir une décharge de temps multiple de six : dans la mesure où l'année scolaire comporte trente-six semaines, elle sera partagée en cycle de six semaines ; les directeurs de ces « petites écoles » seront assurés de bénéficier d'un jour ou de deux jours pour les écoles de deux et trois classes par période de six semaines. Cette nouvelle organisation vise à répondre à un problème mis en lumière par les travaux de la commission l'année dernière. Pour ces écoles, le jour de décharge est déterminé par l'autorité académique parfois au dernier moment, en fonction des disponibilités de remplacement. Cette nouvelle organisation concernera un tiers des enseignants.
Par ailleurs, le régime de décharge des directeurs des écoles élémentaires va être aligné sur celui des écoles maternelles. Au total, 600 équivalents temps plein (ETP) seront affectés à la rentrée 2021 pour ces décharges supplémentaires, en plus des 11 000 ETP actuellement dédiés aux décharges.
Quatrième avancée : un renforcement du rôle de pilote du directeur d'école, qui partage désormais avec les équipes pédagogiques la pleine responsabilité de la programmation et de la mise en oeuvre des 108 heures annuelles dédiées aux activités pédagogiques complémentaires, à l'identification des besoins des élèves ou à l'animation et aux travaux pédagogiques.
Cinquième avancée : des aides humaines pour les directeurs d'école. Le ministère a mis en place à la rentrée 2019 un parcours de préprofessionnalisation pour les étudiants en licence qui se destinent au métier d'enseignant : 700 étudiants sont entrés dans ce parcours à la rentrée 2019, et 900 de plus à la rentrée 2020. Dès la licence 2, ceux-ci peuvent acquérir une formation pratique de huit heures hebdomadaires dans une école ou un établissement scolaire. Ces étudiants peuvent apporter une aide ponctuelle les deux premières années, en intervenant sur des séquences pédagogiques préparées par l'enseignant ou en prenant en charge des petits groupes. À partir de la rentrée 2021, ceux qui seront en troisième année de préprofessionnalisation pourront prendre en charge des séquences pédagogiques complètes allant jusqu'au remplacement d'enseignants dans l'école. Enfin, le nombre de jeunes en service civique dans les écoles passe de 10 000 à 12 000. Je suis conscient des limites inhérentes aux missions qui peuvent être confiées à ces jeunes, ainsi que de la brièveté de ces contrats - cela a été souligné lors des auditions. Toutefois, ils peuvent apporter un soutien à l'équipe pédagogique et soulager le directeur. Plus d'un directeur sur deux souhaite bénéficier d'un appui humain pour gérer les accès à l'école en dehors des heures d'entrée et de sortie.
J'en viens maintenant au texte. Les neuf articles peuvent être regroupés autour de deux axes.
Premier axe : la consolidation de la base législative sur laquelle se fondent la fonction et les missions des directeurs d'école. La proposition de loi permet plusieurs avancées visant à faciliter la gestion des écoles au quotidien. Je pense à la délégation de compétences de l'inspecteur de l'éducation nationale (IEN) au directeur d'école. Le texte donne une base législative aux conditions de nomination et de travail des directeurs d'école. Il inscrit pour la première fois dans la loi le principe de la décharge.
Deuxième axe : le soutien aux directeurs d'école, avec la mise en place à l'échelon départemental d'un référent « directeur d'école » pour l'accompagner dans ses missions, la possibilité d'instaurer une aide administrative et matérielle, notamment dans l'élaboration des plans de sécurité.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale comporte plusieurs avancées intéressantes. Il peut toutefois être amélioré sur plusieurs points. Je vous propose d'adopter dix amendements, dont certains sont rédactionnels. Le premier amendement vise à éviter de créer des tensions entre directeurs d'école et enseignants. Depuis plus de trente ans et le décret sur les maîtres directeurs, les tensions se cristallisent autour de l'attribution d'une autorité hiérarchique du directeur d'école sur les enseignants. La mise en place d'une telle autorité bouleverserait profondément les équilibres actuels entre enseignants, directeurs d'école et IEN. À l'opposé, la mention explicite de l'absence de toute autorité hiérarchique modifierait également profondément les relations entre les directeurs d'école et les enseignants. Les directeurs seraient systématiquement renvoyés à cette absence d'autorité.
Aussi, je vous propose de supprimer tout renvoi à l'existence ou à l'absence d'une autorité hiérarchique. Faut-il une autorité fonctionnelle pour les directeurs d'école ? Elle pourrait constituer un soutien juridique utile pour aider ceux-ci à mener à bien leurs missions. Je m'interroge toutefois sur un certain nombre de points. C'est la raison pour laquelle, au stade de la commission, je n'ai pas proposé d'amendement relatif à cette autorité fonctionnelle. Je vais continuer à avancer sur cette thématique dans la perspective de la séance ; je sais que plusieurs d'entre vous y travaillent également. J'espère que nous arriverons à faire émerger un consensus et que la commission donnera un avis favorable à un amendement de séance.
Dans un tout autre domaine, je vous propose d'adopter un amendement permettant à tous les directeurs de se projeter dans des projets de moyen terme. Je vous suggère de porter à deux ans au lieu d'un an la périodicité du dialogue entre le directeur d'école et l'inspecteur académique fixant les missions d'enseignement, de formation et de coordination.
Par ailleurs, il me semble important d'assouplir la procédure de nomination des directeurs d'école, afin de prendre en compte les problèmes actuels de recrutement. La proposition de loi oublie l'existence d'enseignants « faisant fonction » de directeur, en raison d'un poste de directeur non pourvu par un candidat issu de la liste d'aptitude. Cette situation est loin d'être anodine. Selon certains syndicats, entre 20 % et 25 % des écoles ont un enseignant faisant fonction de directeur. Il est essentiel d'assouplir le dispositif proposé pour que les écoles ayant du mal à recruter un directeur puissent continuer à recourir à ce dispositif. Sinon, on risquerait de se retrouver avec un nombre significatif d'écoles sans directeur.
Enfin, je vous propose de préciser les modalités du recours au vote électronique pour l'élection des représentants des parents d'élèves ainsi que l'aide dont pourra bénéficier le directeur d'école pour adapter les plans de sécurité au caractère propre de son école.