Intervention de Claire Auzuret

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 2 mars 2021 à 14h30
Audition de Mme Claire Auzuret docteure en sociologie de l'université de nantes et de Mm. Nicolas duVoux professeur de sociologie à l'université paris 8 vincennes-saint-denis chercheur au centre de recherches sociologiques et politiques de paris et serge paugam directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales ehess et directeur de recherche au cnrs

Claire Auzuret, docteure en sociologie de l'université de Nantes :

J'ai consacré ma thèse à la sortie des situations de pauvreté en alliant les approches monétaire, administrative, « en conditions de vie », ou subjective de la pauvreté. J'ai considéré qu'un individu était sorti de la pauvreté dès lors que son revenu était supérieur au seuil de pauvreté monétaire relative, fixé à 1 063 euros nets par mois, qu'il n'était plus contraint de demander les minima sociaux, ne faisait pas, ou plus, l'expérience d'un cumul de privations répertoriées par l'Insee, ne s'estimait pas, ou plus, pauvre, et qu'il disposait de la possibilité de se maintenir dans cette situation de manière durable.

D'après les associations caritatives, la crise sanitaire aurait fait basculer environ un million de personnes dans la pauvreté monétaire relative, en plus des 9,3 millions qui vivaient déjà en dessous du seuil de pauvreté. Parmi ces entrants dans la pauvreté, on compte notamment des étudiants, des jeunes, des intérimaires, des auto-entrepreneurs, des artisans, des travailleurs aux revenus modestes ou des personnes ayant fait l'expérience du chômage partiel. Les sociologues ont principalement étudié les causes de l'entrée dans la pauvreté, mais moins la sortie de cette situation. C'est pour cela que j'ai choisi de m'intéresser aux trajectoires de sorties de la pauvreté pour en déterminer les éléments constitutifs et comprendre pourquoi, à situation comparable, certains ménages parviennent à en sortir, pendant que d'autres n'y arrivent pas. Comme d'autres chercheurs, j'ai pensé la sortie de la pauvreté comme un enchaînement d'événements en interaction, en m'appuyant sur des données objectives comme subjectives, et sur les caractéristiques des territoires dans lesquels vivent les personnes, car les conditions objectives de la pauvreté varient en fonction du temps, du lieu de résidence et des représentations qu'en ont les individus.

Pour identifier les facteurs et les processus à l'oeuvre, j'ai allié un suivi quantitatif, basé sur des données chiffrées de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), et un suivi qualitatif, sur la base d'entretiens semi-directifs à caractère biographique auprès de ménages de travailleurs pauvres et de travailleurs fragiles, c'est-à-dire auprès de ménages composés d'au moins un membre en âge de travailler et dont les ressources sont soit inférieures ou égales au seuil de pauvreté monétaire définie par l'Insee, soit supérieures à ce seuil grâce aux aides sociales.

J'ai pu distinguer trois grands types de parcours qui relèvent chacun d'un entrelacs d'événements de différentes natures : des parcours de sortie de la pauvreté, des parcours de pauvreté intermittente et des parcours d'installation dans cette situation. J'ai identifié dans la sortie de la pauvreté plusieurs facteurs : un emploi stable, à temps complet, procurant un revenu d'activité supérieur au SMIC ; la constitution d'un couple stable, composé de deux actifs ; la solidarité familiale ; le bénéfice éventuel d'aides institutionnelles. Quand ces éléments ne sont pas réunis, on observe des allers-retours entre des situations de pauvreté et de non-pauvreté, à cause de l'existence de freins à l'emploi - absence de diplômes et d'expérience professionnelle, discriminations sexuelles ou raciales, problèmes de mobilité ou difficultés à faire assurer la garde des enfants - et de ressources relationnelles insuffisantes. Ce parcours rassemble des actifs qui ont à la fois des difficultés à s'insérer durablement sur le marché du travail et des conditions d'emploi et de travail dégradées. Ces personnes font l'expérience de la précarité professionnelle, et, bien souvent, leur tissu familial est fragilisé. Elles sont contraintes d'ajuster les différentes dimensions de leur existence sur la base de privations.

Enfin, j'ai pu identifier quatre obstacles à la sortie d'une situation de pauvreté : la maladie, la monoparentalité, un retrait progressif du marché du travail et l'isolement social.

La combinaison des deux méthodes d'enquête, quantitative et qualitative, révèle le décalage entre la manière dont la pauvreté est saisie par l'administration et la manière dont elle est vécue par les acteurs. La notion de sortie de la pauvreté ne se réduit pas à une question de revenus. Il faut tenir compte d'autres indicateurs : la position sociale, la stabilité professionnelle liée au type de contrat de travail, la qualité de l'emploi occupé, la satisfaction éprouvée dans le travail, la possibilité de se nourrir et d'accéder aux loisirs, les caractéristiques des réseaux familial, amical et de voisinage, ou encore la possibilité, ou non, de se passer des aides sociales de manière durable, et donc de se projeter dans l'avenir.

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