Intervention de Nicolas Duvoux

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 2 mars 2021 à 14h30
Audition de Mme Claire Auzuret docteure en sociologie de l'université de nantes et de Mm. Nicolas duVoux professeur de sociologie à l'université paris 8 vincennes-saint-denis chercheur au centre de recherches sociologiques et politiques de paris et serge paugam directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales ehess et directeur de recherche au cnrs

Nicolas Duvoux, professeur de sociologie à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, chercheur au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris :

La statistique publique fait des efforts importants pour rapprocher les données et limiter leur antériorité par rapport à leur publication. Mais ce décalage temporel est inhérent à la robustesse des analyses. Alors est-il possible de réconcilier robustesse et réactivité ? Pour étudier le sentiment de pauvreté, nous nous appuyons sur le baromètre produit par la Drees et constitué de données rassemblées sur la base d'enquêtes très solides. Il y a un décalage inévitable entre les mesures objectives et l'appréhension subjective de la société. Ces outils sont utiles pour rapprocher une mesure et une expérience. On ne parviendra jamais à combler parfaitement ce hiatus, qui peut en lui-même s'avérer utile à la compréhension de notre société, notamment face à des variations importantes ou suite à un épisode ayant des fondements économiques et sociaux très nets.

Néanmoins soyons très prudents vis-à-vis de la situation actuelle car on peut avoir des mouvements contre-intuitifs. Si le niveau de vie médian s'affaisse complètement en France en 2020 du fait du décrochage économique, le taux de pauvreté monétaire baissera. C'est pourquoi il faut une vision réflexive comparative, ce qui n'empêche pas d'identifier des zones à risque.

Pour ce qui est de la déliaison, de la rupture des liens sociaux, il y a aussi, dans les phénomènes qui nous intéressent, des personnes qui sont en emploi durablement précaire ou discontinu et dont la situation et l'expérience vécue interrogent le corps social autrement. Ces conditions de pauvreté s'expriment selon différentes modalités. Nous devons nous donner la vision la plus juste des situations concrètes que vivent les personnes et les groupes.

Je n'ai pas de système parfait à proposer. Chacun doit travailler à s'améliorer et ne pas rester en silo, c'est le plus important.

La crise des gilets jaunes a beaucoup interpellé. Cette vague sociale comportait bien sûr des aspects socio-économiques, mais l'absence de reconnaissance, le sentiment de mépris en sont également une composante évidente. Nous avons été alertés sur le fait que des situations qui nous paraissaient ne pas relever de la déliaison sociale pouvaient néanmoins engendrer une très grande souffrance et une très grande colère vis-à-vis du fonctionnement de la société et des institutions. Cela a plus de sens à la fin des années 2010 qu'une quinzaine d'années auparavant.

J'en viens à l'accompagnement des personnes en situation difficile. Le pire, c'est le caractère incantatoire de messages politiques déconnectés des réalités. Les plus modestes sont pris en étau entre une pression parfois coercitive pour retourner au travail et l'absence d'emplois disponibles. C'est une injonction paradoxale, qui s'est renforcée ces dernières années.

Actuellement, la fracture sociale est peut-être moins présente à l'esprit de nos concitoyens qu'il y a quelques décennies alors qu'elle est objectivement plus profonde.

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