Intervention de Serge Paugam

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 2 mars 2021 à 14h30
Audition de Mme Claire Auzuret docteure en sociologie de l'université de nantes et de Mm. Nicolas duVoux professeur de sociologie à l'université paris 8 vincennes-saint-denis chercheur au centre de recherches sociologiques et politiques de paris et serge paugam directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales ehess et directeur de recherche au cnrs

Serge Paugam, directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales (EHESS) et directeur de recherche au CNRS :

Je ne connais pas l'expérience en Isère à laquelle vous avez fait référence, Madame le rapporteur, et serai peut-être en difficulté pour vous répondre sur ce point.

On pose la question du lien social en référence aux personnes qui ne sont pas bien intégrées. On veut les reprendre sous l'aile de l'État. Cette façon de faire traduit une grande difficulté. Les travailleurs sociaux chargés de ce retissage se sentent souvent bien seuls. On délègue le lien social à des spécialistes alors que c'est toute la société qui est impliquée.

Les différents types de liens sociaux renvoient aux fondements de la société, c'est-à-dire aux différents types de morales telles qu'elles se sont constituées dans notre société : le lien de filiation, c'est la morale domestique ; le lien de participation élective, c'est la morale associative ; le lien de participation organique, c'est la morale professionnelle ; enfin le lien de citoyenneté, c'est la morale civique. À partir de ces quatre types de morale, on fait société et c'est en les articulant qu'on fabrique le tissu social.

On a construit le modèle social français en misant sur la stabilité professionnelle et en adossant la protection sociale au salariat. Tout le modèle reposait sur ce socle ; or, il s'effrite depuis plusieurs décennies. On est aujourd'hui dans une situation très compliquée avec une norme d'intégration sociale qui passe inévitablement par l'emploi alors que ces populations ne parviennent pas à y accéder. Le décalage entre les normes prescrites et les capacités réelles des personnes à s'y conformer crée un mal-être généralisé dans la société française. Nous sommes conduits à réfléchir à une politique plus globale qui permette de repenser la protection, pour combler son déficit vis-à-vis de plusieurs millions de personnes, et à développer une politique de la reconnaissance dans notre société, notamment en luttant contre les discriminations et les stigmatisations de certaines populations.

Pour pouvoir faire évoluer une société qui en a bien besoin, il faut un élan global de solidarité. Je l'ai ressenti dans les années 1990. Ce n'est pas un hasard si, en 1995, tous les candidats à l'élection présidentielle parlaient de la fracture sociale. Elle n'est plus à l'ordre du jour alors que c'est la question fondamentale que l'on doit aborder. Il faut cet élan, cette envie de reconstruire un autre modèle social pour repartir sur une autre logique, plus inclusive. À l'échelon local, il y a des expériences intéressantes, comme « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Mais pour le moment, les conditions pour susciter cet élan ne me semblent pas réunies.

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