Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’éducation prioritaire est au cœur de notre promesse républicaine ; c’est l’un des piliers de notre politique en faveur de l’égalité des chances.
Le Sénat examinera bientôt le projet de loi confortant le respect des principes de la République : il est bon de se rappeler que c’est d’abord par de tels outils que nous pouvons lutter efficacement contre les séparatismes.
Cela ne signifie pas que l’éducation prioritaire doit être pensée de façon figée. Le quinquennat précédent a permis une révision ambitieuse, la première depuis les lois Savary. Élaborée en lien étroit avec les acteurs de l’éducation prioritaire, elle a créé un indice social juste et objectif, élaboré une nouvelle carte de l’éducation prioritaire et impulsé une dynamique reposant sur un travail pédagogique en réseau.
Je remercie le groupe CRCE d’avoir proposé ce débat. J’espère que, à son issue, nous aurons des pistes pour répondre aux défis de l’éducation prioritaire : la nécessité d’une meilleure articulation avec la politique de la ville, la défense de la mixité sociale et scolaire, la problématique des établissements dits « orphelins », la revalorisation des personnels à la hauteur de leur investissement, et, bien sûr, la question des établissements ruraux.
Il est positif que ce débat fasse une place à leurs spécificités, d’autant plus que, dans certains départements, la carte scolaire de 2021 se constitue dans la douleur, par manque de moyens, ce qui met directement en concurrence des écoles en REP avec des écoles rurales.
Dans la Drôme, la rentrée se fera à moyens constants. Pour dédoubler des classes en REP, il faut prendre les postes quelque part. Et souvent, c’est dans les territoires ruraux ! Cette mesure de dédoublement est une bonne chose, mais les moyens pour la mettre en œuvre n’ont pas suivi.
J’espère sincèrement que ce sera l’occasion d’une prise de conscience. Les classes en REP et les classes rurales ont en commun d’avoir des besoins spécifiques, mais ceux-ci ne sont pas les mêmes et ne doivent pas être opposés. Il faut prendre les deux en compte et, surtout, les financer comme il se doit.
Nous faisons nôtre également une partie des constats mis en avant pour justifier cette réforme, mais cette expérimentation en vue de transformer l’éducation prioritaire semble créer plus de problèmes qu’elle n’en résout.
Le premier point qui pose question, c’est sa temporalité très courte. Comment se prononcer sur la pertinence d’une généralisation à partir d’une expérimentation d’un an seulement, alors que les contrats locaux d’accompagnement sont prévus pour une durée de trois ans ? Pourquoi lancer une opération dans la précipitation, alors que nous approchons de la fin du quinquennat ?
Cette évolution majeure du système d’éducation prioritaire doit au contraire être pensée dans le temps long, dans une optique de concertation avec les syndicats et la représentation nationale. Les réactions suscitées par l’annonce de cette réforme montrent combien c’est nécessaire.
Nous nous interrogeons aussi sur son financement. Madame la secrétaire d’État, vous avez annoncé un budget spécifique de 3, 2 millions d’euros dans le cadre de l’expérimentation, dont la répartition dépendrait des contrats signés par les académies. Comment appréciera-t-on si son montant est adapté aux besoins réels ? Quels seront les critères de répartition ? Et sur quel budget cette somme sera-t-elle prise ?
Le risque vient également des nouveaux indicateurs de choix des établissements retenus : en plus des critères nationaux, vous avez indiqué que des indicateurs spécifiques « aux mains des académies » seront définis, par exemple le climat scolaire. La conséquence en sera évidemment une dilution des critères sociaux, pourtant au fondement même de l’éducation prioritaire.
Cette réforme s’appuie sur une vision de l’enseignement prioritaire contractualisé, émancipé de tout pilotage national au profit d’arbitrages locaux. Un tel changement conduira fatalement à une rupture d’égalité entre les territoires et à une mise en concurrence des établissements.
Nous partageons un constat : acteurs et actrices de terrain doivent être mieux associés pour constituer la carte de l’éducation prioritaire. Mais cela n’implique pas la disparition d’un cadre national.
Avec les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je vous propose de retourner le problème : au lieu de s’appuyer sur des contractualisations locales, demandons dans un premier temps aux académies quels sont les besoins réels sur le terrain, pour ensuite, à partir de ces remontées, dessiner la carte nationale de l’éducation prioritaire. Cela permettrait de prendre en compte l’ensemble des besoins et de prévoir les financements adaptés.
Madame la secrétaire d’État, je vous invite à saisir cette occasion.