Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, créée par Alain Savary en 1981, l’éducation prioritaire était conçue comme un dispositif temporaire de discrimination positive visant à compenser les inégalités sociales en matière scolaire, en renforçant les moyens de l’éducation nationale en direction des élèves des quartiers défavorisés.
L’objectif initial était de limiter à 10 % les écarts de niveaux observés entre les établissements des quartiers les plus défavorisés et les autres. Force est de constater que, quarante ans plus tard, les disparités restent élevées, avec 20 % à 35 % de différence entre établissements.
En 2017, le réseau de l’éducation prioritaire couvrait 1 000 collèges, dont 356 en REP+, et 7 000 écoles, dont 2 500 en REP+, pour un coût de 1, 6 milliard d’euros. Les principaux critères pris en compte sont le taux d’élèves boursiers, le type de quartier, les catégories socioprofessionnelles et, pour les collèges, le nombre d’élèves ayant redoublé au moins une classe.
Toutefois, les moyens déployés manquent souvent leur cible, comme le souligne la Cour des comptes dans un rapport d’octobre 2018. Cette politique ne couvre que 30 % des élèves défavorisés, et les effets de bord sont importants : de nombreux établissements en difficulté sont écartés du dispositif ; une école placée en plein cœur d’un quartier prioritaire peut ainsi être exclue du réseau si son collège de rattachement n’en fait pas partie.
En parallèle, les effets pervers constatés par le Centre national d’étude des systèmes scolaires, le Cnesco, dans son rapport de 2016 ne sont pas négligeables : l’éducation prioritaire semble associée à la dégradation du niveau des élèves, en raison de la stigmatisation des établissements concernés.
Le processus est double : non seulement les familles les plus aisées évitent de scolariser leurs enfants dans ces établissements, mais les enseignants les plus expérimentés et les enseignants titulaires y sont moins nombreux et les taux d’arrêt maladie et de mutation s’y révèlent élevés.
La conjonction de ces deux facteurs – la concentration, d’une part, d’élèves en difficultés sociale et scolaire, de l’autre, d’enseignants peu expérimentés – annule les effets positifs escomptés du dispositif.
Le renouvellement de la politique d’éducation prioritaire depuis 2017 et la réforme en cours visent à remédier à ces problèmes.
Parmi les récentes réformes figure le dédoublement des classes de CP, de CE1 et de grande section de maternelle. Le Gouvernement a fait ce choix plutôt que celui du dispositif « Maître+ », plus flexible, visant à renforcer ponctuellement l’encadrement de la classe grâce à un enseignant supplémentaire ou un assistant.
Pourtant, les deux dispositifs semblent complémentaires. Des assistants pourraient être déployés dans certaines classes en difficulté pour seconder l’enseignant et améliorer l’accompagnement des élèves. La revalorisation des salaires des enseignants et le renforcement des effectifs du personnel non enseignant sont également des facteurs indispensables au succès du dispositif.
La mise en place des classes coopératives donne de bons résultats pour favoriser l’apprentissage du vivre-ensemble et traiter les problèmes de vie scolaire. De même, le dispositif Devoirs faits, déployé depuis 2017 dans les collèges du réseau, est très demandé.
En novembre dernier, le Gouvernement a annoncé la mise en place de contrats locaux d’accompagnement, ou CLA, dans les académies de Lille, Nantes et Aix-Marseille. À partir de septembre 2021, cette expérimentation permettra à certaines écoles, certains collèges et lycées, hors réseaux, de bénéficier au cas par cas de moyens supplémentaires, pour améliorer l’accompagnement des élèves.
Certains établissements implantés en milieu rural pourront bénéficier de ce dispositif. Si ses résultats se révèlent prometteurs, sa généralisation permettra aux 500 écoles dites « orphelines », présentant tous les critères d’une école de REP, mais rattachées à un collège hors réseau, d’en bénéficier également.
Nous considérons qu’une réforme globale du fonctionnement de l’éducation prioritaire est souhaitable, pour ne pas dire indispensable, au regard de l’insuffisance des résultats du dispositif actuel. Nous devons aller vers un maillage plus souple et plus réactif des écoles et des collèges du réseau ainsi que vers une dissociation des écoles et des collèges. Aussi, nous accueillons favorablement l’expérimentation des CLA.
En conclusion de son ouvrage Terre des hommes, le commandant Antoine de Saint-Exupéry s’interroge sur l’avenir du jeune enfant né dans la misère qu’il voit face à lui, dans un wagon de troisième classe en partance pour la Russie : « Ce qui me tourmente […], c’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné. »
L’essentiel est de concentrer nos efforts dès le plus jeune âge, afin d’offrir à chaque enfant, quelle que soit son origine, l’accès à la lecture, à l’écriture et à une maîtrise suffisante du français. Ces prérequis sont le sésame dont dépend l’accès à tous les autres apprentissages !