Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la politique d’éducation prioritaire, mise en place dans l’urgence en 1981 pour « donner plus à ceux qui ont le moins », devait faire réussir tous les élèves. C’est sans doute ce défi qui m’a donné envie, cette année-là, de devenir enseignante.
Jusqu’à mon élection au Sénat en septembre dernier, j’exerçais ma profession dans un réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, un Rased, d’abord à Mulhouse, puis dans le Sundgau, un territoire rural du sud du Haut-Rhin.
Lorsque cette structure n’a plus été en mesure de remplir ses missions auprès des élèves, mon rôle a consisté à accompagner les enseignants qui avaient mobilisé et épuisé les moyens mis à leur disposition pour tenter d’aider les élèves dépassés par les attentes de l’école.
J’ai également accompagné des parents en détresse : vers qui se tourner quand le milieu rural se révèle être un désert sanitaire et quand la première antenne de soins médico-psycho-pédagogique se trouve à plus d’une heure de route, avec une liste d’attente de deux années ?
J’ai ainsi vécu sur le terrain l’évolution de cette politique publique, avec laquelle a précisément commencé ma vie professionnelle, et je suis heureuse de pouvoir aujourd’hui vous faire part de mon expérience.
Mon premier constat, c’est que jamais, durant ma carrière, l’éducation nationale n’aura pris en compte la ruralité et ses spécificités. La politique de l’éducation prioritaire a été collée sur la politique de la ville, et de larges moyens ont été affectés aux zones urbaines, au détriment des autres territoires.
Aujourd’hui, on se retrouve avec une fracture entre l’école des villes et l’école des champs, alors que plus de dix millions de jeunes de moins de 20 ans vivent en zone rurale et que 75 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP ou en REP+.
Depuis les années 1980, l’école en milieu rural fait l’objet d’une politique par défaut. Depuis quarante ans, elle sert de variable d’ajustement de la politique de la ville, qui a concentré un maximum de moyens sans avoir produit les résultats escomptés.
À l’arrivée, ceux qui en font les frais sont ceux que l’on croyait épargnés : des élèves qui vivent dans des territoires sans équipements culturels ou socio-éducatifs, scolarisés dans des classes à multiniveaux, soutenus à bout de bras par des enseignants qui n’ont ni la formation adéquate ni la disponibilité nécessaire pour faire face à la grande difficulté scolaire et aux troubles du comportement qui explosent partout depuis une dizaine d’années.
Mon second constat est encore plus alarmant. Les professionnels sont à bout de souffle, épuisés, parfois même soupçonnés d’incompétence, alors qu’ils sont simplement dans l’impossibilité d’apporter des réponses adéquates au sein même de l’école, trop souvent faute de marges de manœuvre suffisantes accordées aux autorités académiques.
Madame la secrétaire d’État, j’en suis convaincue : aujourd’hui, il faut accorder déployer davantage de moyens humains dans les écoles, dans toutes les écoles. Il faut réduire le nombre d’élèves par classe partout et non uniquement dans les zones dites « sensibles ».
Il faut renforcer les réseaux de professionnels spécialisés qui interviennent à l’école aux côtés des enseignants. Ces personnels sont à même de traiter des situations de détresse affective et éducative par un suivi personnalisé de chaque élève en difficulté et de sa famille.
Madame la secrétaire d’État, il faut prévenir la difficulté scolaire et la traiter à temps aujourd’hui, car elle porte en elle le germe des détresses de demain.
Comme l’évoquaient très justement Mme Azéma et M. Mathiot dans leur rapport, il est urgent d’engager des politiques coconstruites au sein même des académies, de donner à ces dernières des marges de manœuvre humaines et financières suffisantes, ainsi qu’aux collectivités territoriales et aux agences régionales de santé, les ARS, pour désenclaver les territoires et déployer des structures de soins médico-psycho-pédagogiques, au plus près des familles.
L’école est un formidable outil pour rétablir la paix sociale.