Ces contrats sont nés à la fois des constats que j’ai dressés lors de mes déplacements et des lectures très enrichissantes que j’ai pu faire : le rapport Azéma-Mathiot, le rapport de Salomé Berlioux et le rapport de la Cour des comptes.
J’ai en effet constaté que le zonage, ce « tout ou rien », avait des limites et créait des effets de seuil. Un peu plus de 70 % de nos élèves ne sont pas concernés aujourd’hui par les moyens de l’éducation prioritaire ; il y a donc une zone grise. Les écoles orphelines, les établissements en perte d’attractivité ont été évoqués, mais pas les lycées professionnels. Ceux-ci, pourtant, entreront dans les moyens de l’éducation prioritaire, grâce aux contrats locaux d’accompagnement.
Il a beaucoup été question de ruralité, à raison : à mon arrivée, j’ai constaté que, trop souvent, l’éducation prioritaire était perçue exclusivement au prisme des quartiers de la politique de la ville, les QPV, et des zones urbaines. Pourtant, l’éducation prioritaire concerne aussi la ruralité, laquelle a été très mal desservie à l’occasion de ce dernier zonage. C’est donc sur la base de l’ensemble de ces constats que j’ai décidé de lancer cette expérimentation.
S’agissant de la méthode, j’ai entendu dire que je n’aurais pas mené de concertations. C’est évidemment faux. À l’heure où je vous parle et depuis la fin du mois de septembre, nous avons déjà mené une trentaine d’audiences avec l’ensemble des organisations syndicales.
J’ai également à cœur de travailler avec tous les élus. J’ai été moi-même une élue municipale, une élue régionale et une parlementaire ; je ne sais que trop combien il est important de travailler en concertation avec l’ensemble des élus. Cette expérimentation a donc été annoncée, travaillée et préparée avec les élus et les organisations syndicales, et nous continuerons à agir de cette façon.
En ce qui concerne le calendrier, l’expérimentation a été annoncée au mois de novembre dernier ; depuis lors, nous avons installé un comité de pilotage.
Trois académies sont expérimentatrices : Nantes, Lille et Aix-Marseille. Vous comprenez bien leur répartition géographique : elles présentent chacune des particularités, et nous considérons qu’elles constituent un échantillon qui pourrait être représentatif de ce que donneraient ces mesures si nous les généralisions – j’y insiste : je parle au conditionnel.
Nous avons mis en place un comité de pilotage national, qui est composé de mon secrétariat d’État, de l’administration centrale et des académies concernées. J’ai très clairement mandaté ces dernières, parce que je souhaite faire entrer de nouveaux publics et de nouveaux territoires dans cette expérimentation. Je leur ai donc demandé d’être particulièrement attentives à nos écoles orphelines, à nos lycées professionnels et à nos territoires ruraux. Ainsi, 172 établissements sont aujourd’hui présélectionnés pour en faire partie.
Un budget est consacré à cette expérimentation. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez indiqué que j’avais parlé d’un budget constant. Je vais clarifier les choses : cette expérimentation n’est pas une réforme, je le répète, mais une voie parallèle. Cela signifie que je ne touche pas au zonage existant, c’est-à-dire aux REP et aux REP+, non plus qu’aux moyens qui sont alloués à cette carte. C’est en ce sens que j’ai parlé de moyens constants. Néanmoins, l’expérimentation menée en parallèle bénéficie d’un budget spécifique, de 3, 2 millions d’euros.
J’ai entendu dire que nous aurions fait peu, très peu, trop peu pour l’éducation prioritaire. Or plus de 2 milliards d’euros lui sont aujourd’hui alloués, soit une augmentation d’environ 30 % depuis 2017. S’y ajoutent 3 millions d’euros spécifiquement consacrés à cette expérimentation en parallèle. J’espère donc avoir été suffisamment claire à la fois sur les objectifs et sur les moyens qui lui sont alloués.
Revenons au calendrier. Ce comité de pilotage est dédoublé, dans les académies, par des comités de suivi. Vous avez souhaité y être associés ; tel est bien le cas. Dans chaque académie expérimentatrice, l’ensemble des acteurs est associé : l’éducation nationale, bien sûr, les cadres de la maison, mais également les élus. Pour moi, c’est très important. J’y insiste : vous êtes largement associés à cette expérimentation.
Je le disais, celle-ci s’adresse à un nouveau public, sur un nouveau territoire, avec un raisonnement complètement différent, qui sort du zonage et de la logique du tout ou rien, pour aller vers plus d’équité, de justice, de souplesse et une meilleure allocation des moyens, répartis, non pas en paquets, comme c’est le cas aujourd’hui, avec un paquet de moyens pour les REP et un paquet de moyens pour les REP+, mais bien en fonction des besoins spécifiques des établissements.
Ces moyens seront donc aussi variables que le sont ces besoins : ici du crédit pédagogique ; là, une diminution d’effectif des classes ; ailleurs, un renforcement des fonds sociaux. Bref cela sera variable.
Une expérimentation ne vaut pourtant que si elle est évaluée. C’est pourquoi nous sommes en train de mettre en place un protocole à cette fin.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez fait dire bien des choses, aujourd’hui. J’aurais, en particulier, annoncé la généralisation de cette expérimentation en 2022. Je n’ai jamais tenu de tels propos !
Ce que j’ai dit, très précisément, c’est que l’expérimentation commencera en septembre prochain, que nous l’évaluerons et que, si nous jugeons pertinent de l’élargir en 2022, nous l’étendrons alors à quelques académies supplémentaires. Nous préparons cette mesure, parce que nous souhaitons anticiper et parce qu’une telle évolution reposerait sur une ligne budgétaire spécifique au PLF 2022.
Le budget atteint donc aujourd’hui 3, 2 millions d’euros, pour 172 établissements annoncés à ce stade. Je vous l’ai dit, j’ai passé une commande très claire à l’ensemble des recteurs d’académie : seront inclus très précisément une trentaine de lycées professionnels et une trentaine d’établissements, d’écoles et de collèges, dans les territoires ruraux, parce que c’est très important à mes yeux, vous l’avez compris.
Avec Jean-Michel Blanquer, j’ai la volonté de travailler toujours plus en faveur de l’école rurale. C’est ce que nous faisons au travers des territoires éducatifs ruraux et d’autres mesures, comme les cordées de la réussite.
Vous m’avez interrogée également sur les outre-mer, en affirmant que ceux-ci ne seraient pas concernés par l’expérimentation. Outre-mer, l’éducation prioritaire est très présente. S’ils ne sont pas associés aujourd’hui à l’expérimentation des contrats locaux d’accompagnement, nous travaillons avec ces territoires à un projet spécifique adapté à leurs particularités.
J’ai également été interrogée sur la carte scolaire. Vous m’avez dit que bon nombre de nos classes seraient fermées à la rentrée. Je rappelle l’engagement du Président de la République : pas de fermeture d’école sans accord du maire pour les communes de moins de 5 000 habitants. Pour la rentrée de 2020, en raison du contexte sanitaire très particulier, il a été décidé qu’il n’y aurait pas non plus de fermeture de classe sans accord du maire.
Comme vous le savez, nous sommes au cœur des discussions sur la carte scolaire, et nous examinons localement les situations, au cas par cas, en concertation avec l’ensemble des acteurs sur le territoire ; vous-mêmes, en tant qu’élus, êtes particulièrement concernés et associés.
Je vous indique tout de même que, depuis plusieurs années, nous constatons une diminution récurrente et progressive des effectifs. Nous avons ainsi perdu environ 65 000 élèves. Pour autant, nous n’avons cessé d’augmenter les moyens, en particulier sur le premier degré, parce qu’il est très important, pour le ministre comme pour moi-même, de travailler à consolider les fondamentaux, à savoir lire, écrire, compter et respecter autrui.
J’ai été interrogée également sur la différenciation ; à mon sens, les contrats locaux d’accompagnement constituent la réponse à cet enjeu.
Vous m’avez demandé comment ces établissements avaient été sélectionnés. Cela relève de la différenciation, certes, mais la politique d’éducation prioritaire reste une politique nationale, appuyée sur un référentiel national très présent et inchangé. Nous avons simplement offert quelques leviers supplémentaires aux académies pour leur permettre de travailler de façon très locale. On a parlé à ce sujet de cousu main, voire de sur-mesure ; c’est bien l’objectif !
C’est en croisant l’ensemble de ces indicateurs que les recteurs et les services académiques ont produit cette liste de 172 établissements à laquelle j’ai prêté la plus grande attention, étant particulièrement sensible à ces nouveaux publics. Je vous ai ainsi parlé de l’école orpheline et des lycées professionnels. Rappelons que ces derniers recrutent bon nombre de leurs élèves dans l’éducation prioritaire, mais n’ont plus aucun moyen depuis la mise en place de ce zonage, qui les a exclus de l’éducation prioritaire.
Vous m’avez interrogée également sur les bourses scolaires. Ma feuille de route, vous l’avez bien compris, comprend cette expérimentation sur l’éducation prioritaire, les dispositifs, conduits par le ministre, que je déploie, et d’autres que je crée, ainsi que, enfin, un troisième pilier, qui me tient particulièrement à cœur, qui est adossé au plan de lutte contre la pauvreté et qui répond parfaitement à cette question.
En effet, je travaille activement à restructurer nos fonds sociaux. J’ai constaté que, dans bon nombre de nos établissements, ceux-ci ne sont pas consommés ou sont sous-consommés. Or trop de nos élèves ne bénéficient pas de leur bourse, avec un taux de non-recours encore très élevé.
Pour répondre à ces deux problématiques, je travaille à la restructuration de ces fonds sociaux, avec des messages très clairs et volontaristes adressés à l’ensemble de nos cadres, pour que ceux-ci s’en saisissent mieux. Je souhaite qu’ils aillent, le plus tôt possible, dès la fin de l’année scolaire, au moment des inscriptions ou des réinscriptions, solliciter les familles, qui, dans le contexte si particulier que nous traversons, sont de plus en plus nombreuses à avoir des besoins et, malheureusement, ne connaissent pas ces dispositifs ou n’osent pas les demander.
J’étudie également, avec Olivier Dussopt, la possibilité d’automatiser l’information d’un droit à la bourse.
Enfin, je travaille sur une mesure que vous connaissez bien : les petits-déjeuners. Trop nombreux sont nos élèves qui arrivent à l’école le ventre vide. Il y a trois ans, quand cette mesure a été mise en place, nous estimions qu’entre 250 000 et 300 000 de nos élèves arrivaient à l’école le matin sans avoir petit-déjeuné. Avec la crise sociale que nous traversons, ce chiffre a probablement augmenté. C’est la raison pour laquelle, avec Olivier Véran, je réfléchis à un nouveau mode de distribution de ces petits-déjeuners dans nos établissements.
Je reviens aux contrats locaux d’accompagnement. Vous considérez que leur temporalité est trop courte : pourquoi une évaluation au bout d’un an ? Que va-t-il se passer ensuite ? Effectivement, nous allons évaluer l’expérimentation dans l’année qui suit, avec l’objectif de l’améliorer. C’est le principe de l’expérience et du tâtonnement : on fait, puis on s’améliore.
Ces contrats locaux d’accompagnement sont conclus pour trois ans, avec, peut-être, une clause de rendez-vous. « Peut-être » parce que, aujourd’hui, je ne sais pas si cette clause de rendez-vous sera nécessaire et si elle le sera pour un, deux ou trois ans. Vous voyez donc que cette expérimentation accorde localement beaucoup de souplesse sur les territoires aux recteurs et à nos établissements.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à l’ensemble de vos questions sur la méthode, sur le calendrier, sur l’évaluation de cette expérimentation, sur son hypothétique élargissement – je ne sais pas si elle sera généralisée et je n’ai jamais dit que ce serait le cas à la rentrée de 2022 –, sur la carte et les moyens de l’éducation prioritaire, qui restent inchangés, sur le fait que cette expérimentation est une voie parallèle bénéficiant d’un financement spécifique, enfin sur les critères retenus pour désigner ces établissements.
Comme vous le voyez, il n’y a ni hasard ni clientélisme, comme je l’ai entendu dire. Cela n’a pas été fait au doigt mouillé, mais bien avec rigueur et avec méthode.
Puisque l’on a cité Saint-Exupéry, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de partager une citation qui m’est chère. Pythagore disait : « Un homme n’est jamais si grand que lorsqu’il est à genoux pour aider un enfant. » C’est précisément ce à quoi je m’emploie au secrétariat d’État à l’éducation prioritaire pour assurer l’élévation générale du niveau de nos élèves et la réussite de tous nos enfants sur tous nos territoires.