J'ai toujours rendu hommage au Sénat parce qu'il a su, quand c'était souhaitable, modérer l'ardeur de l'Assemblée nationale. J'ai, par ailleurs, beaucoup de respect pour le travail accompli dans cette enceinte.
Je vous remercie donc, Madame la présidente, de m'avoir conviée ce matin. Je remercie également Joëlle Garriaud-Maylam d'avoir pris contact avec moi au sujet de cette table ronde.
Je ne vous cache pas que je suis un peu intimidée que l'on célèbre les dix ans de la loi Copé-Zimmermann.
J'insiste, c'est bien la loi Copé-Zimmermann ! C'est, en effet, Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale qui, dans sa grande sagesse, a insisté pour que notre proposition de loi soit examinée par le Sénat. À l'époque, soyons clairs, le président du groupe UMP au Sénat n'y était absolument pas favorable.
Mardi dernier, Jean-François Copé et moi-même sommes intervenus lors d'un séminaire organisé par le MEDEF pour évoquer cette loi. Je suis très heureuse que Laurence Parisot soit parmi nous ce matin, parce qu'elle fait aussi partie de l'histoire de cette loi.
Jean-François Copé a donc joué un rôle important dans l'examen de la loi par le Sénat, comme il avait également joué un rôle décisif au moment de la révision constitutionnelle de 2008. Je suis d'ailleurs très heureuse que vous ayez rappelé, Madame la présidente, la révision constitutionnelle de 2008 que nous avons trop souvent tendance à oublier.
On omet malheureusement d'évoquer la modification de l'article 3 intervenue en 1999 - principe d'égal accès aux mandats électoraux et fonctions électives - puis de l'article 1er de la Constitution, modifié en 2008 pour y faire figurer le principe d'égal accès aux mandats électoraux et fonctions électives, complété par l'égal accès aux responsabilités professionnelles et sociales. Selon moi, la révision constitutionnelle de 2008 a été une étape majeure qui a favorisé l'adoption de la loi de 2011.
Dans sa grande sagesse, Pierre Mazeaud, alors Président du Conseil constitutionnel, a cependant rejeté ces articles au motif qu'il n'y avait pas de base constitutionnelle pour les accueillir. En agissant de la sorte, sans doute ne s'est-il pas rendu compte qu'il venait, quelque part, de me lancer un défi. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de le lui dire plus tard.
Quoi qu'il en soit, ce refus a été pour moi un moteur extraordinaire. Il m'a donné la volonté de profiter de l'opportunité de la révision constitutionnelle suivante - à l'époque les révisions étaient plus fréquentes qu'aujourd'hui. La révision constitutionnelle de 2008, avec l'introduction de l'égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités professionnelles et sociales, a permis d'asseoir notre loi sur une base constitutionnelle.
De son côté, la Norvège avait déjà légiféré et imposé un quota minimum de 40 % de femmes au sein des instances dirigeantes des entreprises. Avec des collègues parlementaires, nous nous sommes rendus en Norvège où nous y avons rencontré le ministre de l'économie. Il n'était pas issu du monde politique, mais chef d'entreprise. Il m'a alors confié : « Madame la députée, quand on m'a demandé de devenir ministre de l'économie, je me suis dit qu'il fallait que je laisse «ma patte» dans l'histoire. Mon ambition a donc été d'essayer de voir comment, en bougeant les lignes, on pouvait effectivement parvenir à faire avancer la place des femmes dans l'entreprise et dans la société en général. »
Il m'a ensuite expliqué que les conseils d'administration étaient le « coeur battant de l'entreprise » - je lui ai d'ailleurs demandé l'autorisation de reprendre cette formule. C'est au sein des conseils d'administration, en effet, que se dessinent et se décident les grandes lignes de conduite d'une entreprise. Il est donc essentiel que des femmes siègent au sein de ces instances qui sont des « clubs d'hommes » - je reprends là aussi son expression.
Le ministre norvégien m'a également dit qu'il fallait que je parvienne à convaincre que la réussite d'une politique d'égalité dans une entreprise passe par le conseil d'administration, qui doit s'emparer de cette question au moins une fois par an afin d'impulser et de porter cette démarche dans toutes les strates de l'entreprise.
Dès lors, la nécessité des 40 % était acquise pour moi, a fortiori quand j'ai appris qu'une telle réforme était envisagée en Allemagne...
Aussitôt rentrée à Paris, j'ai fait part de cette information à Jean-François Copé, mon président de groupe. Il s'est tout de suite dit favorable à cette proposition de loi, à laquelle il m'a suggéré de travailler sans tarder.
Pourquoi une proposition de loi ? Tout simplement parce que le calendrier de l'Assemblée nationale nous offrait la possibilité de l'intégrer dans une niche parlementaire. Nous pouvions espérer alors, si le Sénat l'acceptait, procéder rapidement à une première lecture dans chaque assemblée, ce qui a été fait.
Lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, Françoise de Panafieu m'a également lancé un défi : celui de légiférer non seulement sur le privé, mais aussi sur le public. Je me suis donc promis qu'avant la fin de mon mandat, en juin 2012, je serais parvenue à ce que l'Assemblée nationale légifère à la fois sur le secteur privé et sur le secteur public. J'ai atteint mon but !
Certes, une proposition de loi n'a pas nécessairement la force d'un projet de loi. Toutefois, ce qui m'a causé une vraie frustration, c'est de ne pas pouvoir légiférer sur les organisations syndicales, faute d'ouverture de négociations à ce sujet, ni sur un minimum de 20 % de femmes présentes sur les listes pour les élections prud'homales. Nous nous sommes donc « contentés » des conseils d'administration.
Plus tard, lorsque j'ai accédé à la présidence de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale, j'avais entre autres ambitions de tenter de faire appliquer la loi dite « Génisson » de 2001 sur l'égalité professionnelle. Je tiens à saluer Catherine Génisson, qui a été députée puis sénatrice, pour qui j'ai un très grand respect. La loi de 2001 est fondamentale. J'avais d'ailleurs repris l'idée que les conseils d'administration publient, chaque année, un rapport sur la politique d'égalité entre les femmes et les hommes avec comme support le rapport de situation comparée (RSC), document extrêmement important car il donne de la lisibilité à la politique d'égalité en général, et au sein des entreprises en particulier. Durant les dix ans passés à la présidence de la délégation aux droits des femmes, je me suis donc efforcée de le sauvegarder.
Pour en revenir à la première lecture de la loi dite « Copé-Zimmermann » à l'Assemblée nationale, dont l'un des enjeux était de caler l'article 6, et pour laquelle aucun amendement n'avait été déposé, je veux souligner l'implication de Xavier Darcos, à l'époque ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, dont le rôle a été très important. Il me semble, en effet, essentiel de lui rendre hommage - et pas seulement parce que Laure Darcos est présente ce matin - mais parce qu'il a été très respectueux de cette loi. Il faut se replacer dans le contexte historique de 2010, époque où l'idée de favoriser l'accès des femmes aux mandats électifs était également en débat. J'ai d'ailleurs mené ce combat pendant dix ans, à un moment où cela était loin d'être « à la mode », pour que les femmes ne soient plus freinées dans leur engagement politique. Alors, très souvent, la colère me prend lorsque je constate aujourd'hui que certaines femmes ne respectent pas leurs fonctions ou ne s'en montrent pas dignes.
Je voudrais également rendre hommage à Laurence Parisot - et je suis très contente qu'elle soit invitée ce matin, car en 2011 nous avons beaucoup échangé. Elle n'était d'ailleurs pas favorable à cette loi, ce que je pouvais comprendre.
Comme je l'ai dit il y a quelques minutes, j'ai récemment participé à une table ronde organisée par le MEDEF pour marquer le dixième anniversaire de cette loi. En conclusion, Geoffroy Roux de Bézieux, son président, a souligné que le MEDEF n'avait pas pour habitude de célébrer les anniversaires, mais qu'il le faisait bien volontiers pour cette loi, et notamment pour faire son mea culpa. J'ai à mon tour souligné qu'une personne, en l'occurrence Laurence Parisot, avait aussi beaucoup évolué sur cette question. Ainsi, j'ai toujours en mémoire un gros titre du journal Le Monde : « Laurence Parisot favorable aux 30 % » alors qu'au départ, ce n'était rien du tout !
À peu près à la même période, j'ai également eu un échange avec Jean-Martin Folz, président de l'Association française des entreprises privées (AFEP). Je le connaissais bien puisqu'il avait été directeur de l'usine PSA de Trémery-Metz, site installé dans ma circonscription. Martin Folz m'informe donc que le Sénat venait de modifier l'article 6 de la loi au profit « de la politique de l'égalité ». Au même moment, un chargé des relations avec le Parlement me téléphone et me dit : « Madame Zimmermann, je suis au regret de vous annoncer que le Sénat a changé votre article. Il ne s'agit plus du rapport sur la politique d'égalité fondé sur le rapport de situation comparée, mais de la politique d'égalité sur l'ensemble de l'entreprise. » Je lui réponds : « Très bien, je l'accepte. » Il me lance alors : « Vous ne pouvez pas accepter ça ! » Eh bien si, je le pouvais parce que cette modification permettait une loi sur la fonction publique !
Aujourd'hui, si je devais dresser un bilan de ces discussions, je remercierais d'abord tous ceux et toutes celles qui m'ont accompagnée dans ce combat. Car cela a été un vrai combat !
Dix ans après le vote de cette loi, je constate que les résultats, sur le plan statistique, des entreprises visées (CAC40, SBF120, sociétés de plus de 500 salariés, etc.) sont très bons, excepté pour une ou deux entreprises qui rencontrent des difficultés et que je ne nommerai pas.
Étant une inconditionnelle du rapport de situation comparée et des statistiques, je tiens aussi à remercier Floriane de Saint-Pierre, qui m'a beaucoup aidée. Présidente d'Ethics & Boards, elle m'a, en effet, transmis chaque vendredi, de 2011 à 2017, des statistiques très précises sur l'évolution de la place des femmes dans les conseils d'administrations des grandes entreprises. Cette constance représente un travail extraordinaire qu'elle a toujours accompli bénévolement, signe d'un engagement sincère.
En 2013, Floriane de Saint-Pierre a également créé, avec Caroline de la Marnière, « l'indicateur Zimmermann » dont on présentait régulièrement le palmarès à l'Assemblée nationale. Lorsque les femmes n'étaient pas assez représentées dans certaines entreprises, j'organisais des conférences de presse avec des journalistes économiques (Les Échos, Les pages saumon du Figaro, Le Monde, etc.), pour donner mauvaise conscience aux dirigeants de ces entreprises et surtout les stimuler ! C'est aussi grâce à ces actions que la loi a été suivie.
Cependant, tout n'est pas parfait. Aujourd'hui, l'une des recommandations que je développe régulièrement - nous en discutions tout récemment encore avec Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes - concerne l'article 8, qui cadre la politique d'égalité dans les entreprises. Lorsque j'ai porté la loi en 2010, ce n'était pas simplement pour asseoir des femmes dans des fauteuils de conseils d'administration, mais bien pour que ces femmes posent la question de la politique d'égalité dans l'entreprise. Or l'article 8 demeure très peu appliqué, ce que confirment les chercheurs, comme Viviane de Beaufort avec laquelle je collabore régulièrement, qui travaillent sur les questions d'égalité professionnelle.
Dans ce contexte, je souhaite qu'il y ait un contrôle renforcé, et pas seulement pour les entreprises du CAC40 ou du SBF120, mais pour toutes les entreprises que Najat Vallaud-Belkacem a intégrées dans la loi de 2014. Cela permettrait notamment d'obtenir une meilleure visibilité de l'application de cet article. Je pense que nous pourrions également demander à Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, comment gérer officiellement ces statistiques pour faire en sorte que l'article 8 soit enfin appliqué. À cet égard, je voudrais aussi saluer le soutien de Véronique Morali, co-fondatrice du Women Corporate Directors Paris, qui, à l'époque, m'a très rapidement alertée sur le fait que nous étions « focalisés » sur la présence des femmes dans les conseils d'administration et pas du tout sur la politique d'égalité au sein de l'entreprise.
D'autres femmes ont soutenu et accompagné ce combat. Je pense notamment à Agnès Bricard - qui vous a précédée, Madame Savés, à la présidence de l'Association des femmes experts-comptables. Elle a été une combattante à la fois de la loi mais également de la politique d'égalité dans son ensemble. En prenant la tête de l'association Professional Women France, son objectif était bien celui-là : favoriser la politique d'égalité dans l'entreprise. Elle m'avait d'ailleurs confié qu'elle comprenait ma préoccupation de légiférer, sachant que j'étais très attachée à l'égalité professionnelle, mais elle pensait que viser seulement les conseils d'administration, les comités exécutifs (COMEX) et comités de direction (CODIR), ne servait à rien. Il faut, disait-elle : qu'il y ait un ruissellement dans toute l'entreprise, afin que, lorsqu'une femme entre dans une entreprise, elle ait une visibilité sur sa carrière et que l'on arrête de lui dire que c'est à cause de son congé maternité qu'elle n'avance pas !
Pour conclure, je dirais, premièrement, que la loi de 2011 existe et que, comme l'a très justement souligné le président du MEDEF, elle a permis d'imposer un changement de mentalité au niveau de la gouvernance des entreprises. Elle a également encouragé un véritable engouement. Beaucoup de femmes s'en sont emparées, ont fait avancer les choses et ont aidé à son application. Dix ans après son vote, je souhaite vraiment rendre hommage à leur détermination !
Contrairement à ce que pense le président du MEDEF, qui estime qu'en France on pourrait abroger cette loi dès lors qu'elle est appliquée, je crois que cela serait le plus mauvais des messages. Non pas parce qu'il s'agit de la loi Copé-Zimmermann, mais parce que je suis convaincue que cette abrogation serait un très mauvais signal.
Non seulement il ne faut pas l'abroger, mais il faut la conforter avec des exigences statistiques renforcées et mesurer son influence sur l'entreprise, à tous les échelons. Je pense que nous nous apercevrions ainsi qu'il y a encore énormément de travail à accomplir dans le champ de l'égalité professionnelle.
Je compte d'ailleurs sur les délégations aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique social et environnemental (CESE) pour faire avancer l'égalité au sein des entreprises. C'est ce travail, que nous avons toujours mené en commun, qui permettra que la place des femmes progresse et qu'elle devienne la normalité dans notre société.