Intervention de Laurence Parisot

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 21 janvier 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur le bilan de l'évaluation de la loi copé-zimmermann

Laurence Parisot, ancienne présidente du MEDEF :

Merci pour ces mots, Madame la rapporteure, et merci à vous, Madame la présidente.

Pour rien au monde, je n'aurais voulu rater cette occasion de célébrer les dix ans de cette extraordinaire et si importante loi.

D'emblée, il est très important pour moi de saluer la ténacité, la détermination, l'intelligence et l'habilité dont Marie-Jo Zimmermann a fait preuve à l'époque.

Votre contribution, Madame Zimmermann, dans le combat pour l'égalité hommes-femmes, dans le combat contre la misogynie - un mot qui n'a pas encore été prononcé - et votre détermination ont été admirables. Je crois que cet esprit combatif est toujours présent en vous et je tiens vraiment à le souligner.

Vous avez d'ailleurs toutes les deux, Marie-Jo Zimmermann et Joëlle Garriaud-Maylam, mais aussi Madame la présidente de la délégation, bien fait comprendre que cette loi était le résultat d'un travail collectif qui, certes, a connu des mouvements et des oppositions, mais qui a su progressivement construire une dynamique collective en faveur de ce texte.

Si vous le permettez, je voudrais ajouter un angle de vue à celui qu'a rappelé Marie-Jo Zimmermann sur la genèse de ce texte. De mon côté, en 2005, je venais d'être élue présidente du MEDEF et, comme Marie-Jo Zimmermann, j'avais été épatée par ce qui se passait en Norvège. Cela m'avait réellement marquée et, sans attendre, j'ai voulu introduire ce principe des quotas dans le code de gouvernance des entreprises cotées via le code de gouvernance AFEP/MEDEF qui, à l'époque, était moins important qu'il ne l'est aujourd'hui.

Ce code de gouvernance, qu'on appelle aussi la soft law, n'est évidemment pas une loi votée par le Parlement, mais il a permis de produire quelques effets à l'époque.

À ce moment-là, nous sommes au tournant des années 2005-2006, je me souviens parfaitement des réactions, y compris chez les plus jeunes dirigeants d'entreprise d'alors.

J'ai notamment en mémoire un échange avec le président d'une entreprise du CAC40, qui faisait partie de la nouvelle génération, et à qui je suggère donc l'idée d'introduire un quota de femmes dans notre code de gouvernance. Il me répond alors : « Oui, c'est une bonne idée. Mais tu sais, on n'en trouvera pas ! ».

Vous qui combattez en faveur de l'égalité entre femmes et les hommes, vous connaissez parfaitement cet argument : « On ne trouvera pas les personnes qui conviennent pour occuper ces fonctions ! ». Vous le connaissez par coeur, mais il était vraiment dominant à ce moment-là.

Une autre raison était sans cesse alléguée pour s'opposer à l'introduction de quotas dans le code de gouvernance : la méritocratie. En bref, on ne peut pas imposer de quotas parce que cela va conduire à ne pas respecter l'élément déterminant, qui est l'évaluation de la qualité d'une personne. Bien évidemment, tous ceux qui tenaient de tels propos ne voulaient pas voir qu'avec cet argument, ils maintenaient en l'état une grille de lecture déformante, biaisée.

Marie-Jo Zimmerman a rappelé qu'au départ, je n'étais pas totalement favorable à l'inscription des quotas dans la loi. Je veux le croire, bien que dans mon souvenir j'étais d'accord sur le principe, mais défavorable aux 30 % même si, intimement, j'étais persuadée que Marie-Jo Zimmermann avait raison. Toutefois, de mon côté, il fallait que je convainque les dirigeants, que je les amène à cette nécessité, à cette évidence.

Cette démarche a visiblement réussi à Marie-Jo Zimmermann et à Jean-François Copé. Je suis d'accord avec Marie-Jo Zimmermann, il faut effectivement citer Jean-François Copé dans l'histoire de cette loi, tout comme il faut rappeler le rôle de Xavier Darcos. Si des responsables politiques comme eux ont poussé cette loi, je pense que, de mon côté, j'ai empêché qu'elle soit freinée et qu'un mouvement contraire ne se développe.

Pour moi, cela signifie que dès qu'on avance sur un sujet, il faut absolument tenter de créer le mouvement pour favoriser le consensus ; consensus qui va porter une énergie orientée dans la même direction.

Après ce petit rappel historique sur l'angle de vue que j'ai eu à l'époque, je voudrais souligner qu'il ne faut surtout pas réfléchir une demi-seconde à l'idée de remettre cette loi en cause. D'ailleurs, je ne savais pas que certains s'étaient interrogés sur le fait qu'une fois son objectif atteint, elle devrait être abolie... Il est évident que tel ne doit pas être le cas, car les retours en arrière sont toujours possibles ! Cette loi est fondamentale, cette loi est une réussite, cette loi doit être conservée !

Je rejoins les propos de Mme la rapporteure sur la réputation que cette loi a donnée à notre pays. En Allemagne, peut-être qu'Angela Merkel s'est posé la question d'une telle loi au même moment, mais elle n'aurait jamais pu faire approuver une loi de cette nature, car elle aurait été, je peux en témoigner, confrontée à un blocage absolu du patronat allemand !

Si, récemment, l'Allemagne a annoncé des mesures importantes allant dans cette direction, elle a dix ans de retard sur le sujet ! Pour notre réputation, y compris outre-Atlantique, ce texte a été une contribution extrêmement positive et tout à fait intéressante.

Je voudrais également ajouter à mon témoignage sur la mise en oeuvre pratique de cette loi les éléments suivants. Lors de sa promulgation, je siégeais déjà dans des conseils d'administration. J'ai continué à siéger dans plusieurs d'entre eux au cours de ces dix dernières années, et je voudrais que vous sachiez tous et toutes, y compris celles et ceux qui n'ont pas eu l'occasion de fréquenter des conseils d'administration, combien ils ont changé ! C'est même à peine croyable et difficile à décrire.

Je donnerai quelques caractéristiques de ces changements. La première relève du style, comme si une légèreté nouvelle s'était introduite dans les conseils d'administration, mais sans que ces instances perdent leur sérieux. Immédiatement, cette mixité a produit un ton différent, un ton plus constructif, un ton apaisé, qui autorise une certaine créativité.

La deuxième caractéristique, encore plus importante pour la vie et la conduite de l'entreprise, réside dans le fait que les femmes soient aujourd'hui en nombre dans un conseil. Elles apportent un ancrage dans la réalité qui donne une force supplémentaire au conseil d'administration. Les administratrices, en effet, cherchent toujours à être au plus près du réel, au plus près du vrai. À plusieurs reprises, j'ai pu constater qu'elles font montre de courage dans des situations difficiles, un courage qu'on ne trouve pas forcément dans un groupe composé exclusivement d'hommes.

La troisième caractéristique est liée au fait qu'un groupe mixte, un conseil d'administration mixte, introduit une forme de modestie et empêche toute dérive de toute puissance. Pour le dire de manière plus directe, les phénomènes de « grosses têtes » disparaissent. C'est là aussi, je crois, une dimension assez fondamentale quand il s'agit, pour les grandes entreprises notamment, de prendre des décisions lourdes de conséquences.

La dernière caractéristique que je voudrais souligner, c'est cette capacité chez les femmes à faire le lien entre l'intérêt de l'entreprise et l'intérêt général. D'ailleurs, c'est un point à vérifier - je ne sais pas si Marie-Jo Zimmerman, qui dispose de statistiques très précises, a des informations à ce sujet - mais il me semble que ce sont plutôt des femmes qui président les comités de responsabilité sociale des entreprises (RSE) au sein des conseils d'administration des grands groupes. Je ne pense pas que cela soit simplement parce que cela arrange tout le monde, mais parce que les femmes savent mieux que beaucoup d'autres prendre en main cette dimension de responsabilité sociale et environnementale, tout en la rendant compatible avec l'intérêt social propre à l'entreprise. Cette sensibilité sociétale est vraiment un plus qui est donné à nos entreprises. Je le constate dans mon métier au quotidien - comme vous le savez, je préside une banque d'affaires. Ainsi, aujourd'hui, dans le monde de la finance, tout le monde travaille intensivement sur les critères environnementaux, sociétaux et de gouvernance. De ce point de vue, les entreprises françaises ont sur les entreprises américaines, anglaises ou allemandes des années-lumière d'avance. Je n'exclus pas que cette présence féminine dans les conseils est un des facteurs qui expliquent l'avance française, une avance reconnue par les Américains eux-mêmes.

Comme vous toutes, je pourrais évidemment parler des heures de ces sujets, mais je conclurai en renouvelant mes remerciements à toutes celles qui ont organisé cette table ronde, mais surtout à Marie-Jo Zimmermann. Vraiment chapeau bas !

Comme elle l'a rappelé, ce qui semble évident aujourd'hui ne l'était pas du tout à l'époque. La loi Copé-Zimmermann est une contribution majeure à la cause des femmes et une contribution majeure à notre pays.

Je pense que l'étape naturelle prochaine est évidemment l'introduction des quotas dans les comités exécutifs et comités de direction. Pour moi, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Je crois même l'avoir dit dans mes dernières années à la tête du MEDEF.

Je dirais que cette étape devra probablement être introduite dans un outil législatif, même si des recommandations existent déjà. Il est évident que, d'une part, les quotas ont un effet bénéfique et que, d'autre part, on ne peut avancer sur les grands sujets qu'à partir du moment où on peut les mesurer. Si l'on entre dans cette logique consistant à mesurer la part des femmes dans les comités exécutifs, il est évident que les progrès suivront, même si certains, je le redis, sont réalisés actuellement.

Je voudrais souligner, enfin, que ce n'est pas rien qu'en France, une femme soit directrice générale d'un des plus grands groupes énergétiques au monde - je pense à Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie. C'est même tout à fait exceptionnel. Il est encore plus symbolique, peut-être, et historique que, dans quelques semaines, une femme, Barbara Dalibard, devienne présidente de Michelin, un groupe qui fait partie intégrante du patrimoine économique français mais qui, historiquement, a toujours été exclusivement masculin. Cette nomination illustre, à mon avis, parfaitement les progrès accomplis par notre pays. Il est vraiment hors normes et remarquable qu'aujourd'hui, Michelin choisisse une femme comme présidente.

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