Intervention de Anne-Françoise Bender

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 21 janvier 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur le bilan de l'évaluation de la loi copé-zimmermann

Anne-Françoise Bender, maîtresse de conférences en sciences de gestion au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) :

Je vous remercie pour cette invitation. J'enseigne la gestion des ressources humaines au Conservatoire national des arts et métiers. Mes recherches portent sur la gestion des carrières, la gestion de la diversité et également sur les profils des femmes dans les conseils d'administration.

Je voulais tout d'abord signaler que cette loi est évidemment exceptionnelle, mais que nous sommes actuellement, en quelque sorte, au milieu du gué. Ainsi, un excellent rapport du Haut conseil à l'égalité (HCE) a été publié en 2019 sur l'application de la loi et sur ses enjeux. Je ne le reprendrai pas ici, vous en avez eu connaissance. Si l'on sait qu'il y a eu des bons résultats dans les sociétés cotées et les grandes sociétés, on sait aussi qu'il reste beaucoup de progrès à accomplir au niveau des sociétés non cotées. Finalement, nous sommes encore au début de l'aventure !

Je voudrais simplement souligner trois aspects. En premier lieu, je vais revenir sur la dynamique internationale (et pas seulement européenne), et montrer que, malgré cette dynamique, le plafond de verre persiste, notamment dans les comités de direction. En deuxième lieu, je souhaiterais rappeler les difficultés structurelles que rencontrent les femmes dans ces univers - c'est un peu mon rôle ce matin. Puis en dernier lieu, je reviendrai sur ce qu'on peut faire en France - mais cela n'est évidemment pas de mon ressort !

S'agissant de la dynamique internationale, je veux bien sûr rappeler qu'elle s'appuyait d'abord sur une dynamique européenne - la Norvège a été évoquée à plusieurs reprises ce matin -, et qu'une directive européenne était en cours de réflexion à l'époque. Mais la dynamique était aussi mondiale, puisqu'elle a été initiée aux États-Unis avec les lois anti-discriminations des années 1960-1970. Depuis plus de quarante ans, les entreprises américaines encouragent la progression de carrière des femmes, et cela bien davantage que les entreprises françaises ou européennes, puisqu'elles étaient soumises à ces lois à partir des années 1980. C'est donc une préoccupation ancienne, à l'échelle d'une cinquantaine d'années en tout cas. C'est aussi pour cette raison, sans doute, que les entreprises européennes et françaises étaient déjà un peu acquises au fait que les femmes étaient là, qu'elles étaient éduquées, compétentes et avaient des aspirations de carrière, et qu'on ne pouvait plus continuer à se priver des talents de la moitié de la population, même s'il y a eu des résistances.

Depuis une vingtaine d'années, la place des femmes dans les entreprises est donc devenue un enjeu de bonne gouvernance. Les places financières du monde entier scrutent d'ailleurs les politiques de ressources humaines des entreprises et sont attentives au fait que les entreprises cotées soient en capacité de reconnaître les talents féminins dans leurs équipes. Ces progrès se sont étendus à d'autres pays.

Cependant, malgré ce contexte, le plafond de verre est bien là. Il semble même être une espèce de loi d'airain... Selon la taille des entreprises et les secteurs d'activité, le taux de présence des femmes à des postes d'encadrement, au niveau mondial, se situe entre 11 et 18 % et stagne aux alentours de 20 % au sein des conseils d'administration des entreprises des pays qui n'ont pas légiféré. L'enjeu est donc aujourd'hui l'accès des femmes aux postes de direction - en cela, la loi Copé-Zimmermann est bien sûr importante.

Pourquoi demeure-t-il toujours difficile de percer le plafond de verre, malgré les compétences, les qualifications des femmes et leurs aspirations de carrière ? Selon moi, deux processus sont à l'oeuvre. D'une part, on nomme toujours davantage d'hommes à des postes de direction et, d'autre part, les femmes elles-mêmes sont souvent réticentes à postuler à ce type de postes. Je rappelle ici ce que constatent les rapports. Il est toujours difficile pour une femme de trouver une place parce que les réseaux sont essentiellement masculins, notamment dans les entreprises des secteurs à prédominance masculine. Par des phénomènes naturels tout au long des carrières, les hommes continuent à se coopter par affinités, au nom de l'entraide ou via le mentorat. Dans ce contexte, il faut des politiques RH affirmées qui incluent des viviers de femmes dans la réserve de potentiels, sinon la reproduction homosociale continuera de fonctionner de manière assez naturelle. Dès lors, on entre dans un cercle vicieux qui entretient, selon les secteurs, des cultures « virilistes » dans lesquelles les femmes ne vont pas naturellement se projeter, ou en tout cas avoir des aspirations de carrière pour rejoindre ces milieux.

Diversifier les réseaux de pouvoir est donc un enjeu, au même titre que la mixité est un enjeu. Ce sont cependant des investissements personnels très coûteux pour des femmes qui peuvent avoir une charge de famille et qui n'ont pas nécessairement le temps de créer et de cultiver du réseau et d'investir dans du « temps off » pour augmenter leur capital social.

Les rapports que j'évoquais au début de mon intervention mentionnent également un certain type de comportements vis-à-vis des femmes. Ainsi, les femmes étant plus récentes dans ces univers et en minorité, on scrute davantage leurs comportements et elles sont souvent plus exposées à certaines critiques ou à certaines attentes. Bref, ce ne sont pas toujours des univers accueillants pour les femmes et y prendre sa place leur demande effectivement une certaine lutte, ce qui explique que ce plafond de verre reste difficile à percer.

Il faut aussi souligner le fait que les femmes vont avoir des carrières dans des secteurs moins stratégiques et davantage sur des postes support. L'accès aux postes d'encadrement opérationnel stratégique reste donc assez difficile.

Enfin, on connaît bien sûr les normes dominantes, tels le présentéisme et la disponibilité, qui modèlent encore les comportements dans certains univers. Or ces normes ne sont pas toujours compatibles avec le travail parental que continuent d'exercer certaines femmes.

Tous ces éléments sont désormais bien connus, je souhaitais cependant les rappeler : il n'est pas certain que les femmes et jeunes femmes seront plus nombreuses demain à percer le plafond de verre, car ces contraintes et difficultés structurelles vont sans doute perdurer.

Toutefois, il y a des signaux positifs. Aujourd'hui, par exemple, davantage de femmes sont diplômées d'écoles d'ingénieurs, et ce constat est vraiment important parce qu'il signifie l'accès à des positions d'encadrement opérationnel. On voit également davantage de femmes cadres dans beaucoup de secteurs. Cependant, il y a aussi des signaux inquiétants : on compte très peu de femmes dans le monde informatique, un secteur qui porte pourtant nombre de métiers actuels mais aussi d'avenir. De fait, pour nombre de pays, il existe un fort enjeu à encourager la présence de jeunes femmes dans ces filières et à encourager le secteur des technologies à recruter et promouvoir davantage de femmes.

En conclusion, je m'arrêterai sur la situation française. Comme l'ont rappelé Laurence Parisot et Marie-Jo Zimmermann, rien ne se passait en France avant la loi de 2011. Les indicateurs stagnaient toujours entre 6 et 7 %, alors que l'on comptait déjà nombre de femmes faisant carrière, diplômées de grandes écoles, directrices marketing, financière, stratégique, directrice générale, etc. La loi a donc débloqué cet accès, surtout dans les grandes entreprises cotées, parce que ces entreprises sont précisément scrutées par les analystes via des notations extra-financières qui viennent « compter les femmes ». Pour le reste des entreprises, on risque quand même de plafonner et d'entendre : « Nous comptons deux femmes sur dix, 20 %, c'est déjà bien. Nous sommes dans les normes internationales ! ». Des Anglo-saxonnes ont créé le Club des 30 % en demandant quand ce pourcentage serait un jour atteint. Lorsque je disais que nous étions au début de l'aventure, au milieu du gué, je faisais référence à cette situation.

En France, le risque de plafonnement existe également, même si dans les comités de direction la présence des femmes est passée de 7 % en 2014 à 18 % aujourd'hui. Ce bond n'aurait sans doute pas eu lieu sans la loi de 2011 et sans les agences de notation extra-financière, puisque les bourses observent à la loupe cet indicateur.

Dans ce contexte, que peuvent faire les gouvernements ? Certainement pas, en tout cas, abroger les lois, mais sans doute légiférer encore sur la question. Les rapports montrent que les pays qui n'ont pas de loi ont malgré tout progressé en termes de présence des femmes au sein des conseils d'administration. Toutefois, bien souvent cette progression s'est faite sous la menace de l'adoption d'une loi. Ainsi, la loi peut même agir sur des pays qui n'en ont pas !

De leur côté, les Britanniques ont proposé une charte pour favoriser l'accès des femmes à des postes de dirigeantes, démarche que je trouve très intéressante. Durant le gouvernement de Theresa May, le ministère des finances a ainsi demandé aux entreprises de la City de s'engager officiellement sur le recrutement de femmes et d'assurer leur promotion et leur accompagnement de carrière à des postes de direction. Plus de 300 entreprises ont déjà signé la charte Women in Finance. Le ministère des finances britannique se l'est d'ailleurs appliquée à lui-même pour atteindre la parité en 2019.

Je terminerai en rappelant une nouvelle fois ce que pointent les rapports de 2019. En France, beaucoup d'entreprises connaissent mal la loi de 2011 et, plus largement, les lois qui favorisent la place des femmes en entreprise.

Dans ce contexte, il apparaît nécessaire de communiquer davantage auprès des entreprises pour leur rappeler leurs obligations, mais aussi les sanctions qu'elles encourent, car aujourd'hui le quota n'est pas atteint dans un grand nombre d'entre elles. Par ailleurs, il faut continuer à agir plus fort et de manière systémique sur l'éducation, la mixité des métiers et l'accès des femmes au secteur de l'informatique. Il faut que les écoles d'informatique continuent de chercher des étudiantes et que les entreprises du secteur les recrutent, pour changer l'image de ces métiers, de la même manière qu'il faut, bien sûr, continuer de combattre tous les stéréotypes de genre dans les médias. Je vous remercie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion