Intervention de Alexandra Borchio Fontimp

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 21 janvier 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur le bilan de l'évaluation de la loi copé-zimmermann

Photo de Alexandra Borchio FontimpAlexandra Borchio Fontimp, sénatrice, membre de la commission « Parité » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) :

Je vous remercie d'avoir accepté ce changement de programme qui me permettra de faire ma première intervention en séance.

Merci également à la délégation aux droits des femmes d'avoir organisé cette table ronde et de m'avoir invitée à y participer.

Merci enfin à vous, Madame Zimmermann. Je suis engagée en politique depuis un peu plus de dix ans et j'ai toujours suivi vos travaux qui ont contribué de façon majeure à faire avancer, comme le soulignait à l'instant Laurence Parisot, les droits des femmes. C'est une fierté pour notre pays. Je suis donc très heureuse de vous rencontrer aujourd'hui.

Après ces divers témoignages, c'est en ma qualité d'élue très impliquée dans l'égalité femmes-hommes, de nouvelle sénatrice et de membre du HCE - que j'ai intégré en 2019, et au sein duquel je siège à la commission Parité - que je vais rapidement présenter les travaux du Haut conseil à l'égalité sur la parité économique.

En 2017, le HCE a été missionné par la ministre Marlène Schiappa pour examiner l'efficacité de la politique de quota menée dans les instances de direction et de gouvernance des entreprises et interroger la pertinence de l'extension de cette politique.

Cette mission a permis de condenser tous les travaux qui ont été réalisés par bon nombre d'entre vous aujourd'hui et de poser un état des lieux incluant des données chiffrées nécessaires à l'élaboration de recommandations éclairées. Ces recommandations se fondent sur un constat sans appel, l'accès des femmes - nous l'entendons depuis ce matin - à des responsabilités ne se fait malheureusement pas au fil du temps par autorégulation des acteurs, mais ne peut qu'être imposé par des quotas assortis de sanctions.

L'objet de mon propos n'est pas de présenter en détail le rapport et les vingt-trois recommandations qu'il contient, que vous connaissez probablement déjà pour la plupart. Je souhaite toutefois vous exposer rapidement des observations que l'on peut formuler sur les effets pratiques de la loi Copé-Zimmermann et les objectifs qui, selon moi, sont à atteindre dans les prochaines années. Ces objectifs s'inscrivent toujours dans la logique de lever les freins à l'accès des femmes à des postes clés.

Dix ans après l'adoption de cette loi, qu'est-ce qui a changé ? Que peut-on conclure ? Cela pourrait se résumer en une seule petite phrase : les quotas sont nécessaires pour parvenir à la parité. C'est d'ailleurs ce qui est dit depuis ce matin et que nous constatons toutes et tous dans le champ politique. L'objectif a donc été atteint dans les grandes entreprises, avec près de 45 % de femmes dans les conseils d'administration et de surveillance des grandes entreprises cotées du CAC40, et 43,6 % pour le SBF120 - tels étaient les chiffres, du moins encore tout récemment.

Grâce à ses résultats, la France se situe à la première place des pays de l'Union européenne. Ces entreprises ont relevé le défi, mais pas toutes seules, plus certainement grâce au levier introduit par le vote de votre loi, Madame Zimmermann. Cette loi a, en dix ans, connu une progression spectaculaire et a su impulser une véritable dynamique bien que ses effets tendent à se stabiliser depuis 2017 dans les conseils d'administration ou de surveillance.

La place des femmes dans ces entreprises est donc bien ancrée, puisqu'elles sont désormais représentées et démontrent chaque jour leur pleine légitimité à occuper ces fonctions. Cependant, rien n'est jamais complètement acquis. À nous de saluer les efforts entrepris pour respecter la loi, mais aussi de continuer à accompagner ce changement de mentalité qui reste évidemment une avancée à souligner.

À côté de ces évolutions positives, deux zones d'ombre restent à interroger. Premièrement, dans les PME, où cette loi ne s'applique pas, moins de 18 % des femmes sont représentées. Ce chiffre est à prendre avec précaution car, dans certains cas, cela peut être encore moins. Il est impossible aujourd'hui de rendre compte d'un chiffre précis sans disposer de statistiques. C'est un premier constat d'insuffisance : quand il n'y a pas de quota, la part des femmes reste en deçà de 20 %. Le cas des PME montre bien la limite des pratiques d'autorégulation. Il faut donc favoriser la transformation des mécanismes d'autorégulation dans le sens d'un renforcement des objectifs de parité et étendre cette politique aux PME.

Deuxième zone d'ombre : les femmes ne sont que 18,2 % dans les COMEX et les CODIR du CAC40 en 2019. Il y a certes une légère amélioration, car elles n'étaient que 7 % il y a dix ans. Les mentalités évoluent, les choses changent, mais lentement. Le ruissellement tant attendu ne s'est malheureusement pas produit et ce fameux plafond de verre est toujours infranchissable.

Lorsqu'il n'y a pas de quota, la parité s'arrête aux portes du vrai pouvoir : le comité stratégique du conseil, instance où se prennent les décisions pour l'entreprise et qui est encore très largement composée d'hommes, alors que le comité RSE, moins impactant, est majoritairement composé de femmes. On ne comptait en 2019 que deux femmes à la tête d'entreprises du CAC40 : Christel Bories, PDG d'Eramet depuis 2017 et Isabelle Kocher, DG d'Engie depuis 2016 et qui sera remplacée dans quelques semaines par une autre femme.

Dans le rapport du HCE, un point mérite une attention particulière : le sexisme financier. Les femmes voient leur demande de crédit rejetée deux fois plus souvent que celle des hommes et reçoivent deux fois et demi moins de financement. J'ai pu encore le constater récemment. En tant qu'élue, j'accompagne une navigatrice, actuellement engagée dans le Vendée Globe, univers qui reste très masculin, et je vous confirme que cela a été pour elle un vrai « parcours de combattante » que de trouver des partenariats ou du mécénat pour financer sa course.

Les femmes qui souhaitent ou qui ont fondé aussi leur start-up se trouvent donc dans une situation compliquée. Plusieurs auditions recueillies au sein du HCE ont évoqué ce frein supplémentaire dans un parcours déjà semé d'embûches.

Là encore, les chiffres sont éloquents et l'on constate que le sexisme financier ne faiblit pas au fil du temps malgré nos efforts. Le HCE propose donc d'aller plus loin et souhaite :

- premièrement, que le financement public de l'innovation par Bpifrance soit conditionné au respect par les entreprises ou par les fonds d'investissement de règles paritaires, fixées à hauteur 30 % de leurs instances de gouvernance et de direction ;

- deuxièmement, l'insertion d'une clause alternative, établissant à 30 % le pourcentage de femmes devant être détentrices de capital au sein de l'entreprise.

Je ne vais pas revenir sur l'efficacité de la politique des quotas, mais je pense important de souligner que l'une des préconisations, également mise en avant par le HCE, est de prendre le problème en amont.

L'action de l'État doit contribuer à défaire les mythes pour que le parcours scolaire universitaire et professionnel de chaque femme soit imprégné des mêmes rêves et ambitions que ceux des hommes. Il faut valoriser les jeunes filles en les incitant plus fortement à investir des secteurs dominés aujourd'hui encore par une majorité d'hommes.

À ce stade, tout passe par l'éducation, vecteur principal et essentiel d'un changement de mentalité rapide. Pour cela, il faut donner des outils aux jeunes filles afin qu'elles comprennent qu'une femme doit évoluer dans sa carrière en étant soumise aux mêmes conditions que les hommes et qu'elles osent conduire leurs projets d'orientation. Anne-Françoise Bender évoquait il y a quelques minutes l'importance de traiter le problème dès le plus jeune âge. Je suis d'accord, les politiques publiques doivent se concentrer sur les plus jeunes, non pas pour former mais pour sensibiliser les nouvelles générations, par exemple, à la mixité des métiers. Il faut donc déconstruire les mentalités pour rebâtir des objectifs d'égalité.

Pour conclure mon intervention, je voudrais citer quelques-unes des propositions qui, à mon sens, s'inscrivent totalement dans l'actualité de nos échanges sur les évolutions de cette loi :

- première mesure : conforter la parité au sein des conseils d'administration et de surveillance. Il faut maintenir la proportion de 40 %, sans toutefois prôner une parité stricte de 50 % qui, en raison d'obstacles juridiques et techniques, est difficilement réalisable ;

- deuxième mesure : étendre les objectifs de parité aux COMEX et au CODIR ;

- troisième mesure : conditionner l'obtention de financements publics de l'innovation à la proportion de femmes représentées au sein des instances de gouvernance et de direction parmi les détentrices de capital.

Voici, en bref, les propositions du HCE qui a essayé de travailler sur le bilan de l'évolution de la loi de 2011. En tant qu'élus sensibilisés à l'égalité professionnelle et à l'égalité économique, nous nous évertuons aussi à travailler sur l'égalité dans le monde de la politique, que vous vivez aussi, et il semblerait qu'il y a quand même beaucoup de similitudes entre ces deux milieux. Il convient donc de continuer à travailler et à les faire évoluer en passant, malheureusement ou heureusement, par la loi. Je vous remercie.

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