Intervention de Chiara Corazza

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 21 janvier 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur le bilan de l'évaluation de la loi copé-zimmermann

Chiara Corazza, directrice générale du Women's Forum for the Economy & Society :

Merci beaucoup, Madame la sénatrice. Je remercie également Mme la présidente pour son invitation.

Je suis, comme l'a rappelé tout à l'heure la présidente, directrice générale du Women's Forum for the Economy & Society. Je dois admettre que je suis certainement celle qui, parmi vous, a sans doute considéré le plus tardivement l'importance des femmes dans l'entreprise. Il faut souligner que j'ai effectué toute ma carrière dans des métiers d'hommes où je n'ai jamais réellement côtoyé d'autres femmes.

Je dois préciser cependant que j'ai été élevée avec deux soeurs qui sont de grandes battantes, dont l'une est d'ailleurs devenue députée européenne, et la cause des femmes est devenue la leur.

Lorsque je me suis rendu compte que je voulais me battre et que la meilleure façon de contribuer à changer le monde, ce dont on rêve toutes pour nos enfants, passait par la voix des femmes, j'ai intégré le Women's Forum. Si ma conviction est tardive, j'ai une grande admiration pour le travail de mes prédécesseures et pour toutes les actions qu'elles ont conduites afin de préparer le terrain.

J'ai beaucoup d'ambition pour le Women's Forum parce que je pense que c'est une plateforme unique pour porter les valeurs françaises à travers le monde. Madame la députée Zimmermann, je répète ce que beaucoup d'autres ont déjà dit ce matin : nous sommes fières, grâce à votre loi, que la France soit championne du monde de la représentation des femmes dans les conseils d'administration !

Je voudrais vous informer que le Women's Forum considère cette loi comme un tournant historique. On a déjà beaucoup évoqué le passé ce matin : le présent et la crise qui sévit montrent que nous avons besoin de femmes, pas simplement pour soigner les plus fragiles mais également pour prendre les bonnes décisions.

Cette année, le Women's Forum a donc décidé de changer complètement de paradigme et de se consacrer à la promotion d'une `She-Covery', qui vise à faire en sorte que les femmes soient les moteurs des plans de relance et deviennent des protagonistes dans tous les domaines et à tous les niveaux.

Hier, il y avait le Plan Marshall ; aujourd'hui, nous avons besoin d'un « Plan Christine », d'un « Plan Ursula », d'un « Plan Kamala ». Il faut mettre les femmes au coeur des décisions, non pas pour qu'elles se partagent le gâteau, mais pour qu'elles décident des ingrédients à y mettre !

L'importance des data a été évoquée tout à l'heure. Le Women's Forum a compilé toutes les données existantes sur le G7 et le G20, et nous nous sommes rendu compte que nous avions besoin de mesurer ces indicateurs d'une année sur l'autre et de confronter ces résultats aux opinions publiques. Nous avons donc créé un Baromètre qui ne concerne, pour l'instant, que les pays du G7. Il en ressort des stéréotypes extrêmement persistants, pas en France qui est en première place sur nombre de sujets, mais en Allemagne et au Japon où, par exemple, une très large majorité de la population considère que concilier vie professionnelle et vie familiale est impossible. « Vous devez choisir ! », déclarent ainsi les jeunes femmes allemandes et elles en sont convaincues.

Aujourd'hui encore, quatre personnes sur dix pensent que les hommes et les femmes ont un cerveau différent... Selon cette approche, les femmes ne peuvent suivre que des études littéraires, alors que les hommes peuvent embrasser des carrières scientifiques et techniques.

Toutefois, il existe une réelle maturité du grand public, notamment en France. En août dernier, en pleine crise sanitaire, le Baromètre du Women's Forum, réalisé avec Ipsos, a montré que 96 % des personnes sondées, des hommes et des femmes qui ne sont pas des experts sur la question, estimaient que la priorité des priorités était l'égalité femmes-hommes. Pour 84 % d'entre eux, cette égalité permettrait notamment de créer une économie plus saine et plus performante. 78 % jugeaient également que les femmes devaient avoir le même accès que les hommes aux métiers STEM (Sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), notamment pour travailler sur des programmes d'intelligence artificielle plus éthiques et pour bâtir une société plus juste. Cette maturité du public est phénoménale, alors qu'attend-on maintenant ? Je souhaitais partager avec vous ces éléments et ces données car ils soutiennent véritablement notre démarche des « femmes protagonistes ».

Si vous le permettez, je vais également vous rappeler d'autres données, car nous nous appuyons sur des fondamentaux pour réussir notre démarche, et notamment sur les lois, afin de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Bien entendu, nous y associons pleinement le monde économique. Rien ne pourra se faire, rien ne pourra avancer, si les grands décideurs politiques et les grands décideurs économiques ne travaillent pas de concert. C'est pour cette raison que le Women's Forum se concentre actuellement sur un tour de table avec les grands groupes français et européens. Peut-être devrions-nous être plus inclusives et aller à la rencontre des petites et moyennes entreprises, mais notre ADN c'est d'abord des grands groupes, car ils sont les locomotives du changement.

Le Women's Forum s'appuie donc sur un Comité Stratégique et des partenaires globaux, issus des grands groupes, qui ont envie de faire avancer la voix des femmes. Côté Français, nous travaillons, par exemple, avec Axa, BNP Paribas, Bouygues, Engie, L'Oréal ou encore Michelin. À l'international, nous sommes en contacts réguliers avec des entreprises comme Lenovo, dont l'entité française a été dirigée par Élisabeth Moreno, actuelle ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances.

Faire converger et travailler ensemble les grands leaders politiques et économiques est vraiment une des spécialités du Women's Forum. Il s'agit de travailler pour les influencer, au sens noble du terme, et de les fédérer.

Dans ce contexte, la loi Copé-Zimmermann, c'est dix ans de succès et un formidable accélérateur de progrès. Ce texte a permis un changement des mentalités, comme il a permis d'améliorer les performances des entreprises - ce constat est unanime. Grâce à lui, les femmes ont commencé à se faire confiance et, ainsi, elles ont pu apporter leur contribution à la société. La loi a fait éclore un pool de talents féminins : les femmes sont nombreuses et elles sont formidables !

Je pense que cette loi a aussi permis de professionnaliser le recrutement des cadres et cadres dirigeants. Aujourd'hui, les entreprises recherchent des profils, femmes ou hommes, dont les compétences correspondent à leurs besoins et qui leur apportent une diversité de perspectives et donc une richesse supplémentaire. Il n'y a guère longtemps, les recrutements ne se fondaient pas forcément sur ces critères et nous le savons tous. À mes yeux, ce mouvement est irréversible.

On doit aussi se féliciter que la France soit le pays qui, dans le monde, favorise le plus le travail des femmes.

Dans quel autre pays au monde, en effet, les femmes peuvent-elles ne pas travailler le mercredi, sans craindre pour leur carrière ? Dans quel autre pays au monde les familles reçoivent-elles des aides pour faire garder leurs enfants à domicile ? Dans quel autre pays au monde peut-on déposer ses enfants à l'école à partir de 8 heures et venir les chercher après 17 heures ? Dans combien de pays au monde y a-t-il des milliers de crèches réparties sur tout leur territoire ? Nulle part, sauf en France, et on ne le dit pas assez !

Tous ces dispositifs ont concouru et concourent à ce que les femmes construisent leur parcours et s'investissent dans leur carrière professionnelle ou politique. Je pourrais aussi évoquer l'index Pénicaud, dont l'esprit commence à s'exporter à l'étranger. Bref, soyons fières de nous.

Aujourd'hui, 45,2 % de femmes siègent dans les conseils d'administration en France, contre 36 % en Italie et 35 % en Allemagne - sachant que ces deux pays ont des quotas différents des nôtres. Concernant les pays du G20, l'Australie affiche 31 %, l'Afrique du Sud 28 %. La Norvège, dont on vante pourtant la suprématie dans ce domaine, est à 40 % et la Suède à 37 %. La France fait donc mieux que tous les autres pays de l'OCDE.

Bien que les mentalités évoluent, il reste encore beaucoup de travail à accomplir. Je suis convaincue que les pays réfractaires aux quotas - quand je dis réfractaires, cela signifie qu'ils refusent d'évoquer le sujet, tels les États-Unis et le Canada - évolueront également dans les prochaines années. D'autres régions du monde, comme l'Asie et particulièrement l'Asie du Sud, où le sujet est absolument tabou, y compris chez les femmes, seront sans doute plus difficiles à convertir. Les pays de cette région plafonnent d'ailleurs à moins de 25 % en moyenne et comptent de très mauvais élèves : 11 % pour la Chine, 8 % pour le Japon et 3 % pour la Corée du Sud. Même Singapour, qui est un des fers de lance économique de la zone, n'affiche que 10 %.

Pour revenir sur la situation du Canada, c'est la société civile et des réseaux comme La Gouvernance au féminin qui se sont substitués au législateur. Grâce à leur formidable travail de terrain avec les entreprises, notamment sur le volet du recrutement, le Canada compte, malgré tout, quelque 30 % de femmes au sein des conseils d'administration des grandes entreprises.

Le Women's Forum réalise un travail analogue à l'international. Depuis une douzaine d'années, avec l'initiative CEO Champions, nous stimulons, par exemple, des patrons de grandes entreprises à travers le monde qui souhaitent amorcer des changements de pratique. En 2019, en présence notamment de Christine Lagarde, nous avons ainsi organisé notre Forum des Amériques au Mexique, avec autour de la table des patrons plus que sceptiques vis-à-vis de notre démarche. Il y a moins de 8 % de femmes dans les instances dirigeantes au Mexique. Le conseiller du Président Obrador, par ailleurs grand chef d'entreprise, a cependant été très sensible à notre discours. Sans promettre une politique de quota, il s'est publiquement emparé du sujet et a mis en place des groupes de travail. Pour être tout à fait honnête, cela n'avance pas à une vitesse folle, mais la sensibilisation est bien là.

En 2019 toujours, nous avons eu la même démarche à Singapour, avec des patrons français venus dire en quoi la présence de femmes était bonne pour l'attractivité et la performance économique des entreprises. À la suite de cette initiative, le gouvernement singapourien, les entreprises et la bourse se sont saisis de cette question et le sujet a beaucoup avancé depuis.

Par ailleurs, sans faire d'ombre aux cabinets de chasseurs de têtes, le Women's Forum a un pool de personnalités, orientées business, que nous recommandons en France ou à l'international pour des postes de dirigeantes. Depuis treize ans, nous accompagnons également la promotion de jeunes cadres et dirigeantes de moins de quarante ans dans leur parcours professionnel, via notre initiative Rising Talents. Pour ne citer qu'elles, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l'industrie, et Karima Silvent, directrice des ressources humaines d'Axa, sont des Rising Talents. À ces postes, elles deviennent assurément des ambassadrices qui pourront à leur tour recruter plus de femmes et favoriser leur présence au sein des instances dirigeantes.

Comme vous le savez, à l'issue du dernier G7, le Gouvernement m'a confié la mission de promouvoir les filières STEM auprès des jeunes femmes et des femmes, dans le cadre de la formation tout au long de la vie, car ces filières préparent aux métiers de demain. Il s'agit d'une priorité du Women's Forum. Notamment à l'occasion du prochain Women's Forum `G20', que nous organiserons du 17 au 19 octobre prochain, nous allons donc proposer aux chefs d'État et aux chefs des gouvernements du G20 une série de mesures qui nous tiennent à coeur, dont l'une a pour objectif d'instaurer des quotas au sein des COMEX. Nous sommes d'ailleurs pleinement aux côtés d'Élisabeth Moreno et de Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance qui portent un projet de loi en ce sens qui sera présenté le 15 mars prochain.

Dans ce contexte, il nous paraît essentiel que, d'ici à 2025, 30 % des femmes qui siégeront dans les conseils d'administration soient justement issues des filières STEM. Parce que si l'on veut que les femmes participent à la transformation du monde et qu'elles décident des stratégies financières des entreprises, il faut absolument qu'elles sachent parler chiffres. Si elles parlent chiffons, personne ne les écoutera !

Je suis par ailleurs persuadée que si les jeunes filles savent que des places les attendent dans les COMEX, alors elles choisiront les STEM. A contrario, sans garantie, elles n'iront peut-être pas vers ces filières.

La France a toujours été un pays d'ingénieurs, soyons maintenant un pays d'ingénieuses ! Je pense que l'on s'apercevra alors qu'en termes d'attractivité et d'innovation, qui sont l'ADN de notre pays, la France n'a rien à prouver. Je vous remercie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion